Dans le cadre des 30 ans de la galerie B-312, Conjuguer l’espace au temps–Composer est présentée jusqu’au 7 mai. L’exposition évoque hier, aujourd’hui et demain dans une mise en scène de Marthe Carrier. Avec les artistes Moridja Kitenge Banza, Marion Lessard et Vincent Routhier qui s’intéressent aux notions de valeurs, d’héritage et de foi.

Pour marquer les 30 ans de B-312 qu’elle a cofondée, Marthe Carrier, assistée de collaborateurs, a fait reproduire l’ancien local de la galerie du Belgo – l’espace 312 — dans la salle principale du local actuel, l’espace 403. La maquette blanche à l’échelle 1/2 prend pratiquement tout l’espace.

On remonte ainsi dans le temps, quand B-312, centre autogéré fondé par de jeunes artistes, a commencé en 1991 à diffuser de l’art actuel, encourageant bien des médiums : peinture, sculpture, dessin, vidéo, installation, performance, photographie, art sonore et nouveaux médias. Depuis sa création, B-312 a présenté 250 expositions et 800 artistes.

Consultez le site de la galerie B-312

La galerie a choisi de réfléchir à ce temps qui passe. Aux acquis du passé, à l’urgence de vivre au présent, à cette spirale du progrès qui voit apparaître de nouvelles façons d’envisager l’art. Les trois artistes invités, Moridja Kitenge Banza, Marion Lessard et Vincent Routhier, se sont rencontrés pour partager l’espace de B-312 et tenir compte mutuellement de leurs lignes de pensée. Le christianisme, tel qu’il existe aujourd’hui sous plusieurs formes, est un des thèmes sous-jacents de leurs œuvres.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Moridja Kitenge Banza

Intégrant la notion d’histoire à ces temps célébrés, Moridja Kitenge Banza a replongé dans ses souvenirs de 1991. Alors que B-312 émergeait, des pillages troublaient sa jeunesse à Kinshasa, au Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo. Provoqués d’abord par des militaires sous-payés et une situation économique difficile, les pillages de magasins ont influencé la personnalité de l’artiste montréalais.

Je m’en suis aperçu avec le temps. Ces évènements devenus naturels sont peut-être liés à des traumatismes que j’ai eus ensuite. Ça démontre que l’histoire fait partie de notre temps personnel. Et cette histoire permet de mieux comprendre les enjeux internationaux.

Moridja Kitenge Banza

Le nouveau directeur artistique de l’Atelier circulaire a créé des impressions numériques constituées d’images d’archives de l’évènement zaïrois et d’images du Québec de la même époque. Le tout décoré avec des motifs qui rappellent à dessein les enluminures des vieux manuscrits religieux, puisque l’artiste a voulu créer une narration inclusive pour exprimer que les évènements sociaux ont toujours valeur universelle.

  • Série Une histoire de septembre, 2022, Moridja Kitenge Banza, impression numérique sur papier, 50 cm x 70 cm

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Série Une histoire de septembre, 2022, Moridja Kitenge Banza, impression numérique sur papier, 50 cm x 70 cm

  • Série Une histoire de septembre, 2022

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    Série Une histoire de septembre, 2022

  • Série Une histoire de septembre

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    Série Une histoire de septembre

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Marion Lessard

Marion Lessard a utilisé la maquette des anciens bureaux de B-312 pour la reproduire deux fois à l’intérieur dans une mise en abyme. Une reproduction qui colle bien à son travail et à sa nature « emboîtée » puisque Marion Lessard est un « collectif » de cinq identités… au sein d’une même artiste. Sa reproduction pose la question de l’identité de l’art et celle de l’artiste, autour de laquelle s’articule l’interrogation sur la préséance de « l’œuf ou de la poule ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Au sein d’une maquette de l’ancien local 312, l’artiste Marion Lessard a créé une mise en abyme avec la même structure architecturale répétée deux fois et au sein de laquelle elle a placé ses œuvres.

Qu’est-ce qui conditionne quoi ? Qui vient en premier ? Le milieu de l’art et sa diffusion ? L’artiste ? L’œuvre ? Et où est la valeur ? Qu’est-ce qui détermine quoi ? Qu’est-ce qui persiste ?

