La drag queen Barbada a enchanté son public mardi matin à la Grande Bibliothèque, où elle a lu ses histoires devant un public allant de 4 à 84 ans. L’activité destinée aux enfants s’est déroulée sans heurt, sous la très discrète protection d’agents de sécurité.

Ils étaient quelques dizaines de spectateurs, installés au sous-sol de la Grande Bibliothèque. Des tout-petits avec leurs parents, des plus grands avec leurs moniteurs de camp de jour ou leurs grands-parents. Ils attendaient la reine de la matinée : la drag queen Barbada. Qui a fait une entrée remarquée : perruque rose, robe arc-en-ciel et paupières multicolores. Même les agents de sécurité, postés en retrait de l’action, avaient les yeux rivés sur elle.

Les agents de sécurité ? Oui, car en avril et en mai derniers, des gens ont manifesté contre la tenue de ce genre d’activités pour enfants. S’inspirant d’un mouvement conservateur venu des États-Unis, ces manifestants arguaient que les drag queens ne devraient pas lire des contes aux enfants. De nombreux États américains ont d’ailleurs voté des lois visant à interdire aux personnificateurs féminins de se produire devant des personnes de moins de 18 ans – plusieurs de ces lois ont toutefois été annulées par les tribunaux.

« Je ne suis pas surprise que ça arrive jusqu’à nous », avoue Barbada, rencontrée la veille de son activité de lecture. Elle se réjouit toutefois de la différence entre la façon dont les choses se passent ici et aux États-Unis. Début avril, après qu’une manifestation eut forcé le déplacement de l’une de ses lectures pour enfants à Sainte-Catherine, en Montérégie, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion soulignant que « les drag queens ne devraient, en aucune circonstance, faire face à des insultes violentes, à de l’intolérance, à de la haine pour leur participation à la lecture de contes pour enfants ».

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

La drag queen Barbada à la Grande Bibliothèque, mardi

Voir la classe politique se lever pour faire barrage à la haine l’a rassurée.

J’étais extrêmement fière de ma province. Pas de moi, de ma province. Ici, ça n’a pas atteint le politique ni le juridique.

Barbada, au sujet d’une motion sur les drag queens adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale

« Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de failles dans ce barrage-là, mais c’était un message clair, c’était un non unanime. »

Transmettre l’ouverture

L’homme sous les perruques et le maquillage de Barbada a un nom. Qui n’est pas un secret, mais qu’il souhaite désormais moins publiciser. Il veut mettre l’accent sur son personnage et non sur celui qu’il est une fois qu’il a retiré sa robe et ses faux cils. Comme il l’explique très simplement aux enfants avant de commencer à lire des histoires, une drag queen, c’est d’abord une personne déguisée. Par fantaisie et pour le plaisir de jouer. Un peu comme un déguisement d’Halloween.

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Quelques-uns des contes de la collection de Barbada

Barbada peaufine son sens du spectacle depuis 18 ans et ce n’est pas un hasard si elle a fini par lire des histoires aux enfants. Sous son costume se cache un homme qui a aussi longtemps enseigné la musique aux enfants du primaire. « Il y a eu une adaptation à faire, convient-elle, mais en même temps, ça fait 18 ans que je la fais. Ça fait 18 ans que je fais un show de drag le mardi soir et que j’enseigne à des enfants de première année le lendemain. »

Son désir de raconter des histoires aux enfants, ce qu’elle fait notamment dans des bibliothèques depuis 2017, découle d’une sorte de déformation professionnelle. Barbada veut parler de diversité, de respect de soi et des autres, parce qu’elle juge que les enfants d’aujourd’hui sont et seront « plus confrontés à la différence que toutes les générations d’avant ».

Barbada ne parle pas d’homosexualité, de racisme ou de transidentité durant ses activités destinées aux enfants. Pas directement, du moins. Ces choses-là se trouvent entre les lignes. Comme dans cette histoire de roi bleu, qui fait construire un mur pour séparer les bleus des autres couleurs, mais qui devra se rendre à l’évidence qu’il a besoin des autres couleurs. Ou comme dans cette autre, qu’elle n’a pas lue mardi, où il est question d’un petit crocodile qui n’aime pas l’eau. Ce qui est logique, au fond, car il s’avérera être un dragon…

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La drag queen Barbada à la Grande Bibliothèque, mardi

Arrêtons de jouer à l’autruche : si on ne leur parle pas des choses, [les enfants] vont l’apprendre sur l’internet et les réseaux sociaux. Des fois, ils auront la bonne information, mais souvent, elle sera complètement fausse.

Barbada

« Je trouve important que les adultes le fassent, en enseignement et ailleurs, avec des mots que les enfants vont comprendre », souligne-t-elle.

« On peut parler de tout, pourvu que le vocabulaire et la manière soient appropriés », juge Barbada. Elle ne martèle d’ailleurs aucun message sinon ceux-ci : c’est correct d’être qui vous êtes, c’est correct d’être différent et, de grâce, si une autre personne vous paraît étrange, prenez le temps de l’écouter avant de la condamner. Personne n’est obligé d’aimer tout le monde, mais tout le monde a le droit d’être entendu et respecté. « On a deux oreilles et une bouche, souligne Barbada. On devrait écouter deux fois plus qu’on parle. »

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