L'artiste visuelle Karine Payette poursuit ses recherches sur notre relation ambiguë avec les animaux que l'on domestique ou confine, notamment dans les zoos. Son exposition Espaces sans espèces, présentée à la Maison des arts de Laval, fait réfléchir à la condition animale.

Alors qu'elle visitait le zoo de Berlin, il y a quelques années, Karine Payette a été intriguée par un éléphant qui faisait sans cesse le même mouvement avec ses pattes, comme s'il était attaché à une chaîne. Le malaise qu'elle a ressenti l'a poussée à entreprendre une recherche sur les animaux en captivité.

L'artiste a profité du fait que le Biodôme de Montréal était fermé pour des rénovations pour y passer en revue les habitats des animaux qui étaient vides. «J'ai constaté le côté réaliste qu'on tente de créer pour ces animaux et le côté complètement faux», dit-elle.

L'artiste en a tiré huit installations, réparties dans la grande salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval. Une scénographie soignée et une ambiance zen. L'impression se transforme toutefois quand on examine ses oeuvres de près. L'artiste de 35 ans n'a pas son pareil pour faire cohabiter confort et malaise.

L'Ours blanc

L'installation Espaces sans espèces III montre un faux ours blanc couché sur un plancher de béton. Un système mécanique imprime des mouvements à son ventre. «L'animal» dort paisiblement. Quand on scrute l'oeuvre, on remarque que l'habitat de l'ours est fort restreint et la lumière des néons, assez violente. On ressent une gêne. D'autant que des «blocs de glace» contenant des «fruits», qui lui ont été donnés pour l'occuper, n'ont pas été touchés, ou presque. L'ours préfère le poisson...

Le vide

Plusieurs oeuvres évoquent la déception des visiteurs d'un zoo quand ils ne parviennent pas à voir l'animal. C'est le cas d'Espaces sans espèces VIII. Dans ces trois vitrines à la lumière crue, on ne distingue aucun animal au milieu du paillis de bois.

Le singe

C'est aussi le cas d'Espaces sans espèces IV, un habitat pour des singes que l'on croit voir apparaître quand les lianes et les plantes vertes se mettent à bouger.

La volière

C'est aussi le cas de la volière Espaces sans espèces I, où l'on ne voit que des branches d'arbres sur lesquelles on a placé des fruits et, au sol, des plumes et des déjections d'oiseaux.

D'autres sculptures suggèrent la stéréotypie des animaux de zoo, cette tendance pour une bête enfermée de refaire sans cesse les mêmes mouvements.

Le reptile

Espaces sans espèces VII est une vitrine cubique contenant un peu de sable. Une forme s'y promène sous le sable en formant un cercle, comme si un serpent, une souris ou un lézard tournait sans arrêt dans cet habitat artificiel.

Le koala

Dans Espaces sans espèces II, une sorte de koala est accroché en haut de son poteau en ciment et ne semble pouvoir faire autre chose que de rester là.

L'aquarium

Dans Espaces sans espèces V, les «poissons» tournent sans fin dans l'aquarium. Cette oeuvre a déjà été exposée chez Circa l'an dernier.

Le félin

Dans Espaces sans espèces VI, on distingue sur le sol de la cage d'un félin la trace semi-circulaire de ses passages répétés depuis le podium où il se couche jusqu'à la porte de sortie de son habitat.

Le paysage naturel

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Karine Payette

Quelques «roches» en ciment - inspirées de celles qui se trouvent au Biodôme, dit Karine Payette - ont été dispersées dans la salle pour suggérer la tendance à mimer un paysage naturel. Mais ces blocs rocheux sont dotés d'une prise électrique ou d'une grille d'aération...

L'hébergement et l'exposition d'animaux sauvages dans des installations zoologiques suscitent des débats un peu partout dans le monde. Si Karine Payette ne veut pas être une «Brigitte Bardot», elle trouve que les espaces que l'on crée pour les animaux en captivité sont «questionnables». «Cette exposition est une réflexion sur le contrôle, les contraintes et la possession», dit-elle.

Espaces sans espèces, de Karine Payette, à la salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval (1395, boulevard de la Concorde Ouest, Laval), jusqu'au 20 avril.

Le Biodôme explique son approche

Ouvert en 1992, le Biodôme a-t-il une approche spécifique par rapport à ses animaux en captivité? Nous avons posé la question à son directeur, Yves Paris.

«Les droits des animaux ont beaucoup évolué depuis 25 ans, dit-il. Les normes de garde sont très serrées. Leur santé est au coeur de nos préoccupations. On a des diététiciens spécialisés pour nos animaux qui font l'objet de recherches et de programmes de sauvegarde. On a un singe tamarin-lion doré dont la population était de quelques centaines il y a 25 ans. Grâce aux efforts des zoos, sa population atteint maintenant des milliers d'individus. On essaie aussi de contrecarrer les phénomènes de stéréotypie. En modifiant des choses dans l'habitat, en stimulant l'animal, en lui cachant de la nourriture, en donnant par exemple des truites vivantes à nos loutres pour stimuler leur instinct naturel de chasse. Notre mission est de faire connaître la nature pour mieux la protéger. Avec les problèmes environnementaux actuels et les changements climatiques, les institutions zoologiques ont un rôle important à jouer.»

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Espaces sans espèces VI, 2019, Karine Payette