Pendant 12 mois, sept journalistes des Arts vont suivre sept jeunes artistes fraîchement sortis de l'école, et vous donner de leurs nouvelles tous les mois. Voici le sixième de sept portraits.

Ce que la peintre Julie Trudel aime par-dessus tout? Dérouter les gens qui se retrouvent devant ses toiles, les voir plisser les yeux en se demandant: mais qu'est-ce que c'est? Un tableau? Un tapis? Une illusion d'optique?

Lors d'une de ses premières expos, à la maison de la culture Maisonneuve, les gens intrigués s'approchaient tellement de ses toiles pour en comprendre la nature que la direction a songé un instant à installer des cordons pour les tenir à distance. Julie Trudel en était ravie.

«Je veux faire une peinture qui défie la perception et qui fait que, de prime abord, les gens ne comprennent pas ce qu'ils regardent», me lance la peintre de 35 ans dans l'atelier qu'elle partage avec quatre autres artistes, rue Masson.

Julie Trudel a beau avoir 35 ans et être l'aînée de sa famille, pour le milieu des arts visuels, elle est une très jeune artiste. Elle n'a terminé sa maîtrise en arts visuels à l'UQAM que l'an passé, mais déjà les prix et les projets se bousculent.

J'ai choisi de suivre Julie Trudel pendant une année pour plusieurs raisons. D'abord, parce que c'est une femme et qu'en arts visuels, les femmes sont aussi nombreuses sur les bancs des universités qu'elles sont absentes sur le marché de l'art.

Les galeries les boudent sans doute parce que les collectionneurs sont majoritairement des hommes attirés par des oeuvres aux sensibilités plus viriles que féminines.

Deuxième carrière

Julie, en plus, est peintre, une forme qui n'est pas aussi en vogue en art contemporain que les installations, les performances ou la vidéo. La peinture est sa deuxième carrière.

Jusqu'à l'âge de 30 ans, Julie était agente de communication et fonctionnaire à l'Institut national de santé publique. Son amour pour la peinture, alimenté par sa curiosité et ses voyages, a fini par avoir raison de sa carrière de fonctionnaire. Son travail sur couleur, qui procède de manière à la fois aléatoire et contrôlé, est minutieux, pour ne pas dire maniaque.

Pour une de ses oeuvres de 2011, ressemblant à s'y méprendre à une catalogne, elle a appliqué ses couleurs à base d'encre de sérigraphie industrielle une goutte à la fois, pendant des heures et des heures.

Julie est une bûcheuse qui n'arrête jamais de travailler. Elle teste les couleurs et les matériaux pendant des mois et ne craint jamais de sacrifier des dizaines de tableaux tant que ses exigences n'ont pas été satisfaites.

C'est aussi une communicatrice hors pair, chaleureuse et enthousiaste, qui ne s'enferme pas dans des discours incompréhensibles et abstraits même si son cheval de bataille, c'est l'abstraction.

«Il n'y a pas un seul artiste dans ma famille immédiate et élargie, raconte-t-elle. Pour mes parents, ce qui comptait, c'était que je gagne bien ma vie. La peinture, pour eux, devait rester un loisir. C'est pourquoi je n'ai pas envisagé de devenir peintre. À mes yeux, ça ne se pouvait tout simplement pas.»

Les couleurs

Julie Trudel a grandi à Pointe-aux-Trembles. Ses parents, deux fonctionnaires à la Ville de Montréal, l'ont eue à 18 ans lorsqu'ils étaient toujours aux études. La petite Julie était un accident, mais sa naissance a déclenché une vocation. Deux autres enfants sont nés peu après, puis 15 ans plus tard, deux autres.

Toute son adolescence, Julie a suivi des cours de dessin au centre de loisirs de son quartier. Elle a continué en entrant dans la fonction publique avant qu'une amie lui fasse voir le sérieux de sa démarche et la pousse à faire un bac à l'UQAM en arts visuels. Elle a été secondée trois ans plus tard par un prof qui, voyant son talent, l'a encouragée à poursuivre à la maîtrise.

Jusqu'à l'an passé, Julie était fascinée par les couleurs. Mais un matin, elle a eu le sentiment d'en avoir fait le tour. Elle a alors décidé d'explorer le noir et blanc, son nouveau défi pictural et le sujet de son expo en novembre à la galerie Hughes Charbonneau.

L'année qui s'en vient sera chargée pour Julie qui a gagné une résidence de deux mois à Banff, puis une résidence d'un an à Berlin. Nous la suivrons dans ses pérégrinations qui ne manqueront sans doute pas... de couleurs.

Qui est Julie Trudel?

Âge: 35 ans

Métier: peintre

Faits marquants: prix Joseph Plaskett assorti d'une bourse de 25 000$. Deux fois finaliste au prestigieux prix pancanadien RBC. Résidences à Marseille, Saint-Jean-Port-Joli et bientôt Banff et Berlin.