À la fois rétrospective et clôture d'un cycle de collection d'objets par Raphaëlle de Groot, Rencontres au sommet est un conte poétique sur des objets laissés pour compte qu'elle a associés à des oeuvres d'art. L'expo présentée au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) donne aux visiteurs la chance de découvrir un univers et de créer le leur.

Fascinée par le potentiel des objets, Raphaëlle de Groot a eu l'idée des Rencontres au sommet il y a quatre ans. À l'instar des rencontres internationales de chefs d'État, de scientifiques ou de sportifs, elle a voulu réunir des centaines d'objets. Pour la force du relationnel. Comme des fils isolés consacrent leur raison d'être en se réunissant.

Les objets rassemblés au MNBAQ proviennent de collections muséales et de la collecte que Raphaëlle de Groot a amorcée en 2009, sous le titre Le poids des objets. Lors de ses voyages, elle a convaincu plus de 170 personnes de lui confier des objets personnels, parfois désuets, souvent chargés de souvenirs, dont ils acceptaient de se départir.

Rencontres au sommet a été créée dans trois lieux. D'abord à la Southern Alberta Art Gallery, à Lethbrige, en 2014, puis l'an dernier à la Art Gallery of Windsor, en Ontario. La troisième et dernière étape se déroule au MNBAQ, sur les plaines d'Abraham. Parce qu'un musée national convient à une rencontre au sommet, dit l'artiste en souriant. Parce qu'elle a présenté Le poids des objets aux centres d'art de Québec Le Lieu et La chambre blanche. Et parce que le commissaire de l'expo, Bernard Lamarche, est passionné tant par la question des objets en art contemporain que par le travail de Raphaëlle de Groot.

C'est d'ailleurs Bernard Lamarche, conservateur de l'art actuel au MNBAQ, qui a dirigé le catalogue de l'exposition qui sera lancé le 16 mars.

Effet de surprise

Rencontres au sommet prend le visiteur par surprise. Quelles sont donc ces accumulations d'objets hétéroclites placés en forme de croissant ou d'hémicycle dans la salle d'exposition afin de symboliser la rencontre et l'échange? A priori, on ne le comprend pas.

Raphaëlle de Groot explique qu'elle veut permettre aux objets «de se rencontrer», quelles que soient leur fonction et leur charge historique et émotive. Une quarantaine d'objets ont d'ailleurs déjà «tissé des liens», puisqu'ils ont été présentés dans les trois lieux d'exposition canadiens. «Ce sont les dignitaires du Sommet», dit Raphaëlle de Groot.

À y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'objets muséaux et objets de l'artiste ont été associés par parenté dans des vitrines ou sur des meubles, agrippés dans les mailles d'un filet fixé au plafond, accrochés aux murs - quand il s'agit de dessins ou de photos - ou encore diffusés sur des écrans.

Quelques objets sont en effet les «vedettes» de vidéos d'art, notamment d'animations ludiques où on les voit bouger et même «parler entre eux» lors de leur «rencontre au sommet». Le conjoint de l'artiste, Mirko Sabatani, a composé un hymne des objets à partir des sons qu'ils émettent quand ils entrent en contact avec une surface.

Laisser aller son esprit

Raphaëlle de Groot nous invite à découvrir l'exposition en aiguisant notre regard et notre capacité à construire nos propres histoires.

«La première porte d'entrée de cette exposition, c'est que les gens s'identifient à ces objets», pense Bernard Lamarche, conservateur de l'art actuel au MNBAQ.

Il serait fastidieux et un peu dérisoire de vouloir connaître l'histoire de chacun des objets que l'artiste a accumulés pendant six ans de sa vie. Même si l'envie ne manque pas. «Si mon idée est de reconnaître une vie autonome à ces objets, leur coller constamment un contenu reviendrait à les garder en prison, dit Raphaëlle de Groot. Il y avait un travail de libération et d'émancipation des objets à effectuer. Dans le cadre de ces Rencontres au sommet, nous sommes à leur service.»

Pour apaiser un tant soit peu notre soif de comprendre, l'artiste racontera des anecdotes sur certains objets lors de sa lecture publique, le 9 mars.

Elle a aussi accroché dans une petite pièce quelques documents qui en disent un peu plus sur certains d'entre eux, par exemple le jeu de société Le péril jaune, avec lequel on jouait à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, en méprisant les Japonais et en encensant les Américains. «Un objet embarrassant», dit l'artiste.

Le pouvoir des objets

L'exposition nous amène à réfléchir sur le sens des objets, celui qui leur est donné par chacun de nous. Donc des sens différents pour un seul et même objet. «Objets inanimés, avez-vous donc une âme/Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?», se demandait Alphonse de Lamartine dans ses Harmonies poétiques et religieuses.

«Sans tomber dans l'animisme, Raphaëlle de Groot parvient à réactiver la dimension symbolique de nos rapports aux objets», dit Bernard Lamarche.

«Rencontres au sommet n'est ni un commentaire politique sur le capitalisme ni une réflexion sur le recyclage. C'est une nébuleuse avec une idée d'un certain ordre et d'une certaine précision», ajoute Lamarche.

À propos de précision, c'est une oeuvre en forme de table qui accueille le visiteur dans la salle. Sur cette table, Raphaëlle de Groot a inscrit le poids de chacun des 148 objets que contient le manteau qu'elle a porté lors du projet Le poids des objets. Ces objets ont pesé sur sa vie. Ils ont influencé sa réflexion sur la mobilité, sur l'histoire des gens et celle de l'art. L'exposition ferme ainsi une parenthèse de sa vie artistique, puisqu'elle vivra bientôt une expérience sociale et culturelle au Brésil.

«Ce travail a eu un impact sur mon mode de vie et ce mode de vie nourrit ma pratique, dit-elle. Comme tous ces gens qui m'ont donné des objets ont, d'une certaine façon, voulu tourner une page, c'est à mon tour d'en tourner une. Avec la difficulté de laisser quelque chose, mais aussi l'excitation de ce qui s'en vient...»

Au MNBAQ, à Québec, jusqu'au 17 avril.

Le musée organise plusieurs activités en parallèle.

> 9 mars, à 19h30: lecture publique de l'artiste

> 16 mars, à 18h: lancement du catalogue et performance

> Du 17 au 27 mars: résidence de l'artiste au MNBAQ

> 23 mars, à 19h30: conférence de Bernard Lamarche sur Les objets dans l'art contemporain

Consultez le site du MNBAQ: www.mnbaq.org

QUI EST RAPHAËLLE DE GROOT?

Née à Montréal en 1974, elle est active sur la scène artistique depuis 1997. Elle a remporté le prix Pierre Ayot en 2006, le prix Graff en 2011, le prix Sobey en 2012. Elle a fait une performance à la Biennale de Venise en 2013. Ses sphères d'activité: le dessin, la performance, l'installation, la vidéo, l'édition et l'enseignement. Elle est aussi commissaire d'expositions.