Les actionnaires des équipementiers en télécommunications français Alcatel et américain Lucent ont approuvé hier la fusion des deux groupes, qui crée un géant mondial d'une valeur d'environ 30 milliards de dollars canadiens.

Les actionnaires des équipementiers en télécommunications français Alcatel et américain Lucent ont approuvé hier la fusion des deux groupes, qui crée un géant mondial d'une valeur d'environ 30 milliards de dollars canadiens.

Les deux assemblées générales extraordinaires se sont déroulées en même temps, celle de Lucent commençant à Wilmington (États-Unis), dans une atmosphère houleuse, tandis que les actionnaires d'Alcatel, réunis à Paris, ont voté dans le calme.

Ces derniers ont approuvé chacune des 19 résolutions nécessaires à l'approbation de la fusion avec plus de 85 % des voix.

Le vote s'est réalisé avec un quorum de 40,1 %, «un record historique», a souligné le PDG d'Alcatel, Serge Tchuruk.

L'assemblée générale extraordinaire du groupe français, qui a duré 45 minutes, s'est tenue devant une salle comble d'actionnaires. Certains d'entre eux ont fait valoir leur «manque d'enthousiasme» devant cette fusion mais qu'il «fallait aller de l'avant» et qu'il «n'y avait pas le choix» pour l'avenir d'Alcatel.

M. Tchuruk a longuement expliqué les raisons de cette opération qui permettra «d'accroître la valeur» de l'entreprise. Il a rappelé qu'elle générera près de 1,4 milliard d'euros (2 milliards CAN) d'économies par année. La «grosse majorité de ces économies, 55 %, viendra de la réduction des effectifs», a précisé M. Tchuruk, confirmant que 9000 emplois seront supprimés.

Le chiffre d'affaires combiné des deux groupes s'élève à environ 21 milliards d'euros (près de 30 milliards CAN). L'action d'Alcatel a reculé de 24 cents US, à 11,77 $US, à la Bourse de New York hier, alors que cele de Lucent perdait 2 cents US, à 2,25 $US.

M. Tchuruk, qui n'a pas esquivé les «sujets sensibles», a été interrogé sur la parité dans les échanges d'actions, que nombre d'actionnaires français estimaient défavorables à Alcatel. Il a souligné la nécessité d'une «fusion équilibrée en tenant compte des talents et des compétences de chacun» pour ne pas se retrouver devant une «coquille vide» en raison du départ des meilleurs éléments.

Le PDG d'Alcatel a été interpellé sur un autre sujet de polémique: les nouvelles modalités de gouvernance, selon lesquelles M. Tchuruk, prochain président du conseil d'administration, et Patricia Russo, future directrice générale, ne pourront être révoqués qu'à la majorité des deux tiers des administrateurs.

M. Tchuruk a expliqué que sa mission ne consistera pas à rester «dans le dos» de Mme Russo mais «à demander des comptes» et à assurer la «stabilité du nouvel ensemble».

À Wilmington (Delaware), l'ambiance était beaucoup plus tendue. Dès le début de la réunion, la PDG de Lucent, Patricia Russo, a été chahutée. Reflétant le sentiment d'actionnaires américains qui s'estimaient eux aussi floués par la parité d'échanges mais dans le sens inverse, une actionnaire l'a interrogée avec virulence, dénonçant un «très mauvais accord, tout à l'avantage d'Alcatel».

«Les actionnaires de Lucent seront relégués au rang d'actionnaires de second plan», a lancé la contestatrice, ajoutant que «les Français vont diriger le tout», sous les applaudissements d'une partie de la salle.

À l'issue de cette offre publique d'échange (OPE), les actionnaires d'Alcatel détiendront 60 % du nouvel ensemble et ceux de Lucent, 40 %.

Plusieurs retraités de Lucent se sont aussi inquiétés du sort de leur caisse de retraite et de leur assurance santé, à la suite de la fusion, en exigeant des réponses.

Mme Russo a répondu que la fusion était nécessaire pour permettre au groupe de s'allier pour atteindre «une taille critique pour résister à la concurrence». Elle a reconnu que la fusion créait une «incertitude à l'intérieur des deux groupes» mais a jugé que le sort de ses retraités n'était pas lié au projet de fusion et promis que le fonds de pension resterait largement provisionné.

Lucent, qui a subi depuis des semaines le mécontentement d'une partie de ses actionnaires qui avaient demandé le report de l'assemblée générale pour protester contre les modalités financières de la fusion, a conclu in extremis un protocole d'accord avec deux groupements d'actionnaires, Resnick et AR Maley Trust, pour annuler leurs recours en justice.

Alcatel et Lucent, deux géants en mutation

ALCATEL:

Alcatel est spécialisée dans la conception, la fourniture, l'installation de réseaux téléphoniques dans les télécommunications fixes et mobiles, et dans les équipements d'accès à Internet.

Le géant des télécoms a survécu aux beaux jours de la bulle Internet au prix d'une restructuration continue.

Fin 2000, le groupe comptait plus de 110 000 employés dans 130 pays et un chiffre d'affaires de 31 milliards d'euros (44 milliards CAN).

Mais Alcatel a taillé dans ses effectifs et dans ses activités, abandonnant les câbles et la fabrication des téléphones portables.

Aujourd'hui, amaigri avec 13,1 milliards d'euros (18,6 milliards CAN) de chiffre d'affaires en 2005, Alcatel, qui n'emploie plus que 55 700 personnes, est redevenu rentable, avec un bénéfice net de 930 millions d'euros.

LUCENT:

Lucent fabrique des équipements de réseaux, fixes ou mobiles, pour des opérateurs américains et européens comme Sprint, BT, Telefonica ou France Telecom. Mais le groupe américain est en position financière beaucoup plus fragile qu'Alcatel, avec 5,4 milliards US de dettes à la fin de 2005.

Le groupe, né de la scission des activités équipements du géant ATT, est l'une des rares multinationales dirigées par une femme, Patricia Russo.

Depuis 2001, date de la précédente tentative de fusion avec Alcatel, le groupe américain a réduit de plus de moitié ses activités.

Son chiffre d'affaires est revenu à 9,44 milliards US pour l'exercice 2004-2005, alors que son bénéfice net a reculé de 40 %, à 1,19 milliard US.