La dernière fois que j’ai parlé à mon amie Do, alias Dominique Dumas, qui habite Saint-Pamphile, ça allait vraiment bien dans Chaudière-Appalaches, tandis que les Montréalais étaient les pestiférés de la pandémie. Malgré tout, elle était super inquiète, car elle dirige une résidence pour aînés (RPA) hébergeant une douzaine de personnes âgées qu’elle protège comme Ripley dans Aliens.

Le virus n’est pas entré dans sa résidence, mais un chien, oui. Son premier. D’abord pour égayer ses résidants qui ne pouvaient recevoir de visite pendant le confinement. Et pour madame Magella, qui n’avait pu dire adieu au sien en passant directement d’un séjour à l’hôpital à la résidence de Do, sans retourner chez elle.

PHOTO CATHERINE CHOUINARD, FOURNIE PAR DOMINIQUE DUMAS

Kiwi, le chien thérapeute, avec Dominique Dumas et madame Magella

Do a déniché un chiot né en février, mais il était déjà promis à quelqu’un d’autre. Quand la femme qui l’offrait a su à quoi Do voulait le destiner, elle a flanché : « OK, il est à toi ». Kiwi, le teckel-yorkshire, est arrivé. Et il est instantanément devenu la star de la RPA. « Kiwi a une sensibilité particulière, me dit Dominique. Il reconnaît les gens tristes. » Il entre dans toutes les chambres, chipe parfois des trucs aux résidants, se colle à ceux qui en ont le plus besoin. « C’est de la zoothérapie à mille pour cent ! », confirme Dominique, qui n’avait jamais eu l’occasion de voir à l’œuvre ce genre de magie.

Il a complètement changé l’atmosphère. C’était le confinement total, chacun était dans sa chambre et il n’y avait que moi et le chien auprès des résidants. Maintenant, tout le monde se parle autour de lui. Il a remis du pep dans la maison. Je dirais même que ça m’enlève de l’ouvrage, car ce chien-là sert vraiment de thérapeute. Avec Kiwi, les résidants bougent plus, ils jouent avec lui, lui lancent la balle. Kiwi est toujours là au bon moment. Et il m’aide moi aussi par sa présence à combler le vide, à calmer mes angoisses.

Dominique Dumas, dirigeante d’une résidence pour aînés

C’est aussi pour remonter le moral de sa fille Ophélie, 7 ans, que la journaliste et animatrice Claudia Larochelle a voulu adopter un chat. Ophélie, fillette très sociable, a très mal vécu l’isolement et la fermeture des écoles. Pour tout dire, Claudia ne reconnaissait plus sa fille. Elle s’est mise en quête d’un chaton, avec beaucoup de difficultés, car la demande est énorme. Ophélie voulait un bébé femelle. C’était avant qu’elle tombe sur la photo de Bob, matou de 4 ans, rescapé par le Réseau Secours animal. Le coup de foudre a été instantané.

« C’était émouvant de la voir redevenir souriante, enjouée, explique Claudia. Elle revivait sous mes yeux grâce à Bob. J’en ai pleuré dans mon masque quand ils se sont rencontrés. J’ai ajouté le Dylan à son prénom en hommage au chanteur chill qui a quelque chose de félin. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Claudia Larochelle est ses enfants, Ophélie et Lambert, avec le chat Bob Dylan

Claudia a elle-même été une femme aux chats avant d’avoir des enfants, et on peut dire que Bob est le premier chat familial. Maintenant, c’est Ophélie qui est devenue toquée des chats, elle lit tous les livres à leur sujet. Et Bob est apparu dans les dessins d’Ophélie et de son petit frère Lambert, 4 ans, comme un membre de la famille. « Dans l’imaginaire collectif, tout le monde veut un petit minou, et c’est ce que voulaient les enfants, mais ce n’est pas ça qui est le plus aidant finalement, et pour le monde félin et pour les enfants. On aide plus en allant chercher un chat adulte et c’est beaucoup moins de trouble. Nous ne regrettons vraiment pas notre choix. »

