Congédié vendredi, l’ex-PDG d’OpenAI Sam Altman a semblé durant un moment, au cours du week-end, à un cheveu de rentrer au bercail tel un héros victorieux.

C’eût été un nouveau rebondissement dans une saga déjà vertigineuse. M. Altman avait les cartes en main : les employés d’OpenAI s’étaient ralliés à lui dès son renvoi et les actionnaires d’OpenAI pressaient le conseil d’administration de le reprendre. Des milliards de dollars – et peut-être même la trajectoire du secteur de l’intelligence artificielle – dépendaient du conseil d’administration, qui semblait sur le point de céder à la pression et de reculer.

Mais non : le conseil, inflexible, a rejeté le retour de M. Altman et affirmé dimanche soir dans une note aux employés que sa révocation était « nécessaire » pour que le conseil puisse « continuer à assumer ses responsabilités et faire avancer cette organisation dans sa mission ». Emmett Shear, l’ancien patron de Twitch, a été nommé PDG intérimaire.

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Le fondateur de Twitch et PDG par interim d’OpenAI, Emmett Shear, en 2016

Peu après, Satya Nadella, le PDG de Microsoft, a annoncé l’embauche d’Altman et de son bras droit, Greg Brockman, comme responsables d’une nouvelle division de recherche en IA.

La saga OpenAI est loin d’être terminée. La situation est fluide et il y a encore bien des inconnues, notamment la raison du renvoi de M. Altman (dont la cause n’est pas un évènement précis, mais plus généralement une perte de confiance en lui, indiquait la note du conseil dimanche).

Mais même sans connaître l’élément déclencheur, on peut commencer à évaluer les dégâts.

Perdant : OpenAI

Le grand perdant dans tout cela est OpenAI.

Vendredi matin, l’entreprise était la darling absolue de la techno, avec son PDG célèbre, son produit vedette ChatGPT, et son équipe à la fine pointe de l’IA enviée par les géants de la Silicon Valley. Elle préparait un financement qui aurait permis aux employés d’encaisser leurs actions à un prix étourdissant, et son modèle de langage, GPT-4, était à la fine pointe de l’IA.

Aujourd’hui, c’est le chaos. Ses principaux dirigeants sont partis. Le moral est au plancher. Le financement vacille. Le nouveau PDG a déclaré vouloir ralentir l’IA.

OpenAI reste très dépendante de Microsoft et de son énorme puissance de calcul (pour faire fonctionner ses modèles) et qui, depuis lundi, a en son sein un mini-OpenAI dirigé par Altman et composé de transfuges d’OpenAI.

Le conseil d’administration d’OpenAI est peut-être satisfait de ce résultat : il l’a choisi – deux fois plutôt qu’une – malgré l’occasion de faire marche arrière. Mais il a l’air idiot de ne pas expliquer le congédiement d’Altman. S’il ne donne pas plus d’informations, il est difficile d’imaginer que les employés acceptent cette décision.

Gagnant : Microsoft

Personne n’a connu un week-end aussi spectaculaire que M. Nadella.

Vendredi, quand M. Altman a été renvoyé, M. Nadella semblait voué à perdre un allié crucial.

Microsoft a investi 13 milliards dans OpenAI, qui, sous la direction d’Altman, est devenue un partenaire clé. C’est sur des modèles OpenAI que roulent de nombreux services d’IA Microsoft – comme IA Copilot – sur lesquels le géant technologique mise son avenir.

M. Nadella aurait manifestement préféré qu’OpenAI reprenne M. Altman. Mais dès le moment où cette idée a été exclue, il a choisi le meilleur plan B : il a offert sur-le-champ un emploi à M. Altman, à M. Brockman et à leurs fidèles.

Du point de vue tactique, c’est un coup de maître. À court terme, Microsoft peut continuer à utiliser les modèles d’OpenAI dans ses produits. À long terme, M. Nadella donne à la nouvelle équipe de M. Altman l’argent et la puissance de calcul nécessaires pour créer de nouveaux modèles appartenant à Microsoft. Il obtient d’OpenAI un groupe de chercheurs en IA exceptionnels. En prime, Microsoft possède désormais 100 % d’un nouveau laboratoire d’IA que tous les capital-risqueurs de la Silicon Valley auraient été prêts à financer les yeux fermés.

Gagnants : les IA-phobes et les altruistes

Depuis des années, des chercheurs en IA et des citoyens ordinaires avertissent que les systèmes d’IA deviennent trop puissants et qu’une IA incontrôlée pourrait constituer une menace existentielle pour l’humanité. Ces chercheurs sont souvent affiliés au mouvement de l’« altruisme efficace », selon lequel la raison et les données peuvent servir à déterminer comment agir pour le bien commun.

Ces gens qui craignent la fin du monde (les doomers) ou réclament une décélération de la recherche en IA (les decels) étaient auparavant vus comme des marginaux. Mais leur position fait son chemin dans l’opinion publique : de nombreuses lettres ouvertes réclament des gouvernements qu’ils encadrent l’IA. Vendredi, ils ont fait tomber le PDG de la plus grande entreprise d’IA au monde.

Ilya Sutskever, scientifique en chef d’OpenAI et auteur du coup contre Altman, n’est pas un altruiste efficace, mais il semble partager leurs craintes. Deux des membres du conseil d’administration qui l’ont soutenu, Tasha McCauley et Helen Toner, ont des liens avec des groupes d’altruistes effectifs.

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Le scientifique en chef d’OpenAI, Ilya Sutskever

Si OpenAI subit un préjudice irréparable à cause du congédiement, on reprochera au conseil d’administration d’avoir détruit une des jeunes entreprises les plus prometteuses de la Silicon Valley et sa valeur en milliards de dollars.

Mais le conseil, en vertu de ses critères, a réussi. Il craignait que M. Altman fonce tête baissée et construise des systèmes d’IA puissants et potentiellement dangereux, et il l’en a empêché. C’est une victoire pour la cause, même si elle se fait aux dépens de l’entreprise.

Les perdants : les investisseurs

Personne ne souhaitait plus ardemment le retour d’Altman que les investisseurs et les sociétés de capital-risque qui risquaient de perdre leur argent s’il partait.

Ces investisseurs comptent de nombreux techno-optimistes qui voient en l’IA un bienfait pour la société ; ils ont été séduits par le propos essentiellement optimiste d’Altman sur l’IA (sans oublier qu’il leur a fait gagner beaucoup d’argent).

Ces investisseurs sont désormais actionnaires d’une société sans direction claire dont le PDG est intérimaire et le personnel, en révolte. Pire encore, leur seul moyen d’investir dans M. Altman est d’acheter des actions de Microsoft.

Indéterminé : les rivaux d’OpenAI

Les rivales d’OpenAI profiteront-elles de l’éviction d’Altman ? Difficile à dire.

Google, Anthropic et Meta pourraient bénéficier de l’affaiblissement d’OpenAI si elles peuvent combler leur retard en matière d’IA ou débaucher du personnel clé (dès vendredi, des recruteurs faisaient des offres aux employés malheureux d’OpenAI).

Par contre, le résultat net est un Microsoft plus fort. D’ailleurs, M. Altman n’y sera plus gêné dans ses nouvelles initiatives par la structure de gouvernance hybride d’OpenAI (OpenAI Inc est un OBNL, sa filiale OpenAI Global est une entreprise ordinaire).

Ce qui signifie que M. Altman pourrait aller encore plus vite.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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