Depuis le début de la pandémie, les acteurs n’ont jamais autant fouillé dans leur boîte à souvenirs. Dans cette série estivale, La Presse demande à des interprètes chevronnés de commenter des rôles marquants de leur carrière. Aujourd’hui, la comédienne Maude Guérin nous confie ses beaux rendez-vous au théâtre, au cinéma et à la télévision.

Le premier rôle qui vous a révélée dans votre métier

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

François Papineau, Stéphane Gagnon et Maude Guérin dans Motel Hélène

« Au théâtre, c’est inévitablement Johanne dans Motel Hélène de Serge Boucher. Près de 25 ans après la création, on me parle encore de ce personnage bouleversant : une femme de région qui a perdu son fils et mis son chum à la porte afin de mieux recommencer sa vie. En 1995, avant la création, j’ai fait une lecture de la pièce au Théâtre d’Aujourd’hui. René Richard Cyr était dans la salle. À la fin de la soirée, il est venu me voir pour me dire qu’il désirait mettre en scène le texte de Serge. Il avait aussi été très surpris par mon jeu. En lisant la pièce, il avait vu Johanne comme un petit oiseau fragile et vulnérable, alors que je la jouais comme un bulldozer ! René Richard a eu l’honnêteté de me dire qu’il avait mal interprété sa psychologie. Car Johanne s’est construit une carapace pour cacher son secret, sa blessure. Elle parle sans arrêt pour s’étourdir, pour que son drame ne resurgisse pas. J’en ai connu, des filles comme Johanne, à La Tuque, où j’ai grandi et où mon père gérait un hôtel. Tu peux sortir la fille de La Tuque, mais tu ne peux pas sortir La Tuque de la fille ! [rires] »

Le rôle dont les gens vous parlent le plus souvent

PHOTO VÉRO BONCOMPAGNI, LA PRESSE CANADIENNE

Maude Guérin dans le rôle de MDominique Lavergne dans Toute la vérité à TVA

« Dominique Lavergne dans Toute la vérité [diffusé à TVA de 2010 à 2014]. Une lesbienne en couple qui travaille dans un bureau d’avocats. Salomé Corbo, qui faisait ma blonde à l’écran, m’a dit qu’à l’époque, on commentait beaucoup notre couple sur les réseaux sociaux. Des membres de la communauté LGBTQ s’identifiaient à nous. J’aime me transformer quand j’aborde un nouveau personnage. Pour Dominique, je me suis inspirée de mon père.

 – De votre père !

 – Oui. Je lui ai emprunté des traits de caractère, son habillement, ses complets, sa démarche. Je me souviens que papa jouait toujours avec ses clés et sa monnaie dans ses poches de pantalon. Et Dominique faisait ça aussi. »

Plus récemment, les cinéphiles lui parlent aussi de Joe, la mère de famille monoparentale et alcoolique de Chien de garde, le premier long métrage de Sophie Dupuis. Ce rôle lui a valu un prix Iris pour son interprétation en 2018. « Je ne voulais pas en faire un cliché de mère alcoolique, explique la comédienne. À l’instar de l’héroïne dans Motel Hélène, Joe fait son possible. Mais Joe vient d’un milieu qui ne lui donne pas tous les outils pour s’en sortir. »

Un rôle qui vous a fait grandir

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Maude Guérin a remporté le prix Iris de la meilleure interprétation féminine pour son rôle dans Chien de garde, en 2018.

« Tous les rôles nous font grandir… en particulier, ceux qui provoquent de belles rencontres. Comme celui de Maggie [inspiré de Marilyn Monroe] dans Après la chute d’Arthur Miller, en 1994. C’était ma première collaboration au théâtre avec [le metteur en scène] Yves Desgagnés. Je n’étais pas connue et Yves m’a fait confiance. Il m’a fait entrer par la porte d’en avant chez Duceppe. Il m’a aussi offert quatre beaux rôles de Tchekhov. J’aimerais tellement retravailler avec Yves ! »

Le rôle qui a été votre plus grand défi

« Les rôles où je devais chanter. Mon premier théâtre musical, c’est Frères de sang, sous la direction de René Richard [Cyr]. Il m’a rappelé après pour Pierrette Guérin dans Belles-sœurs et Carmen dans Le chant de sainte Carmen de la Main. J’adore les pièces musicales, mais ça reste un défi de chanter sur scène. À travers un personnage, c’est plus facile pour moi. J’ai appris avec le temps qu’un acteur peut passer par-dessus bien des peurs dans la peau du personnage. »

Le rôle que vous rêvez de jouer bientôt

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La comédienne Maude Guérin au kiosque à musique du parc Molson, le 15 juin dernier

« Une pièce que je veux faire prochainement, c’est Émilie ne sera plus jamais cueillie par l’anémone. Un texte magnifique de Michel Garneau sur deux sœurs, Émilie et Uranie, qui sont sur le point de se quitter alors que leur mère est mourante. Ça parle de la vie, de la façon dont on voit sa propre mort, et ça parle aussi de l’amour et de la musique. Une pièce extrêmement actuelle ! »

« C’est amusant, plus jeune, je pensais que ma carrière serait consacrée aux classiques du répertoire. Je me voyais jouer Phèdre et les grandes reines tragiques. Or, je me suis surtout démarquée avec des créations québécoises. J’ai beaucoup travaillé au théâtre et à la télévision. Je viens d’avoir 55 ans. J’ai maintenant envie de faire davantage de cinéma. J’aimerais jouer dans des films réalisés par des femmes jeunes et talentueuses, comme Sophie Dupuis ou Chloé Robichaud. »