La pandémie, les menaces climatiques, la montée des extrémismes génèrent de la méfiance, des doutes, des inquiétudes chez bien des gens. C’est le cas d’Emmanuel Laflamme, artiste incrédule qui transpose son scepticisme et ses craintes dans un art dense, empreint de spiritualité.

Emmanuel Laflamme ne croit pas facilement à la « réalité » ou à la « vérité » d’une chose. Face à son incrédulité, on en perd un peu son latin. Surtout en ces temps où le complotisme fait rage. Mais il gagne à être connu en raison de son indéniable talent et de sa propension à se torturer les méninges.

L’artiste de 37 ans a été designer de dessins animés de 2006 à 2016, notamment pour les Têtes à claques. Il s’est ensuite tourné vers la peinture, la sculpture, les œuvres murales, les installations et maintenant la vidéo. Son incursion en art contemporain coïncide avec une certaine croissance du doute chez lui. Un besoin de raisonner, de remettre en question, autant que de faire partager. D’où les ateliers d’art qu’il donne dans des écoles primaires et secondaires du Québec. Et son engagement avec l’organisme Les impatients. « Plus je donne et plus je reçois », dit-il.

Emmanuel Laflamme s’intéresse à « la symbolique de l’inconnu » et à la condition humaine. Butterflies Are Free to Fly, livre du professeur américain Stephen Davies, l’a bouleversé. Davies y évoque l’allégorie de la caverne de Platon, autrement dit la difficulté pour l’homme d’atteindre une pleine connaissance et de parvenir à la partager.

Dans ce livre de 2010, Davies a remplacé la caverne par une salle de cinéma. Et les hommes enchaînés par des êtres qui sortent de la projection d’un film pour réaliser leur éveil spirituel, briser leurs chaînes et assumer leur liberté.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Vue de l’exposition Notre programme principal

Embrassant cette allégorie, Emmanuel Laflamme a eu l’idée de recréer pour son exposition Notre programme principal une petite salle de cinéma avec un banc pour regarder le film qu’il a créé. Son premier.

Our Feature Presentation est un montage d’extraits de films de fiction et d’archives de la télé sur la conquête de l’espace et la politique américaine. On y voit des déclarations de présidents américains, dont John F. Kennedy, lorsqu’il a parlé des sociétés secrètes et d’éléments cachés au public.

La juxtaposition des images choisies par Laflamme crée un malaise. Comme si le fait de mettre des discours en parallèle insinuait en nous quelque chose de dérangeant. « Ce que j’aime, c’est quand on a une idée par rapport à quelqu’un ou quelque chose, que cette idée est faite, mais qu’il te manque une info, dit l’artiste. Quand tu l’obtiens, tu vois ça sous un autre jour et tu changes d’idée. Ça défie mes idées préconçues. »

Emmanuel Laflamme ne veut pas nous mettre des mots dans la bouche. « Mais je veux bien que ça génère une discussion », ajoute-t-il. Une de ses œuvres évoque les divers scandales à Hollywood. Une autre met l’ex-astronaute Buzz Aldrin (qui a marché sur la Lune en 1969) en situation avec un cameraman. Pour évoquer la thèse voulant que l’image d’Aldrin près du drapeau américain ait été tournée en studio…

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Fake It Until You Make It, 2019, impression numérique sur aluminium, 61 sur 92 cm

L’artiste adore les sujets controversés. Son expo tombe à pic. La pandémie a suscité des polémiques sans fin sur l’adhésion (ou pas) aux mesures sanitaires. En même temps, des voix s’élèvent de plus en plus contre le transhumanisme, mouvement qui vise à « améliorer » la condition humaine (voire à prolonger la vie) grâce aux progrès scientifiques, quitte à transformer la nature même de l’être humain.

Emmanuel Laflamme ne prise guère ce mouvement. Il se méfie des technologies et s’interroge sur les conséquences des vaccins à ARN messager. La plupart des scientifiques assurent pourtant que ces vaccins contre la COVID-19 n’affectent pas l’ADN (acide désoxyribonucléique), car l’ARN messager ne pénétrerait pas dans le noyau des cellules. Mais l’artiste demeure sceptique et prudent. Il a choisi de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19, respectant ceux qui s’y prêtent.

« Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est la pensée uniforme, dit-il. Je ne juge pas les autres. Je comprends les points de vue différents, mais j’ai le droit de choisir les risques que je prends. J’essaie d’être le plus possible à l’écoute de comment je me sens quand je reçois une information. »

Quelques œuvres exposées
  • Sans titre (Ménator), 2020, acrylique et aérosol sur toile, 92 sur 92 cm. Ouroboros, le serpent qui se mord la queue… et la pulsion de mort de l’espèce humaine.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Sans titre (Ménator), 2020, acrylique et aérosol sur toile, 92 sur 92 cm. Ouroboros, le serpent qui se mord la queue… et la pulsion de mort de l’espèce humaine.

  • Enjoy ! (The 5th Dimension), 2021, acrylique sur toile, 61 sur 92 cm. L’homme et la publicité.

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    Enjoy ! (The 5th Dimension), 2021, acrylique sur toile, 61 sur 92 cm. L’homme et la publicité.

  • (If You Want It), 2020, acrylique et aérosol sur toile, 89 sur 147 cm

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    (If You Want It), 2020, acrylique et aérosol sur toile, 89 sur 147 cm

  • Inside Job, 2021, acrylique sur toile, 61 sur 92 cm

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    Inside Job, 2021, acrylique sur toile, 61 sur 92 cm

  • Le mystère de la glande pinéale, 2021, acrylique et marqueur sur toile, 91 sur 102 cm

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    Le mystère de la glande pinéale, 2021, acrylique et marqueur sur toile, 91 sur 102 cm

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Emmanuel Laflamme reçoit évidemment beaucoup de pression pour « rentrer dans le rang ». « Je ne me sens pas à risque avec le virus, dit-il. Je fais extrêmement attention à mon système immunitaire, à ce qu’on appelle l’immunité naturelle. J’évite de parler du vaccin aux autres car le monde est très polarisé. Alors qu’en fait, j’ai plus de questions que de réponses… » Ses œuvres, en tout cas, parlent d’elles-mêmes. Le serpent qui se mord la queue, c’est l’espèce humaine qui s’en va à sa perte.

La pandémie l’a tellement inspiré qu’il publiera, au début de 2022, un livre sur la COVID-19. Coronart revisitera des mythes et des légendes en y intégrant la représentation du coronavirus. « Cette série d’œuvres, pour le moins percutante, ironique et métaphorique, nous amène à nous questionner, écrit dans la future préface la commissaire Mylène Lachance-Paquin, collaboratrice à la galerie Art Mûr. En les observant, on se demande quels seront les impacts de ces évènements sur l’avenir. »

Quelques dessins de Coronart
  • La part de l’observateur, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

    PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

    La part de l’observateur, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

  • Le Grand Reset, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

    PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Le Grand Reset, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

  • Distanciation sociale, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

    PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Distanciation sociale, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

  • Les experts, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

    PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

    Les experts, 2020, œuvre numérique, collage réalisé dans Photoshop

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Les remises en question d’Emmanuel Laflamme peuvent déranger, mais trouvent un large public. Le galeriste Hubert Kalkman de Maastricht, aux Pays-Bas, ne tarit pas d’éloges sur lui. « Je le suis depuis 2018 et les collectionneurs aiment la finesse de son esprit, dit-il. J’ai hâte d’exposer ses œuvres quand j’ouvrirai un deuxième espace à Anvers, dans quelques jours. » À Montréal, après avoir été chez Station 16, Laflamme vient de se greffer à la nouvelle galerie d’art contemporain de l’avenue Laurier Ouest, Salon Art Club, à Outremont, créée par Katia Dubois et Stéphane Michaud.

« C’est un artiste intelligent, dit Katia Dubois. C’est le premier artiste qu’on a choisi pour la galerie, après mon père, Jean-Daniel Rohrer, bien sûr. J’aime son côté pop art et les messages subliminaux de ses œuvres. On lancera son livre Coronart dans notre galerie. »

À la maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce, au 6400, avenue de Monkland.

Voyez la série complète de Coronart