C'est une exposition inédite consacrée au Groupe de Beaver Hall que le Musée des beaux-arts de Montréal présente jusqu'à la fin du mois de janvier. Un travail scientifique mené par les historiens de l'art Jacques Des Rochers et Brian Foss sur la vingtaine d'artistes visuels montréalais qui ont marqué la période 1920-1933 et ont été le pendant québécois du Groupe des Sept, de Toronto.

Conservateur de l'art québécois et canadien antérieur à 1945 au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), Jacques Des Rochers s'est associé à Brian Foss, directeur de la School for Studies in Art and Culture de l'Université Carleton, à Ottawa, pour étudier le Groupe de Beaver Hall pendant sept ans. Il en résulte l'exposition Une modernité des années 1920 à Montréal - Le Groupe de Beaver Hall qui apporte des éléments nouveaux sur cette association d'artistes - surtout des peintres - issus pour la plupart de la classe bourgeoise anglophone de Montréal et dont la renommée débuta véritablement dans les années 60.

Il faut toujours être un peu prudent quand on regroupe des artistes dans un mouvement. C'est le cas pour le Groupe de Beaver Hall (GBH), une «gang» d'amis qui ont travaillé dans le même atelier, au 305, côte du Beaver Hall, de 1920 à 1923. Grâce à des informations qu'ils ont trouvées, les deux commissaires ont choisi d'élargir le groupe initial des membres «officiels» aux artistes qui s'y étaient associés «par amitié et par solidarité».

Autant de femmes que d'hommes

Il en découle un large spectre d'artistes qui ont, semble-t-il, réactivé la vie culturelle montréalaise à cette époque. Dans l'exposition du MBAM, on peut donc voir des oeuvres d'André Biéler, Nora Collyer, Emily Coonan, Adrien et Henri Hébert, Prudence Heward, Randolph S. Hewton, Edwin Holgate, A.Y. Jackson, John Y. Johnstone, Mabel Lockerby, Mabel May, Kathleen Morris, Hal Ross Perrigard, Robert W. Pilot, Sarah Robertson, Albert Robinson, Anne Savage, Ethel Seath, Adam Sherriff Scott, Regina Seiden et Lilias Torrance Newton.

Ainsi, autant d'hommes que de femmes faisaient partie du Groupe de Beaver Hall, présidé dès le début par le peintre A.Y. Jackson. Celui-ci n'hésitait pas à évoquer la « force artistique » des membres féminins du regroupement, des femmes qui s'affirmèrent pour la première fois au Canada comme des artistes professionnelles.

«Contrairement au Groupe des Sept, le Groupe de Beaver Hall était très hétérogène, mais très influencé par le modernisme de l'époque, note Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du MBAM. Mais on peut dire qu'ils avaient tous un oeil esthétique commun.»

Contrairement à leurs collègues torontois fascinés par la nature canadienne, les artistes du Groupe de Beaver Hall s'étaient surtout attachés à décrire l'urbanité et la vie montréalaises. Même après 1923, année de la dissolution officielle du groupe, auquel succédera le Groupe des peintres canadiens, ces adeptes de l'art moderne ont poursuivi leur créneau pendant de longues années.

«Le Groupe de Beaver Hall parle de la modernité de Montréal. Leur audace avait fait scandale notamment à cause de leurs coloris. Avec l'influence des artistes fauves, de Matisse et de Cézanne, ils ont décrit la vie de l'époque.»

Et cette vie est alors trépidante à Montréal. L'architecture s'y développait (avec les premiers gratte-ciels) et la métropole, culturellement très active, contrastait avec un certain conservatisme américain illustré par la prohibition. Si les oeuvres du GBH sont très colorées, c'est à l'image de cette atmosphère montréalaise des années 20 à la fois insouciante et optimiste.

Les deux commissaires ont rassemblé des oeuvres de 70 prêteurs qui datent majoritairement de 1920 à 1933, avec quelques toiles antérieures ou postérieures à cette période. Distribué sur la scène internationale par les éditions Black Dog, de Londres, un ouvrage scientifique de prestige de quelque 350 pages et autant d'illustrations accompagne cette exposition qui partira en tournée en 2016, notamment à Windsor, Hamilton et Calgary.

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Au Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu'au 31 janvier.

Coloristes et avant-gardistes

Alors que le coeur artistique de Montréal commençait à battre au rythme du jazz, des peintres montréalais se sont unis en 1920 pour former le Groupe de Beaver Hall. Cette association était empreinte d'une grande liberté d'esprit et d'un choix chromatique affirmé. Une avenue qui avait surpris, voire choqué à l'époque...

Une des salles de l'exposition Une modernité des années 1920 à Montréal - Le Groupe de Beaver Hall est consacrée aux soirées montréalaises. Le théâtre, le cinéma, la musique et la danse dynamisent alors la vie culturelle montréalaise grâce à l'arrivée d'une nouvelle génération, francophone et anglophone, et d'une classe moyenne instruite qui représente un tiers de la population.

