Quelles sont les expositions à voir ce week-end? Nos critiques en arts visuels proposent une tournée montréalaise de galeries et de centres d'artistes. À vos cimaises!

Le pouvoir réflecteur d'une péninsule

Sur le thème Identités et territoires, la sixième édition des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie bat son plein depuis la mi-juillet avec la présentation d'oeuvres d'une vingtaine d'artistes québécois et étrangers sur 21 sites de 13 cités du territoire gaspésien. Avec, cette année, un accent mis sur la vidéo et le pouvoir réflecteur de la péninsule.

Plus que jamais, le tour de la Gaspésie, cet été, n'est pas seulement touristique, mais aussi photographique avec de riches expositions d'une vingtaine de génies de la lentille - autant du Québec que d'ailleurs - présentées jusqu'à la fin de septembre à Cap-Chat, Marsoui, Petite-Vallée, Gaspé, Percé, Chandler, Paspébiac, Bonaventure, New Richmond, Maria, Carleton-sur-Mer, Nouvelle, Matapédia ainsi qu'au parc Forillon.

«Chaque année, on essaie d'aller un peu plus loin», dit Claude Goulet, le dynamique directeur général des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie.

«C'est la première fois qu'on utilise autant la vidéo. Et c'est tant mieux!» - Claude Goulet

L'événement présente notamment Irréversibles, du photographe Alain Paiement, au Centre culturel de Paspébiac, soit le magnifique ballet de méduses de l'oeuvre vidéo Lunes asynchrones qu'il avait exposée l'hiver dernier à la galerie Hugues Charbonneau, à Montréal.

«L'oeuvre est présentée dans une salle qui ressemble à une boîte noire, sur un écran de 32 pieds de long et 11 pieds de haut, dit Claude Goulet avec enthousiasme. Quand tu te retournes, tu vois son oeuvre Dérive avec ses blocs de glace qui se déplacent sur le fleuve. Ça donne beaucoup d'impact aux oeuvres.»

Les Rencontres ont ajouté cette année un nouvel endroit de diffusion au parc national de Forillon. Le site historique de Fort Péninsule présente sur le mur de la salle des missiles une oeuvre de la photographe paysagiste montréalaise Jessica Auer, reliée à une autre partie de son travail exposée sur le site de Grande-Grave dans le même parc. Il s'agit notamment de photographies prises en Islande.

Le photographe montréalais Yann Pocreau s'est aussi «emparé» du phare de la pointe Tracadigash, à Carleton-sur-Mer, pour y créer une installation, Marquer la nuit, un travail de «dynamisation du ciel de nuit» et donc notamment sur la lumière, comme il l'avait fait en 2013 avec son exposition Projections présentée à la Fonderie Darling.

Parmi les autres artistes qui participent aux Rencontres cette année, citons les Québécois Gabor et Andrea Szilasi, Benoit Aquin, Bertrand Carrière, Caroline Hayeur, Stéphane Dionne, Catherine Tremblay et Charles-Frédérick Ouellet, la Canadienne Dina Goldstein, les Français Jacques Damez, Claudia Imbert et Laurent Mulot, l'Italienne Elena Perlino, la Britannique Lais Pontes et les Polonais Bogdan Konopka et Anita Andrezejewska.

La traditionnelle Tournée des photographes a lieu cette fin de semaine, du 21 au 23 août, à partir de Carleton-sur-Mer. Vendredi, une table ronde sur le thème du paysage gaspésien s'y déroulera également avec, entre autres, les photographes Gabor Szilasi et Benoit Aquin. Une première exposition canadienne sur le livre d'art photographique, commissariée par Serge Allaire, est aussi organisée.

«Elle présentera jusqu'au 30 septembre à la bibliothèque Gabrielle-Bernard-Dubé de Carleton des livres photographiques de tous les photographes qu'on accueille cette année aux Rencontres ou qu'on a reçus dans les années passées et qui ont publié un ou plusieurs livres, dit Claude Goulet. Les visiteurs pourront les manipuler, et ces livres seront ensuite donnés à la bibliothèque.»