Animal, je t’ai choisi

« Sauver un senior, ça vaut vraiment la peine », croit Michel Dumais, qui s’y connaît bien, car il a toujours habité avec des chats et des chiens. « Honnêtement, dans le futur, c’est ce qu’on va regarder. Ils sont tellement agréables. Le temps qu’ils seront avec toi, donne-leur du bonheur et ils vont t’en donner. »

Au début de la pandémie, Michel a perdu son chat et son chien de maladies fulgurantes à quelques mois d’intervalle. Il n’était pas question de vivre le confinement sans présence animale. Il a trouvé scandaleux de voir que des gens en profitaient pour vendre des chatons à des prix exorbitants. D’ailleurs, il se dit inquiet du sort des animaux adoptés en panique quand les gens en télétravail retourneront au bureau.

Michel s’est finalement retrouvé avec Monsieur Tom, golden retriever de 9 ans qui était dans un refuge à Shawinigan. Quant à sa chatte Charlie – nommée en hommage à Charlie Hebdo –, c’est un de ses amis qui l’a trouvée, « une chatte de d’sour de balcon », résume-t-il. Monsieur Tom et Charlie s’entendent très bien et comblent Michel et sa conjointe. « Ce n’est pas seulement bon pour notre moral, mais pour tout l’entourage. Les enfants du quartier adorent Monsieur Tom, qui le leur rend bien. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Michel Dumais et son chien Monsieur Tom, qu’il a adopté pendant la pandémie.

L’écrivaine Véronique Marcotte est un peu gênée de le dire, mais l’année 2020 a été très bonne pour elle jusqu’à maintenant. Juste avant la pandémie, elle a mis à exécution son projet d’aller vivre à la campagne avec son conjoint, à Frelighsburg. Le timing parfait, quoi. Elle avait maintenant de la place en masse pour donner de l’amour à des animaux, et aussi beaucoup de temps, car la vie sociale de son conjoint et d’elle a été mise brutalement sur pause.

Le désir d’avoir un chien que Véronique repoussait parce qu’elle vivait en appartement avant n’en a été que décuplé. En attendant, une voisine lui a donné deux chatons de ferme, et il lui a fallu six mois pour trouver Vénus, chienne de 3 ans, mélange de golden et de husky. Elle n’a résisté que quatre soirs avant de lui permettre de grimper dans le lit. C’est maintenant un ménage à cinq, puisque la meute dort ensemble, si bien qu’elle a dû acheter un plus grand lit.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Ce chien, c’est un miracle », croit Véronique Marcotte, qui tenait à sauver un chien de refuge.

L’ancien propriétaire de Vénus a été retrouvé mort chez lui, la chienne à ses côtés. Elle est arrivée chez Véronique un peu troublée, mais elle s’est rapidement adaptée. « Ce chien, c’est un miracle », croit Véronique, qui tenait à sauver un chien de refuge. « C’est très nouveau pour moi, ce lien-là avec une bête. C’est une responsabilité envers un être vivant et c’est très valorisant. Cela a transformé la structure de ma journée. »

Hier soir, j’ai passé une heure dehors à jouer dans la neige avec Vénus. À qui tu penses que ça fait du bien ? Au lieu de boire du vin, j’ai respiré l’air pur, toute seule avec mon chien.

Véronique Marcotte, écrivaine

L’histoire de Mélissa Lebel m’intéressait parce que je l’ai vue sur Facebook soigner ses chats, Chopin et Joséphine, vraiment jusqu’au bout. Ce qu’on appelle, entre amoureux des animaux, les « gériatriques ». Ceux qui ont toujours été là dans les bons et les mauvais moments. Ceux que tout le monde te dit d’envoyer au cimetière, dès qu’ils ont un bobo, alors qu’ils en ont déjà plus d’un. Mélissa aurait eu l’impression de trahir la mémoire de ses vieux chats si elle en avait adopté d’autres après leur départ, mais puisqu’elle habite seule à Québec, le confinement a bousculé son deuil.

