Chaque semaine, des journalistes des Arts de La Presse nous font le récit d’une anecdote vécue lors de la couverture d’un évènement culturel. Le plus grand malaise qu’ils ont ressenti, le moment le plus stressant d’une affectation, le spectacle le plus amateur qu’ils ont vu, l’entrevue la plus pénible, etc. Voici leurs témoignages. Bonne lecture !

Isabelle Huppert

Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre l’une des plus grandes actrices de sa génération. En 2006, Isabelle Huppert était de passage à Montréal pour interpréter la pièce 4,48 Psychose, de Sarah Kane. Elle venait de recevoir un Prix spécial d’interprétation au Festival de Venise, de tourner avec Claude Chabrol et elle était de la distribution de Gabrielle, très beau film de Patrice Chéreau qui prenait l’affiche chez nous. J’étais, avant même de la rencontrer dans le hall de son hôtel du Vieux-Montréal, intimidé. Et ça ne s’est pas amélioré pendant l’entrevue. Elle était manifestement mal lunée. Elle me rappelait les personnages les plus cassants et distants qu’elle avait pu interpréter. « C’est sans doute un cliché, mais trouvez-vous plus exigeant d’interpréter des personnages durs, froids et tordus comme celui de La pianiste ? », lui avais-je demandé. « Non, m’avait-elle répondu. Évidemment que l’on met de soi, de l’émotion dans un rôle, mais on est constamment ramené au plaisir du jeu. » L’entrevue était terminée. J’ai éteint l’enregistreuse. Je lui ai demandé si elle se plaisait à Montréal. Elle s’est levée sans répondre et elle est partie. Je suis resté bouche bée. Ça ne m’était jamais arrivé. Lorsque je l’ai interviewée au Festival de Toronto, il y a cinq ans, pour Elle de Paul Verhoeven, elle était au contraire affable et avenante. J’avais dû tomber, la première fois, sur une mauvaise journée…

Ewan McGregor

PHOTO TWENTIETH CENTURY FOX

Ewan McGregor and Renée Zellweger dans Down With Love, sorti en 2003

Je n’ai jamais été une groupie dans l’âme, mais j’ai toujours eu un petit faible pour le comédien Ewan McGregor. Je l’ai rencontré une fois à New York lors de la sortie de la charmante comédie romantique Down With Love, de Peyton Reed. Juste avant la table ronde, où nous étions environ six journalistes, j’étais au buffet à me préparer un café quand j’ai senti une main dans mon dos et quelqu’un me dire : « Excuse me. » C’était Ewan qui voulait se frayer un passage et j’ai littéralement fondu. En fait, l’acteur a séduit tout le monde, les gars, les filles, les gais, en parlant de son rôle dans Star Wars, d’amour, de couple et du fait qu’il n’avait aucun problème avec la nudité au cinéma. Même sa covedette, Renée Zellweger, a fait des blagues sur son charme en disant que Ewan n’avait « malheureusement » dragué personne sur le plateau de tournage. Il était tellement beau, drôle et gentil que je n’ai rien compris de ce qu’il a dit pendant cette entrevue, notamment à cause de son fort accent écossais, mais aussi parce que j’avais littéralement les yeux dans la graisse de bines. Une chance que j’avais mon enregistreuse.

Marie Laberge

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteure Marie Laberge, capable d’émouvoir ses lecteurs, mais aussi les journalistes qui l’interviewent…

Je pleure facilement dans la vie et j’avoue que j’ai souvent eu les larmes aux yeux en entrevue avec des artistes. Mais rien ne battra la fois où Marie Laberge, au tout début de notre rencontre, m’a raconté (je ne me souviens plus pourquoi d’ailleurs) l’histoire d’un ado qui ne parlait plus depuis la mort de sa mère, et qui avait retrouvé la parole après qu’elle fut allée donner une conférence dans son école. Mes enfants étaient encore jeunes, je pense que je me suis projetée, les larmes se sont mises à couler. De toute évidence habituée à ce genre d’effusion, Marie Laberge a seulement attendu que je me ressaisisse et l’entrevue a pu se dérouler comme si de rien n’était. Malgré mon émotivité, étonnamment je me contiens très bien quand je dois récolter des témoignages lors de la mort d’artistes. Urgence, désir que les hommages et le texte soient à la hauteur de la personne disparue, intensité du moment m’aident à garder mon sang-froid. Je me souviens par contre avoir eu le cœur serré lorsque Paul Buissonneau avait éclaté en sanglots en me parlant de Claude Léveillée, il y a dix ans. Et plus récemment, lorsque l’agent de Serge Bouchard, Guy Laforce, a dû s’arrêter plusieurs fois en me parlant de son ami mort subitement, submergé par l’émotion. « Ce n’est pas grave, prenez votre temps. » J’en ai profité pour écraser une larme moi aussi, et replacer ma voix qui tremblait un peu.

Pol Pelletier

PHOTO FOURNIE PAR LE FTA

La femme de théâtre Pol Pelletier a un peu surpris notre critique, en entrevue, voilà des années.

Pol Pelletier est un électron libre dans le paysage du théâtre québécois. Actrice, metteure en scène, auteure, pédagogue et féministe, elle a été cofondatrice et codirectrice du Théâtre expérimental de Montréal et du Théâtre expérimental des femmes, devenu Espace Go. À ce sujet, Pelletier a déjà acheté une publicité dans Le Devoir pour dénoncer « l’une des grandes fraudes intellectuelles de notre temps », concernant la naissance et la mission féministe d’Espace Go, arguant que « le Théâtre des femmes est mort en 1990 ». Lorsqu’on la rencontre en 1995, sur la terrasse d’un café, rue Saint-Denis, Pol Pelletier savoure le succès de ses trois spectacles solos : Joie, Océan et Or. Au beau milieu de l’entrevue, elle se lance dans une explication sur une technique de jeu qu’elle enseignait dans ses « dojos d’acteurs ». En gros, elle nous explique que l’émotion brute provient du ventre de l’interprète… et même un peu plus bas. Pour un homme, il doit donc être capable de faire entendre « la voix de son scrotum » sur scène ! Pour illustrer sa théorie, la comédienne monte sur sa chaise en faisant des gestes pour illustrer l’origine de cette technique… en disant le mot « scrotum » à voix haute. J’arrête alors de prendre des notes et je regarde les réactions des clients du café qui ont droit, ce jour-là, à une grande scène d’impro théâtrale !