L’art a le pouvoir de changer nos perceptions. Et lorsqu’il évoque le réchauffement climatique, ce qu’il nous transmet, c’est l’urgence d’agir. Voici six œuvres, suggérées par des gens qui évoluent dans le domaine de l’environnement ou des arts.

Campagne électorale, de l’artiste espagnol Isaac Cordal, 2011

Suggérée par Sébastien Jodoin, professeur adjoint à l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droits de la personne et l’environnement

Cette sculpture a été présentée dans une rue de Berlin en 2011. Elle fait partie de la série d’art de rue Follow the Leaders, composée de petits personnages en ciment représentant des hommes chauves, en complet-cravate, mallette à la main, épaules voûtées — le « stéréotype associé au pouvoir ». Follow the Leaders se veut une réflexion critique sur notre inertie collective. Plusieurs ont vu dans la sculpture de Berlin une métaphore de l’inertie des États sur le plan climatique (sur Twitter, des utilisateurs l’ont même renommée Politiciens discutant du réchauffement climatique). Sébastien Jodoin trouve l’œuvre percutante. « Ça représente bien la myopie de la classe politique face aux changements climatiques et l’urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard », dit-il.

Le bruit des icebergs, de Caroline Gagné, 2016

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DE MONTRÉAL

L’installation Le bruit des icebergs

Suggérée par Marie-Ève Beaupré, conservatrice responsable de la collection au Musée d’art contemporain de Montréal

Récente acquisition du Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), cette installation sonore et vidéographique permet non seulement de voir un iceberg, mais aussi de l’entendre craquer, les basses fréquences faisant trembler une paroi de verre munie de haut-parleurs. L’œuvre est issue d’un tournage dans la région de St. Lunaire-Griquet, dans la grande péninsule du Nord, à Terre-Neuve. Elle nous oblige à réfléchir à la précarité de nos écosystèmes et aux impacts de notre culture matérielle, estime Marie-Ève Beaupré. « Alors que la lente disparition des glaciers s’accentue, conséquence du réchauffement climatique qui accélère leur fonte, cette œuvre amplifie les bruits de leur présence, comme une alerte perceptible à travers des occurrences poétiques et scientifiques », dit-elle.

Ice Watch, de l’artiste islandais Olafur Eliasson et du géologue Minik Rosing, 2015

PHOTO MARTIN ARGYROGLE, TIRÉE DU SITE DE L’ARTISTE OLAF URELIASSON

Ice Watch a été installée place du Panthéon, à Paris.

Suggérée par Diego Creimer, responsable solutions naturelles pour le climat et relations gouvernementales de la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec

Ice Watch a attiré l’attention du monde entier au cours de la Conférence de Paris sur les changements climatiques de 2015. L’œuvre est composée de 12 blocs de glace ayant été disposés en cercle au milieu de la place du Panthéon, comme les chiffres d’une horloge. Ces morceaux d’iceberg à la dérive ont été récupérés au large du Groenland, là où la fonte des glaciers est palpable. « Cette montre de glace éphémère évoque avec puissance le temps qui coule comme du sable entre nos doigts, le temps de notre survie, la fragilité de l’équilibre du monde naturel que nous avons perturbé, et l’urgence d’agir », estime Diego Creimer.

Shared Migration, de l’artiste Inuvialuit Abraham Anghik Ruben, 2013

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’ARTISTE

La sculpture Shared Migration

Suggérée par Catherine Gagnon, biologiste et auxiliaire de recherche à l’Université Laval

Cette sculpture en pierre à savon fait partie de la collection du Musée inuit Cerny. Selon l’artiste Abraham Anghik Ruben, originaire des Territoires du Nord-Ouest, elle représente Odin, dieu de la sagesse, de la poésie et de la mort dans la mythologie germanique. Odin soutient à bras tendus des continents où s’entassent des hommes, des corbeaux, des loups et des carcajous. La biologiste Catherine Gagnon y voit une métaphore du réchauffement climatique. « L’œuvre fait référence, dans son titre, aux déplacements humains qui seront causés par la hausse du niveau de la mer, dit-elle. Elle représente bien le fait que nous sommes tous dans le même bateau face à la crise environnementale actuelle. »

Le droit au froid, de Sheila Watt-Cloutier, 2019

IMAGE FOURNIE PAR ÉCOSOCIÉTÉ

Le droit au froid, de Sheila Watt-Cloutier

Suggérée par Laure Waridel, écosociologue et professeure associée à l’UQAM et co-instigatrice du mouvement Mères au front

Le droit au froid est le récit de la militante inuite Sheila Watt-Cloutier, de son enfance à Kuujjuaq, dans le nord du Québec, à son combat pour l’environnement et les droits de la personne sur la scène internationale. Si Laure Waridel devait choisir une seule œuvre témoignant des changements climatiques, ce serait cette perspective autochtone sur la question. « Ce livre soulève l’enjeu incontournable des droits humains liés aux changements climatiques et le rapport intime que nous entretenons avec le climat qui définit notre territoire », dit-elle. Pour Sheila Watt-Cloutier, c’est une question de droits de la personne : les changements climatiques menacent la culture et l’autonomie des Inuits, qui reposent sur le froid et la glace, mais aussi toutes les cultures de la planète.

La conscience des limites (Atlas), de Philippe Boissonnet, 2010

PHOTO MARIANE TREMBLAY, FOURNIE PAR L’UQTR

L’œuvre La conscience des limites (Atlas), de Philippe Boissonnet

Suggérée par Aimé Zayed, professeur titulaire au département de philosophie et des arts à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Cette œuvre du Québécois d’origine française Philippe Boissonnet est composée de deux personnages imprimés sur boîtiers lumineux et qui représentent, selon l’artiste, Atlas, personnage bienveillant de la mythologie grecque condamné à porter le monde sur ses épaules. Ils sont séparés par un écran où sont projetées des images saccadées d’un ballon gonflable. On y voit une planète Terre fragile, comme prise au piège. « Les deux bras tendus des personnages nous rappellent non seulement la dignité de la collaboration, mais aussi l’importance de la coopération entre les individus et entre les nations pour la pérennité de la planète Terre », estime Aimé Zayed, interpellé par l’œuvre de son collègue.