Elles sont considérées comme des commerces, mais on leur interdit d’organiser des rassemblements. Comment les galeries d’art s’adaptent-elles aux nouvelles mesures de confinement du gouvernement ? La Presse a fait le tour de quelques galeristes de la zone rouge montréalaise.

Le monde des arts visuels, musées et centres d’artistes en tête, a été emporté (de nouveau) par les mesures de reconfinement en vigueur depuis le 1er octobre dernier – même si aucune éclosion n’a été rapportée dans ces lieux depuis leur réouverture, faut-il rappeler.

Seule exception : les galeries d’art, considérées comme des commerces (comme les librairies). Elles peuvent rester ouvertes. Mais attention, a averti le ministère de la Culture et des Communications, l’interdiction de rassemblement s’applique à elles, donc « pas de vernissage et pas d’évènement organisé ».

Comment, dans ce contexte étrange, rester ouvert ? En vérité, plusieurs galeries ont choisi de suspendre leurs activités pendant toute la durée du mois d’octobre (pour commencer), préférant se rabattre sur la diffusion de contenus en ligne – expos virtuelles, entretiens, conférences, etc.

C’est le cas, par exemple, de la galerie Leonard and Bina Ellen, qui a reporté son expo Aller à, faire avec, passer pareil, à « plus tard cet automne », du 1700 La Poste, qui a interrompu l’expo de la photographe Geneviève Cadieux, ou encore de la Galerie B-312, fermée au public « pour une durée indéterminée ».

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE LA GALERIE SIMON BLAIS

Marie-Ève Beaulieu présente l’exposition Matières brutes à la galerie Simon Blais.

La galerie Simon Blais, elle, est demeurée ouverte. Ses deux expos (Imprévisible de Catherine Farish et Matières brutes de Marie-Ève Beaulieu) sont maintenues à l’affiche jusqu’au 24 octobre, comme prévu. Les mesures sanitaires sont les mêmes qu’avant, nous dit-on, sauf qu’on limite le nombre de visiteurs. Nora Saïeb, assistante à la galerie, nous parle d’un « maximum de cinq ou six personnes ».

Édifice Belgo : quelques galeries ouvertes au public

Dans l’édifice Belgo, rue Saint-Catherine Ouest, qui abrite environ 25 galeries d’art et centres d’artistes, une visite des lieux nous a permis de constater qu’à peine cinq ou six galeries étaient toujours ouvertes au public – en nombre réduit ou sur appel.

Sur place, nous croisons Louis Joncas, de la galerie Laroche/Joncas. Le galeriste qui a fait parler de lui au Cap-Breton – il a ouvert une galerie dans le petit village de pêcheurs de Gabarus en pleine pandémie ! – s’affairait à accrocher les œuvres de l’acteur et artiste visuel canadien Stephen Lack (qui vit à New York), dont l’expo devait avoir lieu au printemps.

Le public pourra donc voir dès samedi une douzaine de ses œuvres, mais Louis Joncas ne laissera que trois ou quatre personnes à la fois entrer dans sa galerie.

« On communique avec les gens grâce à notre liste d’envoi et puis on met toutes les infos sur notre site web », nous dit Louis Joncas.

Depuis le printemps, les gens prennent rendez-vous. Quant à nos ventes, elles se font majoritairement en ligne. On utilise le site Artsy, et puis il faut dire que plusieurs œuvres passent directement du studio de l’artiste au collectionneur.

Louis Joncas, de la galerie Laroche/Joncas

En novembre, ce seront les œuvres du peintre québécois Dan Brault qui tapisseront les murs de Laroche/Joncas.

Deux portes à côté, se trouve Vincent McBride, de la galerie McBride Contemporain. La situation actuelle n’est pas facile à gérer, admet le galeriste qui est au Belgo depuis trois ans. Avec sa directrice, Katerina Bradshaw, ils ont opté pour des expos sur rendez-vous. Avec un maximum de deux personnes à la fois dans l’espace qu’ils occupent au Belgo.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le fondateur de la galerie McBride Contemporain, Vincent McBride, et sa directrice Katerina Bradshaw présenteront l’expo Chutes chromatiques en ne laissant entrer qu’un tout petit nombre de visiteurs : deux à la fois.

