Un long corridor sombre. Six portes. Et autant de femmes. Des filles, des mères, des amies, des amoureuses, aussi, s’y racontent. Sobrement, poétiquement et surtout frontalement, elles révèlent leur vie en dedans.

Dénombrement, un regard sur l’incarcération au féminin, plus récent projet du collectif Art Entr’Elles, créé par et pour les femmes judiciarisées et présenté ces jours-ci à l’Ausgang Plaza, dans le cadre de la Semaine de la réhabilitation sociale, offre une incursion unique, à la fois intime et esthétique, au cœur du vécu de quelques femmes incarcérées.

Exposée d’abord en janvier 2019 dans la Vieille Prison du musée de Trois-Rivières, puis sélectionnée aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) la même année, Dénombrement, réalisée en collaboration avec la réalisatrice Émilie B. Guérette et le scénographe Hubert Lafore, est ici présentée au grand public montréalais pour la première fois.

« Moi, mon nom, c’est Michèle. J’ai 61 ans. J’ai passé 24 ans derrière les barreaux. C’est un endroit pour réfléchir. Alors j’ai réfléchi longtemps… »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’exposition immersive offre une incursion unique au cœur du vécu de quelques femmes incarcérées.

Ça vous donne une idée du ton, d’une exposition qui se veut par ailleurs immersive, et qui plonge le spectateur directement dans une réalité méconnue et souvent mal connue. Et par réalité, on ne pense pas à leur train-train quotidien. Mais plutôt au ressenti de ces femmes. À leurs émotions. À leurs déceptions. Et à leurs défis. Si uniques et si particuliers.

Sans préambule ni autre explication, elles se livrent chacune leur tour directement à la caméra, abordant un sujet, un angle ou un souvenir de leur choix.

D’où l’impression d’assister ici, et pendant une vingtaine de minutes, à une série de confidences. Certaines particulièrement touchantes. Qui risquent de vous habiter longtemps.

Il y a donc Michèle, qui révèle son grand amour pour un homme malheureusement emporté par la maladie (« un ange qui veille sur moi »), lequel, détail déchirant s’il en faut, n’aura jamais eu la permission de lui rendre visite en prison.

Puis Carole, la plus jeune de cinq enfants, si déçue que ses parents ne l’aient jamais connue autrement (« j’aurais tellement voulu qu’ils voient autre chose de leur fille »).

Sans oublier Sylvie, qui a voulu rendre ici un hommage inusité à une religieuse apparemment bien connue de toutes les femmes incarcérées : sœur Marguerite. « Elle m’a tellement donné de réconfort, cette femme-là, explique l’artiste communautaire en entrevue, c’est pour elle que j’ai fait l’œuvre. Pour cette femme exceptionnelle. Toutes les femmes qui ont fait de la prison connaissent sœur Marguerite. Elle a le cœur sur la main ! »

Art et réinsertion

Aujourd’hui sortie de sa maison de transition, Sylvie espère aussi que cette expo servira à illustrer le pouvoir insoupçonné de l’art communautaire en matière de réinsertion sociale. « Moi, je ne retourne plus dans mon ancienne vie. C’est fini, là ! », lance-t-elle spontanément.

Rappelons que les projets du collectif Art Entr’Elles sont tous réalisés par des femmes en processus de réinsertion, en collaboration avec des artistes professionnels. « Nous privilégions le processus créatif non hiérarchique, tout le monde est sur un pied d’égalité », explique Anne-Céline Genevois, coordonnatrice des programmes et du développement.

Ce faisant, « les artistes professionnels arrivent avec leur expérience professionnelle, et les artistes communautaires, avec leur expérience de vie ». N’empêche que ces dernières participent à l’entièreté du processus de création, de l’idéation à la postproduction.

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Anne-Céline Genevois, coordonnatrice des programmes et du développement d’Art Entr’Elles, accompagnée d’Hubert Lafore, scénographe du projet

Objectif : offrir ici une œuvre empreinte de justice sociale, à la fois dans le fond, mais aussi dans la forme. « Créer avec, et non sur », résume la coordonnatrice, au service du collectif depuis ses débuts, il y a un peu plus de 10 ans.

Au total, Anne-Céline Genevois a d’ailleurs vu passer une bonne soixantaine de femmes judiciarisées, à l’œuvre dans huit projets différents. « Et à chaque projet, je deviens quelqu’un de plus humain… »

Dénombrement, un regard sur l’incarcération au féminin est présentée par le collectif Art Entr’Elles, en partenariat avec la Société Elizabeth Fry du Québec, à l’Ausgang Plaza jusqu’au 16 octobre. Pour aller plus loin, le 14 octobre : la conférence Prise de parole des femmes judiciarisées : enjeux et conséquences.

Visitez la page Facebook de l’organisme pour la conférence