Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a puisé dans sa collection et obtenu des prêts de collectionneurs pour constituer Joueuses/Joueurs : Énigmes et jeux d’esprit en art contemporain, une exposition d’œuvres d’artistes canadiens qui ont, d’une manière ou d’une autre, usé du plaisir de badiner, voire de cacher un sens particulier au cœur de leur création. 

Voilà une exposition que n’aurait pas reniée Marcel Duchamp, lui qui prit l’art comme une attitude et non comme une application et qui, jamais, ne cessa de jouer. Que ce soit avec l’esthétisme, la fonction des objets, les idées du temps, la science ou les pièces de son cher échiquier.

C’est dans cet esprit qu’est née cette exposition du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) concoctée par la commissaire Geneviève Goyer-Ouimette, avant son départ du musée pour aller développer les activités culturelles de la Ville de Laval. Préparée en collaboration avec Anne Grace, conservatrice de l’art moderne, l’expo a été présentée aux médias la semaine dernière par Sylvie Lacerte, la commissaire et artiste nouvellement arrivée au musée de la rue Sherbrooke Ouest pour prendre en charge le segment de l’art québécois et canadien créé depuis 1945.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jouet d’adulte, 2003, BGL (collectif formé à Québec en 1996), véhicule tout-terrain d’occasion, flèches, bois, peinture. Musée des beaux-arts de Montréal. Achat, Programme d’aide aux acquisitions du Conseil des arts du Canada et legs David R. Morrice et Mary Ecles.

En quatre sections

Si bien des œuvres choisies ont déjà été exposées ici ou là, l’exposition a le mérite de la diversité, une diversité orchestrée en quatre sections : Jeux d’enfants et détournement, Jeux, rôles et déguisement, Jeux d’esprit et Jeux immersifs.

Toutes les œuvres ne semblent pas, au premier coup d’œil, relever d’un désir de badiner. Bien sûr que Jouet d’adulte, de BGL, trio d’artistes en ligne directe avec Marcel Duchamp, fait sourire. Mais Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière avaient plus à cœur de souligner le caractère bestial du plus polluant et du plus bruyant des véhicules de notre boréalité. 

Même chose pour Elisabeth Picard, avec son œuvre en suspension, Montagnes arc-en-ciel, réalisée avec quelque 60 000 colliers de serrage en plastique, plus connus sous le nom de tie wrap, qu’elle a tous teints. Un paysage coloré qui fait penser à un relief géomorphologique se reflétant dans un miroir. Vraiment une belle réalisation avec un sens du jeu qui se décline avec un certain talent pour l’équilibre et une patience d’ange !

Tout près, Attachement, de Liz Magor, avec cet agneau en gypse que l’on penserait tout juste déballé de son carton. Une œuvre du segment Jeux d’enfants et détournement, comme la courtepointe de Barbara Todd, Ciel de nuit, qui évoque faussement l’enfance, avec ses motifs d’engins de guerre.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Attachement, 2016, Liz Magor (1948 — ), gypse polymérisé, cellophane. Collection François R. Roy (Montréal).

Geneviève Goyer-Ouimette a aussi retenu une vidéo d’une quinzaine de minutes de Marie-Claude Bouthillier, Cartes sur table avec Marinette, dans laquelle l’artiste s’est mise dans la peau d’un personnage qui parle de son travail et du monde de l’art. Dans le même sens, l’expo diffuse la vidéo Victimes de la modernité, de Kent Monkman, où Miss Chief Eagle Testickle devient le vecteur d’un discours ironique sur des thèmes divers par l’intermédiaire d’une parodie d’émissions télévisées.

Dans le segment Jeux d’esprit, l’œuvre de Karine Giboulo est l’une des plus marquantes avec sa sculpture Infraction/en s’étant couchée par terre. Il s’agit d’une jeune femme inuite représentée couchée dans la rue avec une courtepointe sur le corps. La couverture est faite de motifs brodés constitués des nombreuses contraventions que la femme a reçues de la police pour avoir dormi dans un espace public. Une œuvre qui dénonce la violence policière et administrative affectant des personnes sans abri.

PHOTO CHRISTINE GUEST, FOURNIE PAR LE MBAM

Infraction/en s’étant couché par terre, 2018, Karine Giboulo (1980 — ), contraventions, tissu, argile de polymère, acrylique. MBAM, en cours d’acquisition. 

Dans le même segment, l’absurdité est évoquée par Yannick Pouliot avec son célèbre Les ensembliers, une succession de chaises style Louis XVI associées de telle sorte qu’il est impossible de s’asseoir dessus. Une œuvre qui parle d’exclusion sociale et de classe privilégiée. Une sculpture forte comme celle, en bois de noyer, de Maskull Lasserre, Branche, qui aborde la violence d’une pendaison.

Pour le segment Jeux immersifs, à noter les peintures réalistes de Michael Merrill, Corridor (pavillon Michal et Renata Hornstein), qui nous plongent dans divers espaces du MBAM. Escaliers, galeries, lieux de repos dont le dénuement, sans les visiteurs, leur confère une atmosphère à la fois mystérieuse et sereine.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Les ensembliers, 2010, Yannick Pouliot (1978 — ), matériaux divers. Musée des beaux-arts de Montréal, don de l’artiste.

Même plaisir de divaguer dans l’imaginaire et le fantastique avec Ruphdoj (anagramme de Jodhpur, la ville de l’Inde ?), de Denis Rousseau, une installation de petites sculptures en plâtre et silicone qui ressemblent à des plantes aquatiques d’un fabuleux jardin sous-marin.

Voici une exposition que l’on pourra donc avantageusement visiter en famille pour éveiller les plus jeunes autant à la diversité artistique qu’à une saine réflexion sur les enjeux de « l’autrement dit », cette théorie des codes cachés de l’expression. Ces codes cachés qui font le charme de l’art.

Joueuses/Joueurs : Énigmes et jeux d’esprit en art contemporain, au MBAM, jusqu’en juin 2020.

Consultez le site du musée : https://www.mbam.qc.ca/expositions/a-laffiche/joueuses-joueurs/