La commissaire de Momenta 2021, la Norvégienne d’origine allemande Stefanie Hessler, a eu bien des défis à relever pour monter la Biennale en pleine pandémie. Assistée par les commissaires Camille Georgeson-Usher, Maude Johnson et Himali Singh Soin, elle est parvenue à dégoter une série d’artistes internationaux de qualité et dont les travaux collent au thème choisi.
L’angle de traitement de la question environnementale est hardi. Il donne la parole à la diversité biologique plutôt qu’aux coups de semonce découlant de l’état inquiétant de la planète. Un thème adapté à la nécessité de considérer la nature avec plus de compassion qu’on en a pour nous-mêmes, suggère Stefanie Hessler.
« Pour réaliser aussi que la nature a sa propre force et ce pouvoir de nous faire vivre des expériences uniques, parfois même érotiques, dit-elle. Comme lorsque je suis allée ramasser des baies dans la forêt norvégienne récemment. Une activité qui m’a fait réaliser la relation forte qu’on peut avoir avec la nature, mais aussi elle-même, avec nous. »
La Biennale est ainsi une autre façon de réfléchir à notre condition d’être vivant en contact permanent avec cet environnement dont on partage et définit la destinée. « Momenta 2021 est aussi très ancrée localement, ajoute la commissaire Maude Johnson. En termes d’enjeux qui résonnent à Montréal ou au Canada. »
C’est le cas de l’œuvre des Canadiennes Ts̱ēmā Igharas et Erin Siddall, commandée par Momenta et par la Toronto Biennial of Art. Présentée à la Galerie de l’UQAM, l’installation Great Bear Money Rock évoque une mine d’uranium des Territoires du Nord-Ouest pour laquelle des autochtones ont longtemps travaillé. « Sans qu’on les prévienne des dangers, même quand ils ont été connus, dit Stefanie Hessler. L’œuvre parle des conséquences de la mine sur la nature et sur les communautés locales, une centaine d’années encore après son ouverture. »
Plusieurs nations autochtones sont représentées à Momenta. Leur participation s’imposait compte tenu des liens privilégiés, intimes et ancestraux des autochtones avec la nature. Un des trois projets spéciaux de Momenta est un jardin réalisé près de la Grande Bibliothèque, par un collectif autochtone mené par l’ethnobotaniste vancouvéroise T’uy’t’tanat-Cease Wyss, avec l’aide des artistes Silverbear et Joce Two Crows Tremblay. Un véritable espace de rencontre pour la Biennale.
Léuli Eshrāgi
Originaire de Samoa et ayant vécu à Montréal, Léuli Eshrāgi célèbre, dans un même souci identitaire, ses racines polynésiennes. Abordant l’influence des missionnaires religieux dans la disparition de traditions locales, il expose, à Diagonale, une sorte de temple de célébration constitué d’images et de motifs reliés à un dieu-pieuvre de la culture samoane.
Sentir l’éphémère
Artiste fascinée par la biologie végétale, Miriam Simun s’est intéressée à la senteur d’une petite plante aux fleurs roses, originaire de la Nouvelle-Angleterre. Agalinis acuta est en voie d’extinction. Sa floraison ne dure que quelques heures, une seule journée par an. Miriam Simun a réussi à échantillonner cette senteur. Humer son odeur très rare est ainsi possible à la Galerie de l’UQAM dans le cadre de son installation qui la diffuse dans la pièce.
Anne Duk Hee Jordan
Artiste sud-coréenne habitant à Berlin, Anne Duk Hee Jordan présente Intimité de l’inconnu au Musée des beaux-arts de Montréal, un solo consacré aux connexions intenses entre espèces animales et végétales dans la nature. Des animations robotiques et deux vidéos portent notamment sur l’intimité de ces relations entre êtres vivants.
Suzanne M. Winterling
L’artiste allemande Suzanne M. Winterling s’intéresse aux phénomènes biologiques peu documentés telle la capacité phosphorescente de certaines algues minuscules. Elle s’en est servie pour composer un spectacle de lumière dont les acteurs sont… des organismes aquatiques. Son opéra immersif présenté à Vox, planetary opera in three acts, divided by the currents, rappelle le rôle des micro-organismes dans la survie de leur écosystème.
Carolina Caycedo
L’artiste californienne d’origine colombienne présente, à Vox et à la Galerie de l’UQAM, ses Water Portraits, des impressions textiles de grand format créées à partir d’images aquatiques et inspirées de traditions chamaniques. Des rivières kaléidoscopiques au fort potentiel immersif qui sensibilisent à la valeur de l’eau, en tant que ressource vitale, et au destin compliqué des communautés autochtones qui en manquent très souvent.
Caroline Monnet et Laura Ortman
Ces deux artistes aux ascendances autochtones présentent, au musée McCord, l’installation From My House to Yours, résultant d’un échange épistolaire virtuel durant le confinement. Une correspondance entre Brooklyn et Montréal faite de mots, d’images et de sons qui a permis de créer un espace commun. Caroline Monnet y a réalisé une impression évoquant des ondes, des radiations, des liens, mais aussi la force du témoignage. La musicienne Laura Ortman y a ajouté une composition sonore inédite.
Momenta présentera aussi des performances, des ateliers éducatifs, des balados en ligne et un parcours en réalité augmentée pour relier les expositions et inciter à la déambulation « après avoir été enfermés si longtemps », dit Audrey Genois, directrice générale de Momenta. Le parcours est une sorte de Pokémon GO, mais le participant y trouvera plutôt des œuvres d’art sur son téléphone cellulaire.