Derrière les oeuvres de Paul Bourgault se cache un véritable travail de moine. L'artiste conçoit des pochoirs qu'il fixe et déplace sur ses toiles pour peindre le moindre détail. Dans le cadre du défi que nous lui avons lancé, il a utilisé la même technique qu'à l'habitude, mais il a dû composer avec un imprévu. Peindre avec du jus de betteraves, ce n'est pas si simple que ça!

Ses choix d'ingrédients

Betteraves

Chocolat noir

Curcuma

Sa sélection

Betteraves

Pourquoi?

Si je travaillais en à-plat et en monochrome, j'aurais probablement choisi le curcuma pour jouer avec des teintes de jaune. Mais j'ai choisi les betteraves, car c'est un symbole au Québec. C'est un légume adapté à notre climat et il a longtemps été associé à la pauvreté. En plus, c'est un aliment d'une jolie couleur et il est facile à dessiner.

Avez-vous déjà travaillé avec des aliments?

J'ai travaillé une seule fois avec de la nourriture, il y a très longtemps, dans ma vingtaine. Avec deux amis, nous avons cloué des bagels séchés sur une toile et nous avons peint autour des pains ronds. Disons que c'était une mauvaise idée de fin de soirée!

Sinon, j'ai longtemps collectionné des étiquettes d'aliments. Je les décollais ou les découpais de leur emballage. Ensuite, j'en numérisais un certain nombre pour faire des «collages numériques» ou de vrais collages. Sur une toile, on pouvait reconnaître des olives, des Froot Loops ou des tableaux de valeurs nutritives.

Est-ce que la betterave s'est avérée une matière intéressante? 

Quand j'ai versé le jus de betterave dans le médium [NDLR: une solution pour modifier la texture de la peinture acrylique], la belle couleur fuchsia a viré au gris mauve. C'est comme le sang qui passe du rouge vif au brun, en séchant.

À mon avis, si j'avais choisi le curcuma, j'aurais fait face à la même réaction. Ce n'est pas pour rien que les peintres ne se sont jamais servis de betteraves. Ça fait des milliers d'années que les humains font de la peinture et il n'y a aucune oeuvre qui est faite de jus de betterave, de curcuma ou de chocolat!

Comment avez-vous pris de front le défi?

Tout au long de la création, j'ai pris ce défi comme un jeu, comme un projet spécial. Mais il reste que, la veille de l'échéance, j'étais quand même stressé. J'y ai mis la touche finale à 22 h.

J'ai travaillé au pinceau avec des caches et des pochoirs de ruban à masquer. Mon travail se rapproche beaucoup de celui de sérigraphe.

J'ai masqué chaque petite bande du fond avec un pochoir pour étendre deux ou trois couches de peinture et ajouter un glacis parfois brun, parfois rose. Pour chaque ligne, j'ai fabriqué un pochoir, je l'ai scellé sur la toile, j'ai peint et ainsi de suite. De cette manière, le fond n'est pas «flat».

Et il y a les lettres. Je ne passerai pas à l'Histoire pour ça, mais j'y ai mis 8 à 10 heures. Tout a été découpé avec un couteau de précision de style Exacto, les lettres et les ombrages.

Le résultat?

Étant donné que ce projet sort de mon quotidien, je me suis permis d'explorer de nouvelles pistes. J'ai effectué une recherche concernant les affiches publicitaires en alimentation. Je me suis intéressé à la perception que l'on se fait selon le genre d'aliments qu'on essaie de nous vendre.

«Mangez vos betteraves et méditez», c'est une espèce de propagande bienveillante. Ça s'inscrit dans la tendance du moment: il y a plus de végétaliens qu'il y a 30 ans, les gens mangent moins de viande et se questionnent davantage sur les organismes génétiquement modifiés.

J'ai donc voulu montrer que, lorsqu'on se retrouve devant une publicité bienveillante, on remarque moins qu'on essaie de nous convaincre d'acheter un produit ou de faire un geste précis. Une publicité qui promeut du steak enrobé de bacon va se faire juger différemment qu'une affiche qui vend des légumes. C'est moralisateur, «gentil».

Un secret derrière cette oeuvre? 

Pour moi, la meilleure musique pour peindre, c'est de l'opéra italien avec de grosses chicanes. C'est comme peindre avec ta famille à côté de toi. Sérieusement, quand j'écoute de l'opéra en travaillant, je trouve que les journées passent plus vite et j'ai l'impression de ne pas être seul dans mon atelier.

J'écoute aussi du hip-hop. Pas du gangsta rap, mais du hip-hop new-yorkais quand ça parle beaucoup. Je réponds et je jase avec la radio. Même si je l'adore, ça reste une job de solitaire!

Combien d'heures ont été investies dans le projet?

Peut-être une cinquantaine d'heures. Mais je n'ai pas compté.

Où voir le travail des artistes?

Après une année chargée en 2018, Paul Bourgault prend du temps pour se retrouver dans son atelier. Il est possible de contempler son travail sur son site web.

Photo Martin Tremblay, La Presse