Marion Lessard

Pour illustrer ses questionnements, Marion Lessard a pris des images d’œuvres du peintre florentin Giotto (1266-1337) dont l’art, dit-elle, est à la charnière entre le religieux et la laïcisation. Elle a créé trois collages à partir d’éléments des 53 fresques que Giotto a réalisées entre 1303 et 1306 dans la chapelle des Scrovegni, à Padoue. Un des collages renvoie à la fresque du Jugement dernier. Marion Lessard y a inséré ses cinq identités pour représenter l’artiste et la création.

  • L’œuf ou la poule I : à l’image, Marion Lessard, collage d’après un détail de la fresque Il Giudizio universale, de Giotto (Chapelle des Scrovegni, Padoue, Italie). Impression numérique sur papier, 21,67 cm x 19,27 cm.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    L’œuf ou la poule I : à l’image, Marion Lessard, collage d’après un détail de la fresque Il Giudizio universale, de Giotto (Chapelle des Scrovegni, Padoue, Italie). Impression numérique sur papier, 21,67 cm x 19,27 cm.

  • L’œuf ou la poule II : La poule, collage d’après la fresque La Cacciata di Gioacchino dal Tempio, de Giotto, 11,21 cm x 11,59 cm

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    L’œuf ou la poule II : La poule, collage d’après la fresque La Cacciata di Gioacchino dal Tempio, de Giotto, 11,21 cm x 11,59 cm

  • L’œuf ou la poule III : l’œuf, collage d’après la fresque Il Sacrificio di Gioacchino, de Giotto, 8,72 cm x 9,43 cm

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    L’œuf ou la poule III : l’œuf, collage d’après la fresque Il Sacrificio di Gioacchino, de Giotto, 8,72 cm x 9,43 cm

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Marion Lessard a aussi intégré le thème de la Poule aux œufs d’or — la fable de Jean de La Fontaine sur la cupidité — avec un œuf doré, inséré avec un bel éclat dans l’installation. L’œuf d’or, symbole de valeur — mais aussi d’écart entre les souhaits et la réalité – fait le lien avec les œuvres de Vincent Routhier qui tournent autour de l’art de demain et de la valeur de l’art virtuel à travers les NFT.

Vincent Routhier

Traduisant des formules mathématiques en images, Vincent Routhier a une vision abstraite et numérique de l’art. Comme il crée sur ordinateur, il en est arrivé, il y a deux ans, à s’intéresser aux NFT, ces œuvres d’art encryptées qui se vendent à fort prix à l’échelle internationale. Il présente, de façon numérique, une collection d’œuvres NFT appartenant à l’entité r0m4.eth, d’une valeur dépassant le million, et dont il fournit l’accès par code QR dans la salle d’exposition.

Il s’agit d’une collection historique de 17 artistes et 21 œuvres iconiques qui remet en question la justesse de créer des œuvres encryptées et la notion de valeur. Mais aussi la notion de possession puisque ces œuvres de crypto-art sont acquises pour être possédées et non présentées.

Vincent Routhier

Consultez la collection de r0m4.eth (en anglais)

Cette « exposition » de NFT peut aussi se « visiter » grâce à des lunettes de réalité virtuelle. Vincent Routhier a également placé deux œuvres « physiques » qui contiennent un halo lumineux pénétrant censé représenter l’espace par lequel « passe » l’expérience esthétique d’observation de la collection. Explication peut-être un peu obscure, n’est-ce pas ? On n’est pas dans le conceptuel mais dans une réalité… qui n’en est pas une !

  • Vue de l’installation physique de Vincent Routhier

    PHOTO GUY L’HEUREUX, FOURNIE PAR B-312

    Vue de l’installation physique de Vincent Routhier

  • Reversion to Condition, détail (2022), Vincent Routhier

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Reversion to Condition, détail (2022), Vincent Routhier

  • Vincent Routhier

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Vincent Routhier

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Avec ce corpus Reversion to Condition, Routhier est, en effet, à la fois dans le virtuel et dans le réel. On pénètre tous dans un avenir dont on ne sait de quoi il sera fait, notamment en ce qui a trait à l’art et à sa présentation publique. Les galeries vont-elles perdurer ? Stéphane Aquin, directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal, se demandait récemment si, un jour, même les musées ne disparaîtraient pas… Rien n’est jamais acquis. Cette célébration de tous les temps à B-312 évoque ainsi l’omniprésence et le mystère, mais aussi la foi. Il en faut pour investir dans les NFT ! Et pour croire à la pérennité du bien.