Les Rencontres ont accueilli quelque 164 000 visiteurs l'an dernier, et Claude Goulet estime qu'à la faveur d'un tourisme en croissance en Gaspésie, ce chiffre devrait être dépassé cette année. L'organisme qu'il dirige fonctionne toujours avec un budget d'environ un demi-million, mais les coupes au provincial et à Loto-Québec ont entraîné cet été un déficit de 40 000 $. Le Conseil des arts du Canada refuse toujours d'aider ces Rencontres de la photographie, «malgré nos efforts», précise Claude Goulet, et malgré la notoriété de l'événement qui dépasse aujourd'hui les frontières canadiennes.

Promenade dans les années 70 et 80

Le photographe montréalais Alain Chagnon nous convie cet été à une promenade historique et sociale, sur les trottoirs de l'avenue du Mont-Royal Est, avec son exposition linéaire Vie de quartier, présentée sur cette artère, entre les rues De Bullion et Messier, jusqu'au 30 octobre.

Les 53 photos en noir et blanc prises de 1972 à 1986 par Alain Chagnon nous replongent dans une période foisonnante de l'histoire contemporaine du Plateau-Mont-Royal et de ses quartiers environnants. Mais aussi de Montréal et du Québec. On sent dans ses images combien cette époque charnière a été marquée par un changement de mentalité.

Les gens avaient soif de liberté et d'émancipation et, en même temps, bien des traditions se maintenaient.

On peut commencer la visite de cette plongée dans le passé (organisée par la Société de développement de l'avenue du Mont-Royal) à l'angle de la rue De Bullion. La première photo montre l'intérieur de la cordonnerie Godinho, rue Saint-Viateur, en 1986. Symbolisant la transmission d'un savoir-faire ancestral, le cordonnier répare un soulier avec son marteau à battre le cuir. Dans son atelier, on note ses deux autres passions: le soccer et le pape Jean-Paul II.

Dans la photo contiguë qui date de la même année, deux employés d'une boucherie casher ont les mains dans des quartiers de boeuf. Plus loin, à l'intersection de la rue Henri-Julien, une photo montre un poissonnier, une daurade à la main, devant son étal. Des images éternelles et universelles.

S'intéresser aux phénomènes sociaux

Place Gérald-Godin, près de la station de métro Mont-Royal, un panneau présente l'expo et le photographe Alain Chagnon qui s'est installé dans le quartier du Plateau en 1972. Il y réside toujours. Intéressé par les phénomènes sociaux, il a réalisé bien des projets depuis 40 ans, que ce soit au Québec, au Sénégal, aux États-Unis ou en Asie. Parmi ses expositions précédentes à saveur documentaire, citons La Taverne, en 1974, et Bande à part, en 1987. 

C'est justement de la Taverne qu'il s'agit dans les photos installées sur cette place. Et cette Taverne de Paris (devenue le bar Le bistro de Paris, toujours au 4536, rue Saint-Denis) fut le premier endroit où Alain Chagnon a pris un portrait de commerçants. À la demande de la mère de famille, il avait photographié les deux fils du tavernier habillés en garçons de café, le 24 novembre 1972. À côté de ce double portrait, on peut voir trois autres photos prises à l'intérieur de la taverne où n'apparaissent que des messieurs qui ne boivent que de la bière!

Près du Sanctuaire du Saint-Sacrement se trouve un cliché très «années 70», Rue Plessis, 29 juin 1973. Trois jeunes sont photographiés devant chez eux. Tout y est: les pattes d'éléphant des pantalons, les chaussures à talons hauts et épais et les cols de chemises «pelle à tarte». Le gars porte un casque de moto et un t-shirt «Sauvons la baie James».

Belle image également que Barbier, rue Saint-Viateur, août 1986. Intimidée et renfrognée, une petite fille est en train de se faire faire une coupe de cheveux au ciseau assez géométrique, merci! À l'angle de la rue Saint-Hubert, plusieurs panneaux évoquent la fête de la Saint-Jean et les premiers tam-tams dans le parc du Mont-Royal.

Puis, rue Boyer, la photographie Rue Dorion, 29 juin 1973 nous immerge complètement dans l'univers de Michel Tremblay avec cette maman aux formes arrondies, son tablier noué autour de la taille, devant la clôture (en bois) de sa maison. Son fils, appuyé derrière elle contre le chambranle de la porte, semble s'ennuyer à mourir...

