Se glisser dans l'étang du jardin de Claude Monet à Giverny, s'immerger dans la peinture du maître: la réalité virtuelle s'empare des Nymphéas, ultime chef-d'oeuvre du peintre, pour une expérience riche en sensations.

Cette irruption du virtuel à côté du réel se déroule à Paris, au musée de l'Orangerie qui sert d'écrin depuis 1927 aux grands panneaux des Nymphéas, offerts à la France par Claude Monet le lendemain de l'armistice du 11 novembre 1918, afin de «prendre part à la Victoire».

À l'occasion du centenaire de la fin de la Grande Guerre, l'établissement propose une exposition «focus» sur la longue amitié entre Monet (1840-1926) et Georges Clemenceau (1841-1929). L'homme politique, intermédiaire de cette donation à l'État, a ensuite encouragé le peintre à achever les Nymphéas en dépit de ses problèmes de vue.

Juste à côté, le musée a installé un dispositif de réalité virtuelle qui sera testé par le public pendant quatre mois. À partir de mercredi, les visiteurs pourront mettre un casque afin de plonger pendant huit minutes dans l'univers du peintre impressionniste.

Intitulée Claude Monet, l'obsession des Nymphéas, cette expérience vise à «faire voyager le public dans l'espace et dans le temps», explique à l'AFP le réalisateur Nicolas Thépot.

Tout commence avec l'irruption d'une eau vive dans l'une des deux salles présentant les grands panneaux décoratifs de Monet. Soudain, le spectateur se retrouve au milieu du bassin du jardin de Giverny, avec l'impression d'avoir de l'eau à mi-cuisse. Autour de lui, des nénuphars, des branches de saules, un ciel changeant. Les saisons défilent, la nuit et le jour se succèdent.

Le paysage disparaît et le voyageur est immergé à l'intérieur des toiles, au milieu des touches de couleur. Il peut bouger la tête, se baisser, se déplacer un peu pour apprécier tel ou tel détail pictural.

Il est ensuite transporté dans l'atelier de Monet, qui souffre de la cataracte et songe à renoncer à peindre. Sur les conseils de Clemenceau, il se fait opérer en 1923 et peut reprendre ses pinceaux.

«Vigilance»

Cette expérience de réalité virtuelle est une première pour le musée de l'Orangerie. «Nous allons observer la façon dont le public utilise le dispositif et recueillir ses réactions», déclare à l'AFP Cécile Debray, directrice de cet établissement, rattaché au musée d'Orsay. «Nous en tirerons les enseignements pour voir si on développe ce genre de dispositif».

L'expérience des Nymphéas est une coproduction de la société Lucid Realities, de la chaîne Arte France et du musée d'Orsay.

«La réalité virtuelle est une technologie qui est en train de faire des bonds. Les musées sont tous conscients qu'il faut y réfléchir et s'y préparer», souligne Cécile Debray.

Les initiatives se multiplient. Le Muséum national d'Histoire naturelle à Paris s'est doté d'une salle permanente de réalité virtuelle. À l'occasion de sa rétrospective récente sur Modigliani, la Tate Modern à Londres a embarqué le public coiffé d'un casque de réalité virtuelle dans une visite détaillée de l'atelier parisien du peintre en 1919. L'Institut du monde arabe à Paris présente actuellement un voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, à découvrir sur écrans géants mais aussi avec des casques.

Pour autant, Cécile Debray prône la «vigilance» face à cette nouvelle technologie. «La réalité virtuelle joue beaucoup sur les diverses sensations mais elle doit être aussi porteuse de sens et d'information afin d'être un véritable outil de médiation», souligne-t-elle. Elle juge «très important que les musées soient acteurs des contenus» proposés.

C'est ce qu'elle a fait pour l'expérience des Nymphéas en intervenant sur le synopsis, le graphisme ou encore les citations de Monet et Clemenceau.

«Il y a un appétit pour ce type d'expérience virtuelle, quel que soit l'âge», note la productrice Chloé Jarry de Lucid Realities. «Mais cela ne remplacera jamais l'oeuvre originale».

Le cycle des Nymphéas comprend près de 250 tableaux, réalisés sur le motif pendant près de 30 ans par le peintre dans son jardin normand.