En phase avec les préoccupations sociales et artistiques actuelles, la Fondation Phi présente, jusqu’à la fin de novembre, l’exposition Relations : la diaspora et la peinture, une réflexion sur la diversité d’expression picturale de peintres renommés vivant au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, et nés à l’extérieur de leur pays de résidence.
Pourquoi cette exposition collective nous a-t-elle semblé si substantielle et vivifiante ? À cause de la qualité des 27 peintres choisis par la commissaire Cheryl Sim, directrice générale de Phi ? Parce que ce déploiement de 50 œuvres reflète la stimulante complexité d’artistes hybrides dont la culture d’origine télescope leur vécu dans leur communauté d’accueil ? Sans doute les deux, aurait-on tendance à conclure après avoir parcouru cette exposition sur les questions d’identité, de mémoire et d’héritage culturel. Des questions traitées par des artistes qui ne se gênent pas pour faire tomber de leur piédestal des idées désuètes ou erronées, héritées de toutes les formes de colonialisme.
Parlez-en à Firelei Báez, Américaine d’origine dominicaine. Ses gouaches sont impressionnantes d’affirmation. Years of holding your tongue évoque Ciguapa, une créature mythologique de la République dominicaine aux longs cheveux bruns et aux pieds orientés... vers l’arrière !
Mais l’artiste new-yorkaise n’a pas retenu cette malformation légendaire et a choisi plutôt de faire de Ciguapa un personnage ambigu, aux jambes poilues comme les pattes d'un animal, mais solidaire et enraciné dans la culture dominicaine comme le montre Ooloi Ciguapa (mass pedigrees of masterpieces unsold).
Marigold Santos, d’origine philippine, plonge aussi dans ses souvenirs d’enfance, revisitant une autre figure mythologique, l’Asuang, qui avait la capacité de fragmenter son corps. Mais si les colonisateurs espagnols des Philippines l’avaient rendue méchante, l’artiste diplômée de Concordia lui confère plutôt force et résilience.
L’artiste montréalaise Shanna Strauss, d’origine américaine et tanzanienne, s’abreuve aussi à son histoire personnelle. Avec Bee-keeper, une photo de sa grand-mère, « gardienne de la mémoire », reproduite sur du bois ornementé de motifs traditionnels. Et avec We are the Bridges, une murale créée pour l’expo avec l’artiste urbaine queer d’origine colombienne Jessica Sabogal. Une œuvre qui met en exergue la puissance de la lutte des minorités.
Les luttes, Barkley Leonnard Hendricks, peintre américain qui s’est éteint en 2017, en connaissait un bout. La commissaire a choisi de lui rendre hommage en présentant deux de ses portraits de citoyens afro-américains, une série entreprise dès les années 70 en réaction au manque de visibilité des images de Noirs dans les médias et les galeries d’art.
L’artiste américaine Maia Cruz Palileo n’a pas travaillé sur la visibilité, mais a retracé des clichés paternalistes pris par un photographe américain à l’époque où son pays d’origine, les Philippines, était colonisé par les États-Unis, soit durant la première moitié du XXe siècle. Elle en a tiré des huiles qui montrent des artistes en pleine concentration et remplis d’humanité.
Bonne idée également que celle d’avoir obtenu une toile figurative de Salman Toor. D’origine pakistanaise, il peint la réalité new-yorkaise avec une touche impressionniste. L’œuvre choisie, Group, est toutefois moins représentative de sa production (qui fera l’objet bientôt d’un solo au Whitney), soit des mises en scène de jeunes gais « non blancs » dans des bars ou dans leur intimité.
Bien du plaisir aussi de retrouver des créations de la Torontoise d’origine sri-lankaise Rajni Perera à Montréal, dont Ancestor 1 et Ancestor 2. Ses personnages colorés représentent des ancêtres... du futur. Avec des yeux à la vision multiple comme ceux des immigrants qui verraient les choses sous bien des angles...
Tout près, Night Has Arrived, œuvre brodée de Jordan Nassar, artiste new-yorkais d’origine palestinienne. Tissé avec des artisanes de Cisjordanie, son paysage flou agence des motifs du Proche-Orient aux fruits de son imagination.
L’exposition présente aussi deux encres de la série Chiromancie de l’artiste montréalais Moridja Kitenge Banza, sur son évolution personnelle depuis qu’il a quitté son Congo natal. Et un travail sur des teintes de bleu de Rick Leong. Les toiles Goldstream et Wild Willow fusionnent tradition picturale canadienne et classicisme chinois. L’expression d’une belle sérénité, en filigrane.
Juste à côté, des bleus comparables jaillissent de l’installation Blue Backdrop for Minor Arts du New-Yorkais d’origine iranienne Kamrooz Aram. Une juxtaposition libre et ludique de céramiques et d’ornementation qui critique cet autoritarisme qui dissocie l’art occidental de l’artisanat traditionnel oriental.
Deuxième partie
Tout aussi enrichissante, la seconde partie de l’exposition comprend l’œuvre textile Victorian Dancers du Britannico-Nigérian Yinka Shonibare. Une satire de l’eurocentrisme et de l’appropriation culturelle, avec cette histoire fascinante du tissu wax des Néerlandais, contrefaçon du batik indonésien, semble-t-il, et introduit ultérieurement en Afrique.
Chance vous sera également donnée d’admirer I Learned the Hard Way, magnifique et immense tableau de l’artiste américaine Mickalene Thomas, déjà exposé au Musée des beaux-arts de Montréal, à qui il appartient. Un tableau constitué d’éléments peints qui miment parfois le contreplaqué.
Avec Ed Pien, Jinny Yu et Cy Gavin, on aborde les affres des guerres et de l’esclavage, les racines, les mythes, les injustices envers les autochtones. Jinny Yu a disposé une installation d’œuvres minimalistes sur sa réalité de Canadienne d’origine coréenne installée sur un « territoire autochtone non cédé ». Évoquant son défi de devoir vivre en tenant compte de cette réalité.
Enfin, on découvre les dernières œuvres de Manuel Mathieu, que le peintre haïtien de Montréal a créées lors de sa résidence en Allemagne, l’hiver dernier. Enfin ! Des œuvres intuitives, complexes, mi-figuratives mi-abstraites, sur les contrastes de son pays natal, entre violences et beautés. Des peintures-cicatrices pour lesquelles il a usé du feu, de la craie et du tissu (St-Jak 3), ou encore du silicone (Imaginary Landscape).
Ajoutez à tout ça une peinture coulée de Frank Bowling, des huiles miniatures d’Hajra Waheed suggérant son enfance compliquée en Arabie saoudite, les réminiscences du Canadien Curtis Talwst Santiago sur les carnavals colorés de Trinidad, terre natale de ses parents, des œuvres de Larry Achiampong, Hurvin Anderson, Lubaina Himid, Julie Mehretu, Yoko Ono ou encore Bharti Kher. Et vous obtenez une exposition vraiment touchante, témoignant de la profondeur de cette luxuriance artistique plurielle, née de la diversité et désormais honorée comme il se doit.
À noter que la Fondation Phi a adopté un nouvel horaire pour l’ouverture des deux espaces de cette exposition (451 et 465, rue Saint-Jean). Compte tenu de la pandémie, les visiteurs doivent réserver leur plage horaire.
Relations : la diaspora et la peinture, à la Fondation Phi, jusqu’au 29 novembre
Consultez le site de la Fondation Phi