L’approche humaniste de Riopelle, son attirance pour la nature, les grands espaces du Nord canadien et les autochtones sont traités avec brio dans une nouvelle exposition du Musée des beaux-arts de Montréal, Riopelle : à la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones. Elle sera accessible quand le musée rouvrira, mais les amateurs d’art pourront l’apprécier en ligne à partir du 1er décembre.
Le père Noël est en avance au Musée des beaux-arts cette année ! C’est ce que nous avons pensé, mercredi, en découvrant ce véritable bijou qu’est la nouvelle exposition consacrée à Jean Paul Riopelle, qui réunit 110 de ses œuvres.
La Presse a vécu un moment d’émotion. Revenir au Musée des beaux-arts, flâner dans ses grandes salles, sentir la beauté de ce grand lieu qui manque tellement actuellement aux amateurs d’art. Pouvoir admirer tant d’œuvres de Riopelle (1923-2002) permet de s’imprégner, à nouveau, de ses couleurs et de son lyrisme. Et de les voir associées à de précieuses créations autochtones, quel plaisir et quelle bonne idée !
L’idéation de Riopelle : à la rencontre des territoires nordiques et des cultures autochtones, qui compte 160 œuvres – dont des œuvres autochtones –, revient aux initiatives de deux femmes aussi passionnées par Riopelle que tenaces : Yseult Riopelle, fille aînée de l’artiste, auteure et éditrice du catalogue raisonné de Jean Paul Riopelle, et Nathalie Bondil, ex-directrice générale et conservatrice en chef du musée de la rue Sherbrooke.
L’exposition est donc la conjonction de deux thématiques. La première a été élaborée à l’origine par Yseult Riopelle, dont le projet Riopelle, nordicité et inspirations remonte à 2003. Elle l’avait proposé une première fois au MBAM, puis au Musée national des beaux-arts du Québec, ensuite à un musée italien en 2009 et finalement à l’ex-Centre d’art de Saint-Jérôme, en 2010. Chaque fois, sa suggestion n’a pas abouti.
Nathalie Bondil avait de son côté à l’esprit de créer un cycle d’expositions sur les collectionneurs, notamment une sur Champlain Charest, grand ami de Riopelle. Leurs voyages ensemble dans le Grand Nord, pour chasser et pêcher. Leurs rencontres avec des guides autochtones, etc. L’idée de Mme Bondil a été jumelée au projet initial d’Yseult Riopelle, « ce qui a fait que l’expo a pris un autre envol », dit cette dernière.
« Ce qui est intéressant, c’est que la plupart des œuvres ont été faites en France, ajoute Yseult Riopelle. On a l’impression que Jean Paul a toujours été au Québec, mais on a tendance à oublier que chaque fois qu’il a été dans le Grand Nord, c’était pour une semaine ou deux. »
Pour Yseult Riopelle, le rêve et l’imagination ont été des inspirations essentielles du grand maître. « Il était capable dans certaines œuvres de mêler des inspirations provenant de la côte du Pacifique et d’autres du Nord québécois, dit-elle. C’est une transposition et c’est vraiment particulier. D’ailleurs, il le dit : ‟Mes Esquimaux viennent de Paris.” »
La qualité de cette exposition résulte sans nul doute de la collaboration intense de trois commissaires de grand talent qui l’ont réalisée. « Travailler avec l’historienne de l’art Andréanne Roy et Jacques Des Rochers [le conservateur de l’art québécois et canadien (avant 1945)] a été bénéfique, car chacun a apporté quelque chose de différent au projet », dit Yseult Riopelle.
Pour le directeur général du MBAM, Stéphane Aquin, cette exposition est une « lecture de fond de l’œuvre de Riopelle […], un homme de nature, mais aussi de culture ». De culture et de rencontres. L’attirance de Riopelle pour la connaissance, notamment des autres, comme sa soif de découvrir, est partout dans cette exposition.
À commencer par les deux œuvres qui accueillent le visiteur, en haut du majestueux escalier du pavillon Hornstein. Au centre, Point de rencontre, une œuvre monumentale réalisée au départ pour l’aéroport Pearson de Toronto, et évoquant l’origine du nom de la Ville Reine, au départ, attribué par des Mohawks à une étroite zone lacustre située entre le lac Simcoe et le lac Couchiching, un point de rencontre. Cette œuvre a été associée à une installation de couleur moutarde aussi monumentale de l’artiste cri Duane Linklater, originaire du nord de l’Ontario.
Deux œuvres qui, côte à côte, signent la quête d’harmonie de Riopelle, qui multipliait les occasions de côtoyer des gens passionnés, qu’ils soient artistes, collectionneurs, chasseurs, hommes des bois ou autochtones. L’expo met ainsi en valeur cette ouverture de Riopelle aux Premières Nations, due tant à sa terre d’origine qu’aux amitiés développées à Paris dès son arrivée en 1947. Il a été très tôt amené à se lier avec des surréalistes tels le poète André Breton ou l’historien de l’art Georges Duthuit, tous deux collectionneurs et amateurs d’art des premiers peuples.
Le travail des commissaires a ainsi permis de faire toute une série de rapprochements entre des œuvres autochtones et des créations de Riopelle. Comme on peut le voir avec deux de ses lithographies, Masques et Sans titre, réalisées à la fin des années 70. Andréanne Roy a dit sa satisfaction que le musée puisse exposer ces œuvres d’art autochtones afin de mettre en parallèle l’objet et sa représentation par Riopelle.
On peut également admirer plusieurs hiboux de Jean Paul Riopelle, sa série des Rois de Thulé ou encore des toiles qu’il a peintes en parallèle, avec le procédé de décalquage. Des œuvres de collections différentes qui se retrouvent de nouveau côte à côte. Un constat qui coupe le souffle et permet d’apprécier le travail de différenciation de l’artiste.
Cette exposition éblouissante, gratuite dans sa déclinaison virtuelle, sera physiquement accessible au public, vraisemblablement en janvier. Une expo réconfortante dont le MBAM promet une version virtuelle de grande qualité pour parvenir à s’imprégner des œuvres, de la scénographie aérée et donc appropriée puisqu’elle tient compte, malgré la fermeture du musée, des mesures sanitaires nécessaires en ces temps de pandémie.
Voici un hommage à Riopelle réussi après la déception de l’annulation du projet d’espace Riopelle par le nouveau C.A. du MBAM. Un hommage dans la lignée du traitement réservé par ce musée au grand peintre et sculpteur, selon Stéphane Aquin : « Nous sommes le musée, je pense, qui a rendu à Riopelle la place la plus grande et celle qui lui est due », a-t-il dit, mercredi, aux médias, par visioconférence.