Les projets d’agrandissement ou de transformation de lieux culturels sont souvent parsemés d’embûches. Quelles sont les bonnes pratiques ? Les pièges à éviter ? La Presse s’est intéressée au cas du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), dont la construction du pavillon Lassonde est souvent citée en exemple, et dont le nouvel Espace Riopelle est en cours de réalisation.

La question vaut la peine d’être posée. Comment faire en sorte qu’un projet de construction ou d’agrandissement ne reflète pas uniquement la vision artistique d’un architecte ? Ou le point de vue du seul directeur général d’une institution ou de son C.A. ? Quels sont les garde-fous en place ou le mode de gouvernance idéal pour s’assurer que le projet réponde à des objectifs à la fois pratiques, esthétiques et muséaux ?

Le directeur général du MNBAQ, Jean-Luc Murray, estime que plusieurs facteurs doivent être pris en compte. Mais le plus important, nous dit-il, c’est l’élaboration de la phase de conception. « Cette étape doit être un dialogue entre les différentes parties, nous dit-il : la direction du musée, les mécènes, la Fondation, les représentants du gouvernement et l’architecte, qui nous fait des propositions. »

Dans le cas de la construction de l’Espace Riopelle, cette phase de « conception intégrée » a été entamée il y a plusieurs mois déjà. Des plans ont été dessinés. Mais ils ont beaucoup évolué.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL,

Le directeur général du MNBAQ, Jean-Luc Murray, lors de l’annonce de la participation financière de la Ville de Québec à l’été 2022

« J’ai trouvé ça fascinant, nous dit Jean-Luc Murray, c’est un peu plus long, mais tout le monde a pu faire valoir son point. À certaines étapes, on a même invité des gens de la communauté, des spécialistes du développement durable, etc. »

Moi, j’ai été plus insistant sur les dimensions muséologiques, l’architecte sur des questions de structures, la Fondation Riopelle avait aussi ses priorités, les mécènes ont eu leur mot à dire, mais à la fin, on était forcés au consensus.

Jean-Luc Murray, directeur général du Musée national des beaux-arts du Québec

La Fondation Riopelle, qui compte léguer à l’État environ 70 œuvres provenant de diverses collections privées, souhaitait notamment « redonner à L’hommage à Rosa Luxemburg [déjà au MNBAQ] un écrin digne de l’œuvre », nous a confié sa directrice générale, Manon Gauthier.

« Contrairement à un projet d’infrastructure où on bâtit un lieu et où on décide après ce qu’on veut mettre dedans, l’ensemble du projet a été développé autour de notre volonté de léguer des œuvres majeures, qui s’ajoutent à une collection publique existante [d’environ 450 œuvres]. Donc les plans ont été conçus en fonction de l’ensemble des œuvres qui seront présentées dans l’Espace Riopelle. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La directrice générale de la Fondation Riopelle, Manon Gauthier

Ça ne diminue pas la fonction architecturale, au contraire, ça a créé un projet complètement intégré à l’œuvre de l’artiste.

Manon Gauthier, directrice générale de la Fondation Riopelle

Enfin, Manon Gauthier rappelle que le lieu est en « complète harmonie » avec la vision de l’artiste. « C’est un lieu qui est niché entre le fleuve, un lieu historique comme les plaines d’Abraham, à deux pas de la vieille prison, qui est maintenant le pavillon Charles-Baillargé, où dans les années 1980, Jean Paul Riopelle rêvait d’établir sa fondation. »

M. Murray loue au passage le travail de l’architecte Éric Gauthier, de la firme FABG.

Ça prend la bonne attitude, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont critiqué le projet. Mais je me dis : quelle chance on a eue, parce qu’il est 500 fois meilleur qu’au début !

Jean-Luc Murray, directeur général du Musée national des beaux-arts du Québec

Deux comités veillent au grain, explique Jean-Luc Murray : le comité directeur, qui fait avancer le projet et qui réunit le directeur du projet du musée, la Fondation Riopelle, le ministère de la Culture et des Communications et la Société québécoise des infrastructures (SQI) ; et un comité des enjeux majeurs, qui se penche sur les questions épineuses qui surviennent à chacune des étapes.

Ce comité-là réunit les mêmes intervenants que pour le comité directeur, mais on y retrouve en plus les mécènes Michael Audain et Pierre Lassonde (qui ont fait des dons en œuvres et en argent), ainsi que la famille Chrétien-Desmarais (qui a fait un don en argent).

« Je crois que l’apport des mécènes est aussi une clé du succès, ajoute M. Murray. Ça met une pression positive pour mener à bien le projet, parce qu’ils veulent que ça aille vite et que ça se fasse bien. Dans le cas de l’Espace Riopelle, M. Audain, par exemple, a une expérience en construction, donc il est vraiment partie prenante au projet. L’autre élément, c’est que c’est le musée qui est le maître d’œuvre de la construction, pas le gouvernement [par l’entremise de la SQI], qui joue plutôt un rôle de conseil. »

Le projet estimé à 45 millions, selon les informations diffusées par le MNBAQ, pourrait fort bien être majoré au moment de procéder à l’appel d’offres si on se fie à la surchauffe du milieu de la construction au cours des deux dernières années. Un montage financier plus précis devrait être annoncé dans les prochaines semaines.

Une question de ratio

Quant aux aires d’exposition, Jean-Luc Murray a trouvé un juste milieu avec les différents intervenants pour déterminer l’espace en salle – avec un environnement contrôlé – et l’espace public à aire ouverte. Tout cela a été planifié en fonction des œuvres qui y seront exposées.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL,

L’œuvre L’hommage à Rosa Luxemburg sera exposée dans une salle spéciale qui lui sera consacrée.

« Dans le cas de Riopelle, c’était important pour nous d’avoir un pourcentage important de salles d’exposition où l’environnement est contrôlé, nous dit-il. Des salles qui vont convenir aux gabarits des œuvres. Sur une superficie d’exposition totale de 5500 m⁠2, on a plus de 3000 m⁠2 d’espace en salle, soit environ 54 %. On avait un ratio semblable lors de la construction du pavillon Lassonde [ouvert en 2016], qui est presque trois fois plus grand. »

Selon M. Murray, l’appel d’offres se fera d’ici à Noël, les travaux devraient commencer au début de 2024 et, si tout se passe comme prévu, l’Espace Riopelle devrait être inauguré à l’été 2026.