Ce dynamisme culturel est illustré avec fougue par les artistes du Groupe de Beaver Hall. Il en résulte par exemple les bronzes des danseuses souples d'Henri Hébert, les peintures d'un violoniste ou d'une violoncelliste par Edwin Holgate ou cette toile magnifique et iconique de Prudence Heward, Au théâtre, qui montre deux jeunes femmes de dos dans une salle de théâtre.

Les oeuvres de cette exposition sont splendides et méritent tellement d'être réunies ! Notamment des portraits de femmes aux couleurs éclatantes, des couleurs vives qui firent grand bruit quand les tableaux furent exposés. Plutôt conservateur, le critique du Devoir, Paul Dupré, les décrivit comme «criardes». Plus ouvert et plus enthousiaste, le critique d'art de La Presse, Albert Laberge, fait état, en 1921, de l'audace des membres de Beaver Hall, «réfractaires à la routine».

Des femmes artistes de talent

L'année suivante, ses commentaires les plus positifs iront d'ailleurs aux membres féminins du groupe, notamment Mabel Lockerby, Mabel May, Lilias Torrance Newton, Sarah Robertson et Regina Seiden. De Sarah Robertson, on peut apprécier ses belles toiles sur les Sulpiciens et ses scènes de promenade en traîneau. De Mabel May, nous retiendrons son superbe Toits. Vue de mon atelier. Rue University, de 1925, qui rend bien l'atmosphère particulière de Montréal l'hiver.

Les toiles de Lilias Torrance Newton sont parmi les plus belles de l'expo, notamment son autoportrait de 1929, assez symbolique d'une féminité assumée et moderne.

Vêtue d'un chandail rayé qui est tout sauf classique, l'artiste aux cheveux courts affiche un port de tête fier et un regard énergique.

Le visiteur sera épaté par la qualité des oeuvres de Prudence Heward, notamment son tableau Les immigrantes, un travail exemplaire sur l'espoir et la volonté dans des teintes violacées et rouge sang qui soulignent à la fois la tendresse et la ténacité de ces deux femmes.

On a été complètement ébloui par sa Jeune femme sous un arbre, qui rappelle à certains égards la Vénus endormie, de Giorgione. Mais contrairement à la peinture de 1510, la toile d'Heward teintée de cubisme témoigne, là encore, d'une nouvelle féminité. Le corps exprime plus de force et de détermination que de soumission et de souplesse. 

Intéressant de constater aussi le style à part d'Emily Coonan dans ce groupe. Très inspirée par les impressionnistes, plutôt solitaire et moins argentée que ses collègues, elle a laissé des toiles qui tranchent par rapport à celles des autres membres du groupe. On s'en aperçoit par exemple avec ses effets striés de couleur chair sur le visage du portrait de Sarah Robertson, datant de 1916, une texture qu'on retrouve dans sa Jeune fille en vert (Jeanne de Crèvecoeur) de 1913.

Du côté des hommes

Les membres masculins du Groupe ne sont pas en reste dans cette expo. Très belle oeuvre, quasiment provençale, que Le magasin du coin, peinte en 1919 par John Y. Johnstone, avec ses tons orangés et sa lumière méditerranéenne.

Les scènes portuaires d'Adrien Hébert de 1924 - avec les silos du Vieux-Port non encore rouillés! - rendent compte de la grande activité économique de Montréal, dont la population passa de 725 000 habitants en 1921 à 1 million 10 ans plus tard. Intéressant aussi de voir sa peinture du magasin Archambault, en 1926, dans une rue Sainte-Catherine grouillante d'activité.

Parmi les portraits, celui de Mlle Mary MacIntosh, par Rodolph S. Hewton, est fascinant, avec ses belles variations de textures dans les blancs pour traduire la douceur du cuir des gants et le soyeux de la fourrure du manteau.

Un des artistes les plus talentueux du groupe, Edwin Holgate a laissé également de très beaux portraits, dont le sien daté de 1934, qui appartient au MBAM.

Résultant d'un travail de deux passionnés d'histoire de l'art, cet événement muséal est une plongée dans l'histoire de Montréal. Les oeuvres sont accompagnées d'un grand nombre de documents d'archives et de publications de l'époque qui permettent d'illustrer le contexte artistique et urbain de Montréal.

On sort de cette expo avec le sentiment d'avoir rencontré, brièvement, ces modernes Montréalais qui affirmèrent leur différence par rapport à leurs collègues et amis ontariens. Une différence marquée par une nette préférence à raconter l'humain dans la cité plutôt qu'à décrire le «True North, Strong and Free», comme l'exprima Robert Ayre dans l'hebdomadaire montréalais The Standard en 1939. Raconter l'humain et aussi, indirectement, donner à toutes les femmes des désirs d'émancipation en considérant la femme artiste comme une professionnelle à part entière. Un signe d'une grande modernité de la part de ces coloristes.

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À noter que l'exposition est bonifiée par une série de concerts à la salle Bourgie, des conférences et des projections de films qui rendront hommage aux femmes artistes.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

À droite sur la photo, la toile Jeune femme sous un arbre, de Prudence Heward, illustre cette volonté de l'artiste de mettre de l'avant une nouvelle féminité avec ce corps vibrant qui exprime plus de force et de détermination que de soumission et de souplesse.