Le Musée d'art contemporain de Montréal expose jusqu'au 22 avril les oeuvres de trois femmes splendides d'évocation. Artistes dans la quarantaine, la sculpteure montréalaise Valérie Blass et deux New-Yorkaises d'adoption, Ghada Amer, d'origine égyptienne, et Wangechi Mutu, née au Kenya, abordent l'ethnicité, la sexualité, voire l'humour avec sensibilité et profondeur.

Il s'agit d'une expo à trois qui interroge les comportements humains. Avec le regard propre de trois femmes artistes.

Née au Caire, Ghada Amer expose pour la première fois dans un musée canadien. Avec la collaboration de Thérèse St-Gelais, professeure à l'UQAM, elle propose une vingtaine de ses derniers travaux ainsi que des oeuvres sur papier créées avec son ami Reza Farkhondeh.

Artiste hybride, elle présente des oeuvres sur toile associant peinture et broderie. Les ondulations de fils brodés directement dans la toile laissent transparaître des femmes dont les traits se perdent dans la multitude de fils. Le résultat pourrait être opaque ou voyeuriste. Pas du tout.

«Je sens que je commence à maîtriser mon médium», disait Ghada Amer mercredi. Effectivement. Ses toiles sont harmonieuses, délicatement colorées et non répétitives. Associant à l'art traditionnel égyptien sa propre vision du monde d'aujourd'hui, elle déconstruit les stéréotypes sur la femme et l'orientalisme à l'occidentale.

Son Turkish Bath (2006) est splendide, tout comme The Waterfall (2010) où les cheveux de femmes sont des fils qui coulent comme une chute.

Les oeuvres réalisées avec Reza Farkhondeh ont un style différent, moins original, qui fait plus appel à la peinture, au collage et aux contes de fées.

Wangechi Mutu

Avec la Kényane Wangechi Mutu, on est dans le même souci de représentation féminine et de discours engagé. Se greffe, chez elle aussi, le poids de la coutume réinterprétée dans la modernité.

L'artiste qui vit à Brooklyn a recréé l'ambiance de la hutte africaine en recouvrant une partie des murs de la salle avec du feutre. Au centre, un arbre massif plonge ses racines dans le sol. Karibu Kenya! (Bienvenue au Kenya!)

Oeuvre majeure de l'exposition (acquise par le MAC), Moth Girls (les femmes mites) «met en parallèle le beau et l'abject», dit Josée Bélisle, commissaire de l'exposition.

En effet, les 245 figurines en porcelaine, cuir et plumes, mi-animales mi-femmes, nous plongent au coeur (saignant) de l'Afrique magnétique, aux beautés menacées par l'esclavage économique, la chasse à outrance et le non-respect de la nature. Le drame est illustré par des taches rouges, lacs symbolisant les blessures. Une oeuvre forte et déconcertante.

Mutu présente aussi des collages de femmes noires aux identités recomposées, empreintes de références urbaines et tribales comme dans son Ugly Duckling, femme-canard empreinte de désespoir.

Valérie Blass

Enfin, on retrouve au MAC avec grand plaisir les oeuvres de Valérie Blass. Le musée propose une rétrospective de son travail des six dernières années avec treize oeuvres de 2011 et 2012 et quatre en cours de réalisation. Un vrai bonheur.

Valérie Blass est un gisement d'idées. Si vous n'avez jamais vu Cargo culte, Femme panier ou Femme planche, c'est le moment. Et sa production récente est remplie de filons.

Il faut voir la précision de ses moulages, notamment pour l'oeuvre Ce nonobstant, un monolithe d'où émerge un bras menaçant. On y distingue tous les détails de la peau, la forme des muscles, les rides et les points de chair de poule. Un souci du détail qu'on retrouve aussi dans la sculpture inachevée Dans la position très singulière qui est la mienne, où deux corps «entrent» dans deux miroirs.

Son oeuvre Déjà donné est aussi étonnante. Et pleine d'humour. Voilà une sculpture composée d'autres sculptures enchevêtrées: un ourson, un buste de Néfertiti, une main qui bénit, une nymphe et un faucon égyptien.

On retrouve son jeu de cache-cache avec Pied, tête, main, une sculpture en polystyrène qu'on croirait en marbre et en granit. Blass est une vraie faussaire!

Parcourir cette exposition de 80 oeuvres prend du temps, mais donne du bien-être. Ces réalisations contemporaines pleines de lucidité et d'ironie sont un plaisir dont on ne saurait se priver.

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Ghada Amer, Valérie Blass et Wangechi Mutu au MAC, jusqu'au 22 avril, au Musée d'art contemporain de Montréal.