Jusqu'au dernier moment, on n'osait pas trop l'annoncer, car pour mille raisons la rencontre aurait pu ne pas avoir lieu. Mais ça y est, les voix de deux des derniers «monstres sacrés» de la chanson francophone se sont croisées, hier près de Paris: Charles Aznavour et Gilles Vigneault, qui chantaient ensemble pour la première fois, ont enregistré une chanson pour l'album de duos de l'artiste québécois, prévu l'an prochain.

Le Soleil a été le témoin privilégié de cette rencontre, aucun autre journaliste n'ayant été admis en studio. Aznavour, qui s'est fait attendre un petit peu, a gagné la partie au jeu du temps, improvisant au moment des salutations à son hôte.

«Ah! mais vous avez toujours la même femme! a-t-il lancé à M. Vigneault. Combien de temps? Quarante-cinq ans! Moi, ça fait 47 ans et demi que j'ai la même. Vous avez eu 81 ans? Moi, j'en ai 85!»

Charles Aznavour a chanté Une branche à la fenêtre, une très belle chanson d'amour - choisie par la femme de M. Vigneault, Alison - qui aura sans doute une extraordinaire deuxième vie.

Autour du piano de Bruno Fecteau, l'hôte a appris la chanson à son invité, puis Aznavour s'est isolé en studio, il a buté un petit peu sur le refrain, juste une note qu'il fallait placer avant d'être juste.

Les deux chanteurs ont ensuite écouté Les gens de mon pays avant qu'Aznavour puisse enregistrer deux lignes de ce qui deviendra un hymne collectif. Une seule prise, elle est parfaite. «C'est épatant comme les deux voix se marient», s'est exclamée Alison.

Charles Aznavour s'est ensuite excusé auprès de Gilles Vigneault d'avoir raté le concert de l'Olympia, trop occupé par la sortie prochaine d'un disque et d'un livre. Devant le verre de rouge qu'on lui a offert, il a simplement répondu: «C'est difficile à refuser.» Il en a bu deux gorgées et puis il est parti, saluant toute l'équipe et donnant la main à chacun avant de partir.

Avant Charles Aznavour, c'était au tour de Guy Béart, que Gilles Vigneault lui-même, accompagné du producteur Paul Dupont-Hébert, est allé cueillir chez lui. Entre Vigneault et Béart, la complicité des vieux amis était évidente, l'admiration, mutuelle.

Lorsque l'artiste français a commencé au micro Quand vous mourrez de nos amours, Gilles Vigneault, en régie, a chanté tout bas avec lui, agitant ses mains pour suivre la musique, comme un chef d'orchestre. Le dernier enregistrement de duos en France appartient à Anne Sylvestre, qui a passé la journée à s'approprier la difficile La source avant son arrivée au studio à 18h. À la première prise de son, le directeur musical lui a demandé de chanter un peu plus.

«Je suis dans mes chaussettes, là, mais j'arrive! La voix n'est pas là tout de suite, même après 52 ans!» a-t-elle répondu, ajoutant être un peu intimidée d'interpréter la chanson devant son auteur, qui écoute en régie.

Au troisième enregistrement, la voix s'étant réchauffée, Anne Sylvestre a poussé la chanson avec la force et les nuances qu'il faut, la magie a opéré. Elle est arrivée à faire couler de source ce refrain si difficile à se mettre en bouche: «Écume, embrun, brume et brouillard.»

«Quand j'ai écrit ça, a dit Gilles Vigneault, tu te rappelles, tu m'avais dit merde, t'aurais pu me laisser ça!» «Ah! ben oui, j'aurais voulu l'écrire!» a répondu Anne Sylvestre en riant. Les amis ne se sont pas quittés tout de suite. Ils ont partagé un repas ensemble et évoqué la possibilité de se revoir au temps des sucres.

L'enregistrement des duos se poursuivra au Québec prochainement, avec, notamment, Richard Desjardins et Diane Dufresne. Quant au disque, il faudra attendre, patiemment, jusqu'en mars pour en découvrir les merveilles.