Actuellement, c’est l’expo Chutes chromatiques, des peintres d’art abstrait Frédérique Ulman-Gagné et David Blatherwick, qui est à l’affiche.

« Le succès d’une expo sur rendez-vous passe par une campagne publicitaire sur les réseaux sociaux, nous dit Katerina Bradshaw, qui ne s’attend pas à voir beaucoup de gens dans l’édifice ce mois-ci. C’est sûr que c’est plus difficile de vendre des œuvres en ligne, mais honnêtement, de ce côté, ça se passe plutôt bien. Nos ventes se comparent à celles d’avant la pandémie », note-t-elle.

Les centres d’artistes désavantagés

De leur côté, les centres d’artistes autogérés, affiliés aux musées, ne l’ont pas eu facile. En particulier ceux logés dans l’édifice Belgo, qui côtoient les galeries dites commerciales.

Lorsque le ministère de la Culture et des Communications a annoncé ses premières mesures de déconfinement, les musées ont fait partie des « privilégiés », recevant le feu vert pour rouvrir leurs portes dès le 29 mai. Mais les centres d’artistes abrités au Belgo n’ont pu rouvrir avant le déconfinement… des centres commerciaux ! C’est que l’édifice est considéré comme un centre commercial.

Maintenant que les galeries peuvent rester ouvertes, les centres d’artistes, qui sont des OBNL – et qui ne peuvent vendre leurs œuvres, hormis pendant des expos-bénéfices – doivent rester fermés (tout comme les musées), même s’ils appliquent exactement les mêmes mesures sanitaires que les galeries, avec qui ils voisinent…

« C’est une situation difficile », nous dit la directrice de Circa, art actuel, Émilie Granjon, qui a dû interrompre son expo First Rain, de Krishnaraj Chonat, le 1er octobre dernier.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La directrice du centre d’artistes Circa art actuel, Émilie Granjon, dans son atelier du Belgo.

On est tiraillé entre notre affiliation aux musées, parce que nous sommes des OBNL, et le fait que la manière dont on reçoit le public est exactement la même que celle des galeries du Belgo. Les gens qui font le tour des lieux de diffusion le voient, on a les mêmes normes, le port du masque, le gel, le nombre de visiteurs qu’on a limité…

Émilie Granjon, directrice du centre d’artistes Circa art actuel

Même situation chez Skol, un étage plus bas, qui a dû fermer ses portes au public. Seule exception, le centre d’artistes organise l’accrochage « privé » du projet de maîtrise de Mancy Rezaei, étudiante à l’UQAM – pour lequel une personne à la fois sera admise dans l’espace de création. L’expo sera également relayée sur Instagram, nous a indiqué la coordinatrice aux communications, Ileana Hernandez.

Le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ) a partagé sa « déception et sa confusion » à la suite des annonces gouvernementales.

« Ayant le statut de petits organismes culturels, les centres d’artistes voués à la diffusion s’apparentent davantage, de par leur taille, aux galeries d’art commerciales, ayant des dispositifs d’accueil quasi identiques pour les visiteurs des expositions. Se côtoyant parfois dans un même édifice ou au même étage, les galeries d’art peuvent aujourd’hui demeurer ouvertes et accessibles au public, pendant que les centres d’artistes doivent fermer boutique. »

Interrogé à ce propos, un porte-parole du Ministère a indiqué qu’il s'agissait d'une décision de la Santé publique. « Nous comprenons la situation dans laquelle se trouvent les centres d’artistes, a-t-il expliqué par écrit. L’évolution de la pandémie nous a obligés à prendre des décisions difficiles, ayant toujours comme priorité la santé des Québécois. Bien que nous ayons annoncé un plan de relance en culture qui s’élève maintenant à 450 millions de dollars, nous continuons d’être à l’écoute du milieu et d’être en mode solution. »