Ce n’est pas en 2019, 500 ans après la mort de Léonard de Vinci, qu’on s’étonnera d’un dialogue entre sciences et art. Mais Patrick Coutu et Marina Gadonneix, à l’affiche au Musée d’art de Joliette, ont, comme les scientifiques, cette passion qui pousse à imaginer l’inédit et à dompter la matière.
Patrick Coutu
Mini-rétrospective des 10 dernières années de création de Patrick Coutu, L’attraction du paysage rend compte des préoccupations de ce grand sculpteur de la scène québécoise, qui élabore la plupart de ses œuvres en jonglant avec les mathématiques.
Prenons Éruption II, petite cousine d’Éruption, commandée à l’artiste par le Musée des beaux-arts de Montréal et installée en 2016 au troisième étage de son Pavillon pour la paix. Ces deux sculptures en laiton, qui évoquent une éruption solaire, découlent de calculs mathématiques.
Pour la série Vie et mort d’un système au départ aléatoire, Patrick Coutu a automatisé des déclinaisons de petits rectangles colorés en rouge et bleu et imprimés sur papier. Après un départ bien sage, les choses se compliquent. Comme pour un tissage sur un métier Jacquard qui en aurait eu assez de la programmation et qui aurait produit un tissu organique !
Patrick Coutu est également parvenu à se raccrocher au réel tout en injectant une belle dose de poésie avec sa Roche-mère, qui rappelle sa sculpture en aluminium Eaux profondes, exposée en 2018 au Musée des beaux-arts du Canada lors de la Biennale canadienne. Il avait alors moulé in situ une paroi d’ardoise du Témiscouata pour obtenir une œuvre au réalisme pétrographique du plus bel effet.
Même chose avec Roche-mère, sauf qu’il s’agit ici d’un moulage d’abord en silicone puis en plâtre sur lequel l’artiste a fait ruisseler des émaux. On distingue, dans Roche-mère, les traces des deux carottages réalisés pour révéler cette section de roche métamorphique après dynamitage. La sculpture est donc à la fois réaliste et imaginée. Un angle caché de la Terre soudain apparu et profilé par l’intervention humaine.
Récifs
On retrouve dans l’expo Récifs de Patrick Coutu ces interprétations de coraux s’élançant librement vers le soleil. Une réflexion sur la croissance des récifs en ayant recours à l’élément cubique. Des récifs conçus par ordinateur comme si le sculpteur les avait lui-même fait pousser ! Car Patrick Coutu n’est pas adepte de l’impression 3D. Il aime sentir poindre l’œuvre.
« Je n’aime pas l’aspect rigoureux et industriel, dit l’artiste en entrevue. J’ai plutôt découpé des cubes à la CNC [machine-outil à commande numérique], dans une sorte de styromousse, puis on les a assemblés, moulés en céramique avec des chemins de coulée et brûlés ; on a ensuite coulé le bronze dedans. »
Passionné par les mystères de la nature et ses formes diverses, Coutu aime expérimenter, comme pour Paysage aux quatre soleils couchants issu d’un mélange de pigments acides et basiques et d’un pliage délicat. Ou pour Frottés I, II et III, nés d’un encodage de données, d’un tissage et d’une présentation du tissu à l’envers pour dévoiler les effets cachés des instructions encodées.
Attracteur
Son dernier bronze argenté, Attracteur, résume son… attrait pour les mathématiques. Il a repris à son compte des modèles mathématiques pour générer, avec l’aide d’un informaticien, des attracteurs, ces constituants de base de la théorie du chaos. Quand un de ces graphiques en 3D lui a plu, il l’a retenu et en a fait cette pièce splendide à la forme organique et stellaire.
« Je ne me compare pas à l’avant-garde, lance Patrick Coutu, mais j’essaie toujours de faire avancer la sculpture. Là, j’ai essayé de pousser vers de nouvelles formes. La recherche permet maintenant de visualiser des objets purement abstraits. »
Marina Gadonneix
Phénomènes, de la photographe française Marina Gadonneix, découle de la même passion. Après avoir vu la photo d’un physicien norvégien du début du XXe siècle travaillant dans son laboratoire de recherche sur les aurores boréales, elle s’est mise à fréquenter les instituts scientifiques qui inventent des modèles pour comprendre des phénomènes naturels ou pour répliquer des conditions telles que la vie sur Mars.
Ses photographies émanent des dispositifs qui recréent ces phénomènes en laboratoire pour mieux les comprendre, voire les contrôler. Les images de Marina Gadonneix documentent ainsi la recherche, sans donner trop d’informations sur celle-ci.
Déjà présenté aux Rencontres de la photographie d’Arles, ce corpus, programmé dans le cadre d’une collaboration avec Momenta | Biennale de l’image, intéressera les amoureux des sciences. Les photographies sont accompagnées de cartels très complets qui détaillent chaque expérimentation.
Jean-Paul Jérôme
Moins cartésiennes et plus lyriques, des encres sur papier japon inédites de Jean-Paul Jérôme sont présentées près de l’expo permanente du musée. Il s’agit d’abstractions qui ont occupé le plasticien montréalais en 1969 et 1970. Larges coups de pinceaux, taches et gouttes colorées : ces œuvres gestuelles créées à même le sol surprennent, mais révèlent en même temps la nature libre et passionnée de Jean-Paul Jérôme, dont on ne se lasse pas de découvrir le génie.
Véronique Malo
Enfin, belle initiative que l’intégration temporaire, au cœur du Musée d’art de Joliette, des constructions photographiques de Véronique Malo. Réalisées en chambre noire à partir de photos en noir et blanc d’amateurs d’art de la région de Joliette, ces images montraient des personnes en interaction. L’artiste a découpé les espaces entre ces personnes pour les assembler.
Les Paysages entre nos corps se marie magnifiquement avec l’architecture du musée, notamment dans l’espace vitré du rez-de-chaussée. Une solide et agréable programmation à Joliette en cette fin d’année…