Photo très années 70 aussi au coin de la rue De La Roche. Manif ADDS, Plateau Mont-Royal, 1975 montre des femmes, assises dans une salle communautaire, tenant une banderole « Plateau Mont-Royal » et qui, visiblement, participent à une action collective de l'Association pour la défense des droits sociaux. Dommage que des employés municipaux aient placé une grosse plante fleurie juste devant cette belle photo emblématique...

Au bord du parc des Compagnons-de-Saint-Laurent, près de la rue Cartier, la photo Maison des jeunes: L'imagerie, bd Saint-Laurent, décembre 84 présente de jeunes gens vêtus de blousons de cuir et de bottes de cow-boy dans un local, en train d'écouter de la musique sur un canapé. Derrière eux sont accrochés au mur des affiches d'Iron Maiden et un avertissement marquant des années 80: «Le condom, c'est sûr quand on sait s'en servir».

Sur le même panneau, côté verso, une photo d'une grosse tempête de neige, rue des Érables, le 16 décembre 1972. Un homme, cigarette au bec, brave la rue enneigée pour aller chercher sa caisse d'O'Keefe. On retrouve une autre photo de cette tempête à l'angle de la rue Messier où s'achève cette promenade de Vie de quartier. Sur l'image, trois jeunes sont assis sur le capot d'une Ford tandis qu'un autre déneige le devant de sa maison. Une image qui contraste avec la photographie d'à côté, Bain de soleil, rue Fabre, juin 1983: deux Plateaupithèques qui bronzent sur le toit de leur maison, allongés dans des chaises longues pliantes... Comme quoi, bien des choses n'ont pas changé dans le quartier bobo.

Vie de quartier, photographies d'Alain Chagnon. Trottoirs de l'avenue du Mont-Royal Est, entre De Bullion et Messier. Jusqu'au 30 octobre.

Les autres expos à voir

MICHAEL WILLIAMS

Le peintre américain Michael Williams peint sur un fil: entre naïveté et rigueur, entre spontanéité et précision. Multipliant les techniques (huile, crayon, ordinateur, imprimante, aérosol, etc.), il s'éclate en superposant constamment les couleurs et les intentions. Comme s'il travaillait à la jonction improbable entre deux géants américains: Cy Twombly et Andy Warhol. Vibrant.

L'exposition Yard Salsa de Michael Williams est présentée au Carré contemporain du Musée des beaux-arts, 1380, rue Sherbrooke Ouest, jusqu'au 27 septembre.

DANA WYSE

L'art de la Canadienne Dana Wyse fait réfléchir et rire tout autant. Depuis 20 ans, elle utilise une imagerie des années 50-60 pour jeter un regard critique sur notre dépendance contemporaine aux médicaments de toutes sortes pour nous guérir de maux réels ou imaginaires. Elle propose donc des pilules pour: adopter instantanément l'accent québécois, réussir son suicide, comprendre l'existentialisme, parler arabe en trois secondes... Vous riez ? Sachez que vous pouvez acheter les pilules pour vrai!

La vitrine de Dana Wyse est visible depuis la rue à la galerie La Centrale, 4296, boul. Saint-Laurent, jusqu'au 3 septembre. La boutique est ouverte du mardi au vendredi de 10 h à 17 h.

ÉRIC VIGNEAULT

Cette expo roule ou déroule son rouleau depuis quelque temps, mais le concept même vaut le détour. Le bédéiste a réalisé pendant plus de 20 ans une bande d'une seule planche, Marathon, mesurant plus de 80 m. Un projet démesuré qui a pu être finalisé grâce à l'imagination débordante et au sens de l'improvisation de cet artiste hors du commun.

Marathon d'Éric Vigneault est exposé jusqu'au 30 août à la Bibliothèque du Boisé, 2727, boulevard Thimens, Saint-Laurent.

PHOTO ALAIN CHAGNON, FOURNIE PAR LA SOCIÉTÉ DE DÉVELOPPEMENT DE L'AVENUE DU MONT-ROYAL

Les deux frères taverniers, Taverne de Paris, 24 novembre 1972, 1972, Alain Chagnon.