L’artiste d’origine néo-zélandaise Kate McIntosh invite le public à devenir à la fois destructeur et créateur avec son installation interactive Worktable, présentée au Festival TransAmériques (FTA). Compte rendu d’une expérience déstabilisante, mais hautement ludique.

L’expérience de Worktable débute devant des étagères chargées d’objets hétéroclites. Un téléphone à cadran ou un vase. Un clavier d’ordinateur ou une botte. Il faut en choisir un, et un seul, que chaque participant sera invité à démonter. La vieille machine à écrire est intimidante, le grille-pain aussi. La Presse s’est prêtée au jeu.

Je choisis un disque vinyle dans sa pochette cartonnée. Deux matières à explorer : le plastique et le papier…

On me mène ensuite dans une salle où m’attendent une panoplie d’outils qui m’aideront à remplir ma mission : démonter, déconstruire, démolir (c’est selon) l’objet que j’ai choisi. Je fais quelques essais, mais le vinyle résiste au marteau et à la masse caoutchoutée. Je manque de conviction, je pense. Détruire sans raison n’est pas dans mon ADN. Je me résigne et raye le disque avec un tournevis. Une strie, une deuxième. Le disque est fichu, mais il n’est pas déconstruit…

Un coup de ciseaux, un autre de pince, puis le vinyle cède, se fragmente en éclats disparates. J’y vais de façon méthodique, je déchire le papier en bandes presque égales. Dans la salle d’à côté, j’entends quelqu’un qui s’échine à coup d’égoïne. Rageusement…

Une fois satisfaite du travail de démolition, je dépose le plateau qui contient désormais un monticule de miettes et de bouts de papier avant de passer la porte d’une deuxième salle. Ce ne sont plus des outils qui m’attendent sur les tables, mais un assortiment de matériaux de bricolage : colle, élastiques, ruban gommé, ficelle.

Je dois choisir un second objet, démoli par quelqu’un avant moi, pour tenter de le reconstruire. Pour rester dans le thème musical, je jette mon dévolu sur une cassette audio éventrée… Pendant 30 minutes (mais je pourrais rester des heures, puisqu’il n’y a pas de limite de temps pour les participants), je transforme les bouts de plastique, de carton et de métal en une statuette rigolote, petit visage coiffé d’une chevelure frisée faite de ruban magnétique…

C’est étrangement thérapeutique. Transformer le chaos en quelque chose de beau. Donner du sens à des pièces éparses. Pour d’autres, la catharsis viendra certainement de l’acte de démolition. Réduire en poudre un clavier d’ordinateur peut en effet être libérateur.

Dans la dernière salle du parcours, les créations des participants sont exposées comme autant d’œuvres d’art dans un musée. Certains objets ont été reconstruits à l’identique pour reprendre leur forme d’origine. D’autres ont pris des formes nouvelles, éclatées. Il y a du génie ici. Une guirlande faite de bouts de crayons cassés, un mobile conçu à partir d’une espadrille, un étonnant capteur de rêve construit à partir d’un globe terrestre…

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL TRANSAMÉRIQUES

Les œuvres créées à partir des objets démontés sont ensuite exposées comme dans un musée.

L’imagination n’a pas de limite, même pour ceux qui ne se définissent pas comme des artistes. C’est une des leçons à tirer de Worktable. On peut aussi y voir une critique inusitée contre l’obsolescence des objets qui nous entourent et s’accumulent dans nos dépotoirs. Une charge contre la surconsommation. Un questionnement sur notre attachement parfois malsain aux objets matériels. Pour Kate McIntosh, c’est le tremblement de terre de Christchurch en 2011 qui a servi de bougie d’allumage : toute cette destruction sur laquelle il fallait reconstruire. Tous ces objets de la plus grande banalité qui pouvaient devenir des dangers si la terre tremblait.

Peu importe le sens qu’on voudra donner à cette installation, le plaisir de la création décomplexée est le plus marquant de cette expérience. À savoir : les enfants sont invités à participer à Worktable. Au moment d’écrire ces lignes, il reste encore des billets pour certaines « représentations ».

Jusqu’au 10 juin, à la salle polyvalente du Complexe des sciences de l’UQAM