Écologie et magie sont au rendez-vous du dernier corpus de Marc Séguin, qui expose une douzaine de nouvelles toiles à la galerie Simon Blais jusqu’au 7 septembre. Ghost Lights (feu follet) est le résultat d’un an de travail consacré à la forêt boréale canadienne. Des œuvres fortes pour lesquelles il a pris des risques, dit-il en entrevue.

L’an dernier, Marc Séguin a parcouru un pan de la forêt boréale dont 500 km2 (la superficie de l’île de Montréal) ont brûlé en 2013 sur la Basse-Côte-Nord, épargnant de justesse le village de Baie-Johan-Beetz. L’artiste a été marqué par l’atmosphère de fin du monde qui se dégageait de l’endroit. Et par la nature qui reprenait ses droits, la végétation repoussant au cœur de la zone entièrement carbonisée.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Vue de l’exposition Ghost Lights (feu follet) présentée 
par Marc Séguin à la galerie Simon Blais jusqu’au 7 septembre

Cet épisode a inspiré sa nouvelle série de peintures, qu’il a créée dans son atelier new-yorkais. Il l’a intitulée Ghost Lights, dans le sens de « feu follet », pour ajouter une dimension spirituelle. En effet, si le feu follet est un effet lumineux lié à une putréfaction dans un milieu humide (que l’on peut observer dans les cimetières et les marais), le phénomène évoque aussi la présence des esprits pour les autochtones.

« Je la trouve belle, cette magie », dit Marc Séguin, en entrevue à la galerie Simon Blais.

On pense tout de suite à la désolation que les feux de forêt produisent, mais ces feux de forêt sont nécessaires et font partie d’un cycle naturel de la végétation. On ne vit pas assez longtemps pour s’en rendre compte.

Marc Séguin

Résilience de la nature

Sans réfuter les conséquences du réchauffement climatique sur la nature, l’artiste a privilégié l’angle de la résilience de la vie organique dans sa nouvelle série de peintures. Parsemées de références aux êtres vivants, ses toiles ont nécessité une patience monacale pour représenter la végétation brûlée, ces fines épinettes carbonisées qu’il a dessinées – ô l’étrange clin d’œil – avec du fusain ! 

Les ombrages, les tonalités de gris et les effets délavés donnent un aspect irréel à sa représentation de la forêt détruite. Mais peindre avec un tel souci du détail, c’est de la folie ? « Oui ! », répond spontanément Marc Séguin, qui dit utiliser une technique particulière combinant un choix approprié de pigments et un traitement spécial de la toile avec de la colle de peau de lapin !

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Ghost Lights no 2 (feu follet), 2018-2019, Marc Séguin, huile, fusain, acrylique et taxidermie sur toile, 274 cm x 305 cm

Oser la lune

Probablement destiné à un musée, selon l’artiste, le tableau Ghost Lights no 2 (feu follet) est impressionnant avec son coyote naturalisé et sa grosse lune blanche. « Ce tableau est resté en plan longtemps avec juste la forêt, dit Marc Séguin. Puis, en une fraction de seconde, j’ai eu une idée. Je me suis dit que ça prenait une grosse lune. À la limite, c’est un hommage à [l’artiste américain Adolph] Gottlieb. Après, j’ai décidé de mettre un coyote sur la lune. »

Ces impulsions font l’originalité des œuvres de Marc Séguin, même si elles sont risquées. « J’ai appris à faire confiance à mon instinct », dit-il toutefois, ajoutant que son idée de peindre la tête du coyote en rose a été tout aussi soudaine.

La superposition des langages fascine Marc Séguin, qui espère que l’art puisse autant inspirer aujourd’hui que le faisait le feu follet dans les temps anciens. « Il aurait été impossible de peindre de telles toiles il y a 50 ans, avec l’idée qu’on se faisait du paysage, dit-il. On voulait alors magnifier une beauté. En trichant si nécessaire. »

Aujourd’hui, la peinture peut montrer des choses laides qui deviennent belles.

Marc Séguin

Carrière intense

Le chemin pictural de Marc Séguin se poursuit donc avec la même intensité que lors de ses cuvées précédentes. Ses tableaux se vendent toujours à la vitesse de l’éclair.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Vue de l’exposition Ghost Lights (feu follet) présentée
 par Marc Séguin à la galerie Simon Blais jusqu’au 7 septembre

Chez Simon Blais, il a varié les formats (et donc les prix : de 9000 $ à 50 000 $) pour diversifier les collectionneurs qui s’arrachent ses œuvres. Cet automne, il préparera une série de tableaux qu’il exposera dans la nouvelle galerie Lowell Ryan Projects, à Los Angeles, au printemps 2020. Il ne sait pas encore quel en sera le thème. Il aime se donner du temps avant de voir poindre une nouvelle idée. En même temps, il ne veut pas trop produire pour « ne pas fatiguer le monde ».

« J’ai peur de lasser et, en même temps, je fais autre chose, des activités d’écriture ou de cinéma qui me sont bénéfiques, car quand je retourne à l’atelier, c’est que j’ai vraiment envie de dire des choses. Et, très sincèrement, je commence à être à l’aise, comme peintre. À prendre des risques. J’ai l’impression que les belles années s’en viennent. Même si c’est encore très angoissant ! Je vis encore des doutes hallucinants ! »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE, ARCHIVES LA PRESSE

Dear Criminals

Un clip pour Dear Criminals

Début septembre sortira le vidéoclip de la chanson Where We Started, du groupe Dear Criminals, signé Marc Séguin. Le clip est en cours de montage. « J’aime beaucoup ce qu’ils font, dit Marc Séguin. La voix de Frannie [Holder] me transperce. Leur univers m’est familier. J’ai travaillé avec eux l’automne dernier [pour La diseuse de bonne aventure]. Du coup, ils m’ont demandé de réaliser leur prochain vidéoclip. J’ai tourné les images à Montréal durant trois périodes différentes. J’ai beaucoup tripé pour ce projet dont la narration est celle d’un artiste visuel. »