Comment l’artiste ancre-t-il son propre langage dans ses gestes artistiques ? Comment ce langage, véhicule des idées et des émotions, s’incarne-t-il dans sa démarche ? Que devient ce langage quand nos corps sont brutalement séparés et reclus, notamment en temps de pandémie ?
Ces questionnements ont incité les commissaires et conservateurs Mark Lanctôt et François LeTourneux à orchestrer une exposition intellectuellement musclée et agréable à découvrir. Une expo qui propose des pistes de réponse grâce à une multitude d’expressions artistiques. En effet, les 34 artistes ne sont pas, en majorité, nés au Québec, mais ils ont tous choisi Montréal pour créer.
C’est à la porte d’entrée même du MAC que le visiteur, dès que le musée rouvrira, pourra s’immerger dans l’âme de cette exposition sur la manière de faire et de dire. Et ce, avec une œuvre de Kite, une artiste autochtone de la nation oglala (Lakotas) qui partage son temps entre Los Angeles et Montréal. Une œuvre sonore accompagnée de petites incrustations sombres, discrètement ancrées dans les murs de l’entrée. Cet accueil artistique évoque une transition, un point de contact entre terres ancestrales et espace muséal.
Suit l’œuvre en quatre modules de Jacques Bilodeau qui peut être manipulée (sauf en cas de pandémie…) et dont le langage est de faire réfléchir à notre rapport à l’espace en cas de contrainte, par exemple un confinement.
L’astreinte du corps et le confinement sont aussi imprégnés dans la sculpture au long titre (Le périmètre du nouveau Centre de surveillance de l’Immigration (CSI) de Laval peut contenir 130 de ces structures), de l’artiste et militante Sheena Hoszko, une structure — faite de deux grillages et de six blocs de béton — qui ressemble en tous points aux 130 structures similaires qui séparent la liberté de la captivité au centre de détention des migrants situé à Laval.
Nicolas Lachance
Installation impressionnante aussi que celle de Nicolas Lachance. Douze œuvres de sa série Danse macabre (édition Heidelberg, 1488), qui montrent des contacts entre l’homme et la mort. Résignation, résistance, abandon, on assiste à différentes réactions de l’homme par rapport à son trépas. De grandes œuvres réalisées en s’inspirant de gravures sur bois tirées d’un livre allemand du Moyen Âge.
L’artiste a formé deux grandes couches de pulpe de coton mouillées, teintes puis séchées l’une après l’autre avant qu’il ne grave son dessin en grattant le papier de la première couche pour voir apparaître la seconde. Un langage fort, un hommage à la gravure et une création splendide.
Tout aussi remarquable est l’œuvre en tissu, perles, rubans et clous intitulée Famille [Kahwa:tsire], de Carla Hemlock, une artiste mohawk de Kahnawake. Entièrement faite à la main et constituée de multiples messages. Sur la culture céréalière ancestrale, la tradition de la poterie, du wampum et du tatouage chez les Mohawks et la maternité (avec la photo de son petit-fils au centre). Mais aussi sur la résistance, la fierté et la fragilité de ces autochtones illustrées par des motifs exprimant la force et par ces rubans qui se prolongent au sol et éloignent le visiteur de l’œuvre. Là aussi, le désir de dire s’est marié parfaitement aux gestes.
Guillaume Adjutor Provost
Dans les années 40, des dandys québécois s’étaient mis à porter des vêtements flamboyants qui contrastaient avec la mode de l’époque. Veston ample à épaulettes allant jusqu’aux cuisses, grands pantalons faisant penser aux cuissardes des pêcheurs. Les zoot-suiters se faisaient remarquer et furent considérés comme des empêcheurs de tourner en rond, des pacifistes antipatriotiques, etc.
Des bagarres entre ces originaux et des marins canadiens firent la une des journaux de 1944. Guillaume Adjutor Provost a ressuscité ce mouvement de contestation qui annonce le manifeste de Refus global avec une performance filmée fort intéressante, intitulée Zooter.
On passe aussi un bon moment avec l’installation vidéo Théâtre de l’inconnu de Mara Eagle. Une narration autour des papillons de nuit éphémères et, en fond sonore, des extraits apaisants de l’opéra Adriana Lecouvreur, peut-être pour nous dire de rester éveillés ! Car il s’agit d’une réflexion sur la nature soumise à l’industrialisation, notamment ces vers à soie génétiquement modifiés pour qu’ils soient plus productifs.
Cette prétention de l’homme de contrôler et de redéfinir la nature se retrouve dans le titre de l’exposition. Cette sorte de machine qui enseignait des airs aux oiseaux, c’était la serinette, un instrument de musique mécanique inventé au XVIIIe siècle. Il permettait d’apprendre des mélodies à des serins.
L’instrument incarnait une interface entre l’homme et l’oiseau, une sorte d’arrogance de l’homme toujours prompt à imposer sa volonté aux autres espèces animales. Cette exposition préconise au contraire l’importance du regard, de l’écoute, de l’humilité et de l’ouverture. Un langage qui incarne l’espoir.
Les amateurs auront droit à un aperçu virtuel gratuit de l’expo dès jeudi sur le site du MAC. Par ailleurs, un catalogue, très complet, donne des clés pour cette exposition lumineuse et tout autant adaptée au regard des enfants. Une visite, en 2021, avec l’un des deux commissaires est vivement conseillée tant la richesse et l’esthétisme qu’on y retrouve découle aussi de la profondeur de leur travail.