Se baigner dans une eau aussi claire que celle des Caraïbes. Prendre le thé - et d'incroyables gâteaux - près d'une écurie construite en 1800 et bordée de fleurs. Piétiner les plus vieux fossiles coralliens au monde. Tout cela, et beaucoup plus, en l'espace d'une journée, à 75 minutes de Montréal, dans les îles - encore trop peu connues - du lac Champlain.

L'eau n'est peut-être pas turquoise, mais comme dans les mers du Sud, elle est si claire que des courbes de lumière s'entrelacent au fond du lac. Au bord, les enfants s'enrobent de sable chaud. Quelques dizaines de mètres au large, les vaguelettes atteignent à peine les genoux des baigneurs. À 85 km de Montréal, au Vermont, les dunes d'Alburgh annoncent un trésor caché: la presqu'île du même nom et trois îles (Isle La Motte, North Hero et Grand Isle), qui abritent plus de 60 fermes et 5 villages, au beau milieu du lac Champlain.

Trop pressés d'arriver à Burlington ou à Plattsburgh, la plupart des vacanciers passent tout droit.

Ici, pourtant, on ne trouve pas que des vaches et des ballots de foin. Chaque île compte plusieurs plages. Les bandes cyclables frôlent le lac. Le poisson mord rapidement au bout des quais. Et plusieurs maisons de pierre construites il y a près de deux siècles tiennent encore debout. Au loin, les montagnes bleutées semblent avoir été découpées dans le papier.

En voiture, on ne met qu'une demi-heure à traverser l'archipel. Mais on ne regrettera pas d'y dormir pour s'amuser à explorer ses chemins intérieurs, ses eaux pleines de voiliers et de kayaks, ainsi que ses kiosques d'oeufs, de pain et de sirop d'érable.

Les week-ends d'été, on y vit en prime deux expériences charmantes: le marché des fermiers du samedi (à South Hero et Grand Isle) et le thé-concert du dimanche (à l'Isle La Motte).

Au marché, une dizaine de tables débordent de légumes de tous les verts imaginables. Les autres kiosques offrent du porc, des fleurs, des bijoux, des jouets artisanaux, des confitures, des pâtes fraîches... Sans oublier tout ce qu'on peut emporter en pique-nique: pois mange-tout qu'on gobe comme des croustilles, limonade fraîchement pressée, gâteaux, popsicles à la purée de fraises...

Détail amusant: on peut utiliser sa carte de débit pour obtenir la devise du marché, des jetons de bois à 5$. Les fermiers rendent la monnaie en dollars américains.

Le reste de la semaine, ces derniers font confiance à l'honnêteté des clients et laissent leurs produits sans surveillance, dans des abris au bord de la route. À Darby Farm d'Alburgh, on dépose soi-même ses tomates dans la balance, on utilise la calculatrice qui traîne à côté et on dépose son argent dans un pot.

Le bonheur est dans le pré

Les beaux dimanches d'été, les insulaires prennent le thé dans le pré fleuri entourant Fisk Farm et ses bâtiments historiques. Theodore Roosevelt visitait le maître des lieux, Nelson Fisk, lorsqu'il apprit que le président McKinley avait été assassiné, en 1901.

Aujourd'hui, le monde entier peut profiter du domaine. Les mélomanes y écoutent des concerts gratuits (folk, jazz, blues, etc.). Deux pianos à queue trônent dans les écuries transformées en galerie d'art. Les chats dorment au soleil, tandis que les lapins sautent dans l'herbe.

À l'entracte, on s'assoit dans des fauteuils en osier et on se tourne vers le lac, pour boire un thé et goûter à de délectables gâteaux maison.

«Achetez un gâteau, sauvez un fossile!», lance la propriétaire des lieux, Linda Fitch.

Ce n'est pas une blague. Son verger donne sur les falaises d'une ancienne carrière de pierre calcaire, transformée en réserve naturelle de 20 acres à la suite d'une rude bataille. Au pied des parois, des tortues nagent dans l'eau et la mousse. Mais ce n'est pas leur sort qui inquiétait le plus les gens de l'Isle La Motte. La carrière recèle surtout des fossiles de près d'un demi-milliard d'années. Ils datent d'une époque où aucun animal, aucune plante ne vivait encore sur Terre. Seule la mer grouillait, de stromatoporoidés (l'ancêtre des éponges), de trilobites (aux longues pattes), de gastropodes (semblables aux escargots) et de coraux. En mourant, tous ces organismes se sont accumulés sous forme de strates - les plus primitifs au fond, leurs lointains descendants sur le dessus. C'était avant la dérive des continents, à l'époque où le Vermont se situait sous l'équateur.

Les paléontologues amateurs cherchent aujourd'hui des traces de coquilles et de pattes dans les murs des maisons de l'Isle La Motte.

Histoire humaine

Pour se rafraîchir, l'Isle La Motte a aussi sa plage - plus petite et plus rocheuse que celle d'Alburgh, mais plus fraîche avec sa pelouse émaillée de tables. On y trouve un restaurant-cafétéria et, surtout, une église blanche aux vitraux violets, le sanctuaire catholique de Sainte-Anne. Devant l'église, les croyants écoutent la messe en plein air, assis sous un long abri. L'endroit est si paisible que des athées purs et durs avouent avoir parfois envie de les imiter.

On y vient aussi pour plonger dans l'histoire. En effet, l'église s'élève là où les Français ont construit un fort et une chapelle en 1666. Comme en témoigne une statue, Samuel de Champlain avait découvert les lieux dès 1609 et vanté les beautés de sa forêt dans son journal.

North Hero, l'île voisine, abrite un autre lieu de pèlerinage: le Hero's Welcome, un magasin général/boulangerie où on peut acheter de gros sandwichs, du vin, des bonbons rangés dans des jarres, des jouets et des articles de cuisine en tous genres. Le chemin qui y mène est coquet. Par beau temps, on y rencontre des pelotons entiers de cyclistes.

Au magasin, deux pompes à essence rétro voisinent deux bancs à six places. Le rouge est réservé aux républicains et le bleu, aux démocrates. Si l'on préfère ne pas afficher ses opinions politiques, il suffit de traverser la rue pour manger au bord de l'eau, sur une terrasse blanche. Le propriétaire, qui a vécu au Québec, a pris soin de hisser le fleurdelisé à côté du drapeau américain.