« C’était épouvantable, se souvient-elle. Le travail était suspendu, je tournais en rond, je faisais juste stresser, à ne pas savoir quoi faire et à avoir peur de sortir, car je suis une personne à risque. J’étais vraiment seule et tous mes gestes me rappelaient que je n’avais plus de chats. »

PHOTO FOURNIE PAR MÉLISSA LEBEL

Zia et Léon, frère et sœur

Sa cousine, aussi « mère aux chats » qu’elle, l’a titillée avec une photo de deux chats de refuge d’environ 1 an, Léon et Zia, de la même portée. La condition était qu’ils soient adoptés ensemble, mais Léon ne trouvait pas preneur, car il est né borgne. « Comme je suis sourde d’une oreille, je me suis identifiée à Léon », confie Mélissa, qui va s’en occuper jusqu’au bout, je vous le garantis. Léon et Zia ne pouvaient pas mieux tomber. Entre rescapés, on se comprend.

Et au bout du compte, on ne sait plus qui de l’animal ou de l’humain est le plus sauvé des deux quand survient le « match » parfait.

Nos anges à poil

Je ne sais pas de quoi on aurait l’air aujourd’hui si ce pot de colle nommé Angie n’avait pas été là ces pénibles derniers mois. Le plus drôle est que je ne la voulais même pas quand ma mère tenait à me la donner après la mort de Franz, mon précédent chien adoré. Je trouvais les Shih Tzu quétaines. Mais après l’avoir hébergée un week-end, elle n’est jamais repartie. Mon chum a crié au complot mère-fille, et c’est maintenant lui le plus gaga. Nous étions environ six mois avant la catastrophe planétaire.

Quand je me lève déprimée le matin et que Paul Arcand est fâché dès que j’ouvre la radio, j’éclate de rire parce qu’Angie me regarde amoureusement en train de pisser, alors qu’on vient de passer la nuit à dormir en cuillère. Inconsciente de la pandémie, mais profiteuse de la situation en maudit.

« T’es jamais tannée, Angie ? »

Un chien t’aime tellement, peu importe qui tu es, que c’en est ridicule. Car à part ta mère, personne ne t’aime autant, et tu le sais.

Le proprio de l’animalerie où je fais toiletter Angie m’a confirmé qu’il recevait une quarantaine d’appels par jour de personnes qui cherchaient un chat ou un chien depuis le début de la pandémie, alors qu’on n’y vendait presque plus d’animaux. Ce qu’il craint est une vague d’abandons quand les vagues de la COVID-19 seront terminées. Car il y a un versant sombre à cet engouement, que le journal The Guardian, qui documente le phénomène du « chien du malheur », décrit dans un article. Marché noir, exploitation et gens mal préparés aux responsabilités d’avoir un chien, le vide causé par la COVID-19 peut faire beaucoup de victimes dans le monde animal.

Mais j’ai été profondément émue d’entendre les gens me parler de leurs animaux en période de distanciation physique. Je ne compte plus les fois où ils m’ont dit que sans eux, ils n’auraient pas tenu le coup. Je pense qu’il faudrait réfléchir à l’interdiction d’animaux domestiques dans les appartements afin d’éviter que les locataires aient à choisir entre un toit et parfois leur seul ami – ce qui contribue énormément aux abandons chaque année – tout en resserrant les règles d’adoption et en étant sévères avec les profiteurs qui font de la reproduction en chaîne. On ne devrait priver personne de ce lien tellement fort qu’il peut te rendre végétarien ou réellement t’aider à traverser la première grande pandémie du siècle.

Et vous, comment vos animaux vous aident-ils pendant cette étrange période ? J’ai envie d’entendre vos histoires, car là-dessus, je suis comme Angie, je ne me tanne jamais.