Représentant le Canada à la 59Biennale de Venise, Stan Douglas y présente, jusqu’au 27 novembre, deux installations qui évoquent des bouleversements sociaux, révoltes et revendications. L’artiste de Vancouver met en parallèle des évènements de 2011 avec ceux des révolutions européennes de 1848. Il évoque la façon dont les mouvements populaires prennent forme et la manière dont les États y répondent ou pas.

La Biennale de Venise est la seule exposition internationale d’arts visuels à laquelle le Canada envoie une représentation officielle. C’est le cas depuis sa toute première participation, en 1952, à ces Jeux olympiques de l’art contemporain. Mais depuis 70 ans, c’est la première fois que l’artiste canadien choisi diffuse son travail dans deux endroits de la Cité des Doges. L’exposition de Stan Douglas a lieu d’une part au sein du pavillon canadien, dans le verdoyant parc des Giardini, d’autre part dans les salles des Magazzini del Sale n° 5, ancien entrepôt de sel du quartier Dorsoduro.

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAC

Stan Douglas, lors du vernissage de son exposition au pavillon du Canada, à Venise, le 20 avril dernier

Stan Douglas a opté pour deux emplacements, car la luminosité du pavillon canadien posait un problème avec la projection de sa vidéo ISDN – sur deux écrans – qu’il souhaitait dans le noir le plus total. Cette installation et ses impressions photographiques exposées dans le pavillon font partie du corpus 2011 ≠ 1848, dont le commissariat a été confié par le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) à Reid Sheir, directeur de la galerie Polygon, à Vancouver, et fin connaisseur du travail de Stan Douglas.

Vues des deux installations de Stan Douglas à Venise
  • Vue de l’exposition au pavillon canadien. Avec la permission de Stan Douglas, du Musée des beaux-arts du Canada, de Victoria Miro et de David Zwirner.

    PHOTO JACK HEMS, FOURNIE PAR LE MBAC

    Vue de l’exposition au pavillon canadien. Avec la permission de Stan Douglas, du Musée des beaux-arts du Canada, de Victoria Miro et de David Zwirner.

  • Vue de l’installation vidéo aux Magazzini del Sale No 5. Avec la permission de Stan Douglas, du MBAC, de Victoria Miro et de David Zwirner.

    PHOTO JACK HEMS, FOURNIE PAR LE MBAC

    Vue de l’installation vidéo aux Magazzini del Sale N5. Avec la permission de Stan Douglas, du MBAC, de Victoria Miro et de David Zwirner.

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Ce travail a été spécifiquement créé pour la Biennale, qui devait avoir lieu en 2021, mais qui a été repoussée par la pandémie. Stan Douglas avait choisi de marquer le 10anniversaire de quatre évènements sociaux s’étant produits en 2011 et qui découlaient de la crise financière de 2008 et du Printemps arabe. Ses impressions photographiques sont des reconstitutions (créées dans l’Agrodome de Vancouver) d’une manifestation du mouvement Occupy Wall Street, à New York, d’un rassemblement de protestataires à Tunis, de l’émeute ayant eu lieu à Vancouver après la défaite des Canucks en finale de la Coupe Stanley et des affrontements entre des jeunes et la police dans l’arrondissement de Hackney, à Londres.

PHOTO STAN DOUGLAS, FOURNIE PAR LE MBAC

New York, 10 October 2011, de la série 2011 ≠ 1848, 2021, épreuve à développement chromogène sur Dibond, 150 x 300 cm. Avec l’autorisation de Stan Douglas, de Victoria Miro et de David Zwirner.

Ses grandes « photographies » sont une combinaison, sur ordinateur, de prises de vues faites sur les lieux des évènements et des mises en scène qu’il a réalisées dans l’Agrodome avec des figurants. L’objet de ce travail – assez coûteux – est de comparer les mouvements populaires de 2011 aux insurrections de 1848 en Europe au cours desquelles une partie de la population souhaitait plus de démocratie et la fin des régimes autocratiques. Ce « printemps des peuples », qui avait débuté en Italie en janvier 1848, avait eu des répercussions marquantes et durables pour certains pays.

Consultez un article du Larousse sur les révolutions européennes de 1848

Stan Douglas fait remarquer qu’en 2011, on ne peut pas dire que les mécontentements du Printemps arabe comme ceux des jeunes Britanniques et New-Yorkais aient été entendus. « Contrairement à 1848, les autorités n’ont pas ou très peu tenu compte des protestations », dit-il, faisant remarquer que sont arrivés ensuite le Brexit et le mouvement Black Lives Matter. Sans compter l’exaspération des Autochtones canadiens et la révolte des migrants africains. Et l’internet, suggère-t-il, n’est pas parvenu à fédérer ce genre de protestations sur le plan global, notamment parce que les médias sociaux sont devenus des lieux de divertissement et d’évacuation des ressentiments, plus que des espaces de solidarité et de promotion des réformes.

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Tunis, 23 janvier 2011, de la série 2011 ≠ 1848, 2021, Stan Douglas, épreuve à développement chromogène sur Dibond, 150 x 300 cm. Avec l’autorisation de l’artiste, de Victoria Miro et de David Zwirner.

Dans l’édifice des Magazzini, les deux vidéos d’ISDN, tournées l’une à Londres et l’autre au Caire, font état de ces frustrations qui perdurent. Deux rappeuses noires britanniques et deux rappeurs égyptiens semblent s’unir dans une même colère grâce à la musique. Les unes chantent leur rage quant aux discriminations dont sont victimes les Noirs en Grande-Bretagne. Les autres font part de la façon la plus poétique et la moins directe possible leur irritation quant au régime autoritaire en place en Égypte.

PHOTO STAN DOUGLAS, FOURNIE PAR LE MBAC

ISDN, 2022, Stan Douglas, image fixe de l’installation vidéo à deux canaux. Londres : premier plan, TrueMendous ; arrière-plan, Lady Sanity. Avec l’autorisation de Stan Douglas, de Victoria Miro et de David Zwirner.

Pour le volet photo comme pour le volet vidéo, 2011 ≠ 1848 éveille aux risques que les pays prennent en laissant des questions sociales non résolues. Et aux impacts internationaux de l’inaction en politique. C’est la cinquième fois que Stan Douglas participe à la Biennale de Venise. La première fois en solo. Comme on peut aussi le constater avec son expo Dévoilements narratifs, présentée jusqu’au 22 mai à la Fondation Phi, ses images léchées, attirantes, spectaculaires ont cette profondeur qui fait la richesse de l’art.

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ISDN, 2022, Stan Douglas, image fixe de l’installation vidéo à deux canaux. Le Caire : Joker. Avec l’autorisation de Stan Douglas, de Victoria Miro, et de David Zwirner.

« Par ses réflexions profondes sur un passé imaginé et le présent qu’il aurait pu engendrer, Stan Douglas nous invite depuis des décennies à mieux comprendre et à examiner d’un œil critique nos réalités », dit Simon Brault, directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada, partenaire de l’exposition.