Légende vivante de l’art contemporain français, ORLAN sera à Montréal et à Québec, la semaine prochaine, pour une conférence, une classe de maître et une exposition. Célèbre pour avoir subi des opérations de chirurgie esthétique à des fins artistiques, ORLAN est une véritable sculpture vivante : son corps est souvent la matière première de son art… 

La dernière venue d’ORLAN au Québec remonte à 1997. Elle avait participé, aux Foufounes électriques, au festival Champ libre, alliant art et technologie. L’artiste « aux lettres capitales, entre autres et dans la mesure du possible » était en pleine gloire, après ses neuf mises en scène d’opérations de chirurgie esthétique subies pour parler de la violence faite au corps. 

C’est grâce à ses liens avec le centre d’art Le Lieu, à Québec, qu’elle est de retour chez nous. « Nous avons présenté une de ses installations en 1987 et elle y a participé à une rencontre d’art performance en 1992 », dit Richard Martel, directeur du Lieu. 

PHOTO ORLAN, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Bumpload, 2009, ORLAN

Mercredi prochain, ORLAN présentera une conférence à la Société des arts technologiques (SAT), à Montréal, avant de se rendre le lendemain dans la Vieille Capitale pour une classe de maître et une exposition.

« On s’était toujours dit, avec Richard Martel, qu’un jour, je viendrais créer dans le nouvel espace du Lieu, indique ORLAN, en entrevue téléphonique avec La Presse. Je viendrai donc parler de mon travail et présenter Pétition contre la mort, qui comprend des performances filmées qui expriment des positions claires par rapport aux grands problèmes de notre époque. » 

Parmi ces performances, J’ai faim, j’ai soif, et ça pourrait être pire et No Baby No… Où Sont les Écolos… ?, toutes deux créées l’an dernier. 

À propos de la mort, ORLAN estime que l’être humain peut aspirer à une plus grande longévité. « Pour moi, la mort est inacceptable, dit-elle. On nous dit que c’est inéluctable, mais le simple fait de tenter de sortir de ce cadre fait que, tout à coup, on peut ouvrir des fenêtres sur ce que pourrait être le monde si on ne mourait pas ou, en tout cas, si on avait une longévité importante comme l’ont certaines baleines, tortues ou des séquoias. Bien des personnes considèrent que la mort est une maladie et qu’un jour, on saura la guérir. » 

PHOTO ORLAN, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Photographie de la performance Tangible, Striptease en Nanoséquences, Université Paris Diderot, 2016, ORLAN

Pétition contre la mort est aussi une manière pour ORLAN de « réfléchir à notre humanité » et de contester la procréation systématique alors que la planète, dit-elle, est surpeuplée et surpolluée. 

Les têtes d’une femme

À Montréal, mercredi prochain, pas de Pétition contre la mort, mais une discussion intitulée Femme avec tête(s), un titre qui renvoie à une performance impressionnante qu’elle avait faite à Londres en 1996 et au cours de laquelle sa tête était posée sur une table…

J’ai repris ce titre, car je suis une femme qui a non seulement une tête, mais plusieurs têtes. Dans la société, on ne considère les femmes que dans la mesure où elles sont jeunes et peuvent procréer, et aussi pour leur sexe, sinon elles sont perçues comme inutiles.

ORLAN

PHOTO ORLAN, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Défiguration-Refiguration, Self-Hybridation précolombienne n° 1, 1998, ORLAN

L’artiste féministe, qui mêle humour et profondeur, abordera évidemment ce qui a fait sa renommée : elle a été la première artiste à utiliser la chirurgie esthétique sur son propre corps, détournant ce type d’opération de son objet d’amélioration esthétique, donc d’embellissement.

« La chirurgie esthétique qui a été appliquée sur moi n’était pas censée apporter de la beauté, dit-elle. Si on me décrit comme une femme qui a deux bosses sur les tempes, on peut penser que je suis un monstre indésirable. Pourtant, ces deux bosses sont aussi devenues des organes de séduction, autres que ceux qui nous sont imposés par les modèles qu’on nous désigne. »

PHOTO ORLAN, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Le manteau d’Arlequin, Perth University, Australie, 2007, ORLAN. Pour cette œuvre, l’artiste a utilisé ses propres cellules et d’autres cellules animales. « Dans le cadre de mon travail en biotechnologie, j’ai cultivé ma flore vaginale, ma flore intestinale, ma flore buccale, etc. », dit ORLAN.

ORLAN dit s’attaquer à la tyrannie de la beauté, « au masque imposé de l’inné », en s’étant dotée de son propre masque. Les deux morceaux de silicone implantés sur son front lors d’une opération à New York en 1993 servent d’ordinaire à rehausser les pommettes.

« Cela n’avait jamais été fait, dit-elle. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il s’agit d’un petit dérèglement qui a fait énormément parler. Je voulais me créer une nouvelle image pour faire de nouvelles images dans mon œuvre. Et montrer qu’on peut se réinventer et sortir des modèles. Pour moi, la beauté n’est qu’une question d’idéologie dominante. »

ORLAN l’illustre avec sa série Self-Hybridations, notamment l’œuvre qui montre son visage auquel est « greffé » un labret, l’ornementation portée sur la lèvre inférieure par certaines femmes africaines.

PHOTO ORLAN, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Self-Hybridation africaine, Femme Surmas avec labret et visage de femme euro-stéphanoise avec bigoudis, 2002, ORLAN

« Dans ces tribus, la femme doit avoir le plus grand labret possible pour être désirable, dit ORLAN. Si on le faisait ici, on serait désignées comme des monstres et on serait imbaisables ! Des pressions culturelles, traditionnelles, religieuses et politiques sont faites sur nos corps, des pressions différentes selon les endroits dans le monde. »

« Avez-vous d’autres envies de transformations corporelles ? », lui demande La Presse. « Non, je ne souhaite pas être au livre des records ! répond-elle. Mais j’essaie sans arrêt d’être au top. » 

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Photographie de l’ORLAN et l’ORLANoïde, strip-tease électronique et verbal, 2017, ORLAN

ORLAN évoquera à Montréal les technologies, puisqu’elle travaille depuis longtemps avec la vidéo 3D, la réalité augmentée et l’intelligence artificielle. Elle espère d’ailleurs que les Montréalais pourront un jour voir son ORLANoïde, robot créé en 2018 qui possède des générateurs de textes et de mouvements.

« J’essaie de vivre mon époque avec intensité, tout en gardant une distance critique, dit-elle. J’ai toujours tenté de sortir des formatages qu’on nous inculque. L’artiste a une responsabilité, comme chaque citoyen. Mais un artiste ne peut convoquer un public pour montrer quelque chose de désinvolte par rapport au monde. Juste pour faire joli. Il y a actuellement une réflexion à faire sur le monde, et avec l’art, on peut faire beaucoup de choses… »

Femme avec tête(s), à la SAT, mercredi à 17 h.

Classe de maître les 4, 5 et 6 octobre et exposition Pétition contre la mort, du 8 octobre au 10 novembre, au Lieu, à Québec.