Ian Kelly écrit des chansons pour le plaisir d'agencer des sons. Vu son sens de la mélodie, sa sincérité et son bon goût, son petit jeu donne naissance à des chansons aux atmosphères recherchées et au propos aussi sensible que sensé.

Il y a des tonnes de raisons de jouer de la musique. Ian Kelly, lui, c'est parce qu'il aime les sons. Avant de se consacrer entièrement à ses propres chansons, à son propre univers sonore, le jeune Montréalais s'efforçait de mettre en valeur ceux des autres. Il a été «sonorisateur» au défunt Spectrum et au Théâtre Corona. Pas plus tard qu'en juillet dernier, il a fait partie de l'équipe de tournée du Nigérian Seun Kuti.

«J'aime le son, les machines, dit le musicien élevé dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. La musique pop d'aujourd'hui repose sur les mêmes quatre accords, alors le son prend une importance de plus en plus grande. L'atmosphère des chansons et la façon dont elles ont été enregistrées dictent comment on se sent en les écoutant.»

Ian Kelly n'a besoin de préciser que les ambiances comptent beaucoup dans son univers chansonnier. Il suffit de tendre l'oreille à Speak Your Mind, son deuxième album, pour le saisir. Sa voix (dont le timbre rappelle ici Chris Martin, de Coldplay, et là Adam Duritz, de Counting Crows) est bien en selle au centre. Sa guitare n'est jamais bien loin, non plus.

Ces deux éléments clés sont toutefois ponctuellement enveloppés d'arrangements d'une grande délicatesse et d'une grande variété: un quatuor à cordes, des claviers, de la trompette, du piano, des claviers, du flugelhorn, du banjo, des choeurs et j'en passe. Son folk orchestral, mis en forme avec la complicité du réalisateur Guillaume Chartrain, n'a pourtant rien de grandiloquent. Le judicieux dosage de timbres fait que les interventions de l'un ou l'autre des invités rehaussent l'ensemble sans en gommer l'authenticité folk.

L'authenticité de l'ambivalence

Ian Kelly, comme le titre de son disque l'indique, a choisi de chanter principalement en anglais - Speak Your Mind compte deux titres en français, au moins en partie. On pourrait croire que ça tombe sous le sens considérant qu'il est né d'un couple mixte: père gaspésien francophone et mère anglophone aux racines irlandaises. Or, il dit avoir toujours parlé plus français qu'anglais, à l'école comme à la maison.

S'il a privilégié l'anglais, comme Pascale Picard ou une foule d'autres musiciens, c'est essentiellement parce que sa culture musicale, elle, est d'abord anglophone. «J'enregistre des sons et si je trouvais que l'hébreu est une langue douce à l'oreille, je chanterais peut-être en hébreu», illustre-t-il.

Cette réalité qui colore aussi sa vision de la chanson. «La voix, pour moi, n'est qu'un autre instrument», affirme-t-il. D'où cette conviction que les textes ne constituent pas un élément capital d'une chanson. «Ce n'est pas obligatoire», nuance-t-il.

On a toutefois peine à croire qu'un songwriter qui intitule son disque Speak Your Mind n'a pas réfléchi aux mots qu'il met sur ses mélodies. «Je me suis forcé, cette fois-ci, admet-il. Je ne suis pas poète, mais je voulais, pour ceux que ça intéresse, que les paroles apportent quelque chose de plus.»

Speak Your Mind n'est pas un album brut ni revendicateur. Il s'agit plutôt d'un album introspectif où sont colligées les observations, les humeurs et les préoccupations d'un jeune homme qui aura bientôt 30 ans. De manière plus ou moins directe, il y est question de relation amoureuse, de paternité et d'inquiétudes devant la dégradation de l'environnement ou la société dans laquelle on vit. «Notre pays n'est pas mieux que le voisin», dit-il, en résumé, dans Take Me Home.

Il ne s'affiche ni en victime ni en grand inquisiteur. Une position ambiguë, honnête, qui donne de la force à ses observations intimes ou sociales. «Je ne pense pas qu'il soit plus important de vouloir sauver le monde que de s'occuper de nos enfants à la maison et d'être bon en tant qu'être humain, avance-t-il. Tout est important, c'est pour ça que je trouve difficile de choisir un combat.» Et la musique est le lieu tout désigné pour exprimer cette ambivalence.