Dites-vous «pare-feu» ou «coupe-feu» ? «Hameçonnage» ou «filoutage»? «Emoticon» ou «binette» ? «Espiogiciel» ou «logiciel-espion»? C'est ce que veut savoir le nouvel Observatoire de néologie du Québec, à l'Université Laval, qui a passé six mois à surveiller les tendances dans la traduction des termes technologiques, au Québec et en France.

Dites-vous «pare-feu» ou «coupe-feu» ? «Hameçonnage» ou «filoutage»? «Emoticon» ou «binette» ? «Espiogiciel» ou «logiciel-espion»? C'est ce que veut savoir le nouvel Observatoire de néologie du Québec, à l'Université Laval, qui a passé six mois à surveiller les tendances dans la traduction des termes technologiques, au Québec et en France.

Julie Pelletier, étudiante au doctorat qui a mené cette enquête, a voulu «réfléchir sur les facteurs de réussite ou d'échec» des traductions, qui proviennent souvent d'organismes dûment mandatés comme l'Office de la langue française (OQLF) au Québec, et la DGLFLF en France on vous épargne son nom complet. Comme les deux nations ont leur propre organisme de normalisation, plusieurs traductions officielles peuvent coexister. D'où l'intérêt d'évaluer leur usage pour déterminer les plus populaires.

M me Pelletier a analysé les termes utilisés par les journalistes dans trois quotidiens québécois ( Le Soleil, Le Devoir et La Presse) et trois français ( Le Figaro, Le Monde, Libération).

Quelques découvertes, en vrac : 74% des journaux québécois parlent de «blogues» et 68% de «clavardage». De leur côté, 99% de leurs confrères français utilisent «blogs» et 100% «chat» (prononcez tchatte).

Le terme récent «baladodiffusion», qui a tant déprimé certains journalistes technologiques les «baladeurs», ça fait plus 1985 que 2005 est utilisé par 74% des journaux québécois tandis que 79% des Français lui préfèrent le «podcasting». Il faut dire que là-bas, les mots qui finissent en «ing» et autres anglicismes franchouillardisés parasitent largement les champs sémantiques de tout ce qui est moderne, de la restauration rapide à l'informatique.

L'anglais, c'est plus cool en France qu'ici ? «L'américanophilie, c'est un phénomène général, pas seulement en France. Sauf qu'ici, c'est quand on sonde les usages de la langue orale qu'on en trouve le plus», indique Mme Pelletier, qui présentait cette étude récemment dans le cadre du 74e congrès de l'ACFAS à l'Université McGill.

«Dans l'écrit, les journalistes québécois ne se permettent manifestement pas d'utiliser des mots anglais autant que leurs confrères français. Les journaux d'ici ont plus de pression au chapitre de la francisation, en tant que vecteurs officiels de la langue. Au bout du compte, il y a beaucoup de choses proposées au Québec qui s'implantent bien, tandis qu'en France, pas du tout.»

L'art de l'adaptation est difficile. Parfois il produit de grands succès : le «pourriel» pour les courriels indésirables, la «foire aux questions» pour franciser l'acronyme FAQ (Frequently Asked Questions). D'autres termes sont ignorés parce qu'ils ne sont pas assez popularisés par les médias, ou qu'ils sont trop longs ou tirés par les cheveux.

Afin de mesurer l'enthousiasme du grand public pour certains de ces néologismes, Julie Pelletier a réalisé un sondage auprès de 250 internautes francophones (dont 75% de Québécois), en marge de son étude sur les journaux.

Parmi les termes technologiques qui s'implantent bien dans l'usage quotidien, elle cite «bogue», «courriel», «lien hypertexte», «lecteur MP3», «logiciel libre», «baladodiffusion», «blogue» et «hameçonnage». Parmi ceux qui battent de l'aile, on compte «barrière de sécurité» (firewall), «binette» (smiley), «clavardage» (chat), «espiogiciel» (spyware) ou «filoutage» ( phishing). Enfin, certains termes anglais subsistent dans leur langue d'origine malgré les traductions officielles, parmi lesquelles firewall et smiley.

En tant que linguiste et traductrice, Mme Pelletier est-elle satisfaite ou choquée par les usages linguistiques de ses contemporains? Impossible de le savoir. «Nous faisons une approche descriptive, dit-elle. On ne veut donner aucun avis, on veut juste décrire l'usage réel des termes pour voir ce qui est adopté ou non.»

Il faut savoir que chez les linguistes spécialistes de la néologie, il y a deux écoles de pensée: d'un côté, les «puristes« comme Marie-Éva de Villers et son dictionnaire normatif, qui cherche à imposer des usages en portant un jugement sur d'autres en écrivant par exemple «à éviter» à côté de certains termes. Dans l'autre camp, il y a les «variationnistes» dont fait partie Mme Pelletier, qui réservent leur jugement. Il faut dire qu'il est difficile de lutter contre des termes largement adoptés par les gens. «Ce sont les usagers qui priment», dit-elle pour résumer son approche.

Termes technos les plus souvent choisis dans les journaux québécois et français:

TRADUIRE...
Terme originalQuébecFrance
SpywareLogiciel-espionLogiciel-espion
Free softwareLogiciel libreLogiciel libre
Voice-over-IP (ou VoIP)Téléphonie IPTéléphonie sur IP
SpamPourrielCourriel indésirable
HyperlinkHyperlienLien hypertexte
...OU NE PAS TRADUIRE ?
Terme originalQuébecFrance
PodcastingBaladodiffusionPodcasting
BlogBlogueBlog
PhishingHammeçonnagePhishing
ChatClavardageChat
WebmasterWebmestreWebmaster

Source: La terminologie des TIC dans la presse francophone. Julie Pelletier, Mihaela Dobrescu, Pierre Auger. OBNEQ, Université Laval, mai 2006.