(New York) Une œuvre entièrement numérique de l’artiste américain Beeple a été vendue jeudi 69,3 millions de dollars par la maison d’enchères Christie’s, un record qui témoigne de la révolution en cours sur ce marché longtemps confidentiel.

Everydays : the First 5000 Days, assemblage de dessins et animations réalisés quotidiennement durant 5000 jours d’affilée, situe Mike Winkelmann, véritable nom de Beeple, parmi les trois artistes les plus chers du monde de leur vivant, tous supports confondus.

« Merde alors », a réagi Mike Winkelmann sur son compte Twitter après la clôture de la vente, qui aura duré deux semaines au total.

Deuxième record : quelque 22 millions d’internautes ont suivi les dernières minutes de la vente sur le site de Christie’s, pour ce qui constituait la première vente d’une œuvre entièrement numérique par une maison d’enchères majeure.

La quasi-totalité des participants à la vente (91 %) n’avait jamais enchéri chez Christie’s. Une majorité d’entre eux (58 %) avait entre 25 et 40 ans, selon la maison d’enchères.  

Âgé de 39 ans, Mike Winkelmann était connu pour ses projets numériques et collaborations, mais avant fin octobre, il n’avait encore jamais vendu d’œuvre à son nom.

La vente de jeudi illustre la montée en puissance d’une nouvelle technologie d’authentification, utilisant la « blockchain » utilisée pour les cryptomonnaies, présentée comme un remède miracle aux copies, un des freins au développement de l’art numérique.

Elle permet de commercialiser des œuvres – et à peu près tout ce qui est imaginable sur l’internet, des albums musicaux aux tweets de personnalités – sous la forme de « non-fungible token », « NFT », ou jeton non fongible.  

Cette appellation obscure, née en 2017, recouvre tout objet virtuel à l’identité, l’authenticité et la traçabilité en théorie incontestables et inviolables.

Depuis environ six mois que le « NFT » est entré dans le vocabulaire d’un cercle plus large d’internautes, les records se succèdent à un rythme échevelé et artistes, entrepreneurs, collectionneurs sont de plus en plus nombreux à vouloir en être.

« Des artistes utilisent du stockage de données et des logiciels pour créer de l’art et le diffuser sur l’internet depuis plus de vingt ans, mais il n’y avait pas (jusqu’ici) de véritable moyen pour le posséder et le collectionner », a commenté Mike Winkelmann, dans un communiqué publié par Christie’s après la vente. « Avec le “NFT”, tout ça a changé. »

« Nouveau chapitre de l’histoire de l’art »

Pour lui, « nous assistons au commencement d’un nouveau chapitre dans l’histoire de l’art, de l’art numérique ».  

L’art totalement dématérialisé renferme « autant de savoir-faire, de nuances et d’intentions que tout ce qui peut être fait sur un canevas physique », a-t-il ajouté. « Je suis plus qu’honoré et touché de représenter la communauté des arts numériques en cet instant historique. »

Fin février, une autre œuvre de Beeple, Crossroads, s’était déjà revendue 6,6 millions de dollars sur la plateforme Nifty Gateway, spécialisée dans les œuvres virtuelles. L’artiste a touché 10 % de ce montant, comme c’est l’usage sur la plupart des plateformes spécialisées.

Et une animation qu’il avait lui-même vendue fin octobre pour un dollar symbolique a récemment été acquise pour 150 000 dollars.

La plupart des objets numériques « NFT » peuvent être achetés avec de la cryptomonnaie, ce qui était le cas de l’œuvre de Beeple vendue jeudi par Christie’s, qui acceptait l’Ether, l’une des monnaies numériques les plus populaires.

Parmi les autres « NFT » très en vue : le premier tweet de Jack Dorsey, fondateur de Twitter, posté en 2006.  

Les enchères sont en cours sur la plateforme Valuables, et la plus élevée pour l’instant atteint 2,5 millions de dollars.

Témoin de son goût pour les nouvelles technologies, la ligue professionnelle nord-américaine de basket (NBA) a elle aussi lancé sa plateforme « NFT », Top Shot, qui commercialise des extraits vidéo de quelques secondes d’actions de jeu.

En février, un clip d’un envol de la star des Los Angeles Lakers LeBron James s’est vendu 208 000 dollars, record pour un « moment », le nom de ces extraits.

Le collectif Larva Labs est souvent considéré comme fondateur de cette nouvelle ère de la collection numérique. Dès 2017, il lançait le projet CryptoPunks, une série de 10 000 visages dessinés par ordinateur, tous différents, aux traits pixellisés et volontairement grossiers.

Chaque visage, sous forme « NFT », peut désormais se revendre sur la plateforme de Larva Labs. Mercredi, l’un d’entre eux, un visage avec pipe et casquette, a été racheté 7,5 millions de dollars par un acquéreur anonyme.

En musique, le groupe américain de rock Kings of Leon a mis en vente, la semaine dernière, une version « NFT » de son nouvel album When You See Yourself.