(Montréal) Le Québec « perd le contrôle » sur l’aboutissement de ses investissements publics en innovation. Soutenus par l’argent des contribuables, les débouchés des chercheurs québécois finissent trop souvent entre les mains d’entreprises étrangères, déplore un rapport de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).

C’est particulièrement le cas pour l’économie numérique, où les géants américains dominent, précise le chercheur de l’IREC, Éric N. Duhaime, en entrevue. « On ne semble pas bénéficier parfaitement, pleinement, de toutes les retombées de ces recherches en innovation qui sont faites au Québec », affirme l’auteur de l’étude.

Le rapport de 70 pages parle d’une situation « cauchemardesque ». En 2020, seulement 40 % des innovations brevetées conçues par des chercheurs québécois l’ont été pour le compte d’une personne ou une organisation de la province. « C’est clairement une forme de perte d’emprise, de perte de contrôle, sur notre capacité d’innovation », juge M. Duhaime.

Malgré les investissements publics, le Québec perd le contrôle sur des percées scientifiques qui « pourraient avoir des retombées ici ». « Parfois, ça peut même nous empêcher dans le futur de faire d’autres recherches sur ces objets-là parce que la propriété intellectuelle devient étrangère. »

Les universités peinent à monnayer leur participation lorsqu’elles transfèrent leur propriété intellectuelle vers le privé, que ce soit par un brevet ou par la création d’une nouvelle entreprise en démarrage, croit M. Duhaime.

Transférer la recherche vers le secteur privé est une opération coûteuse pour les universités en raison notamment des frais juridiques nécessaires au processus, avance le chercheur. « C’est un jeu à somme nulle la plupart du temps. Si on arrive à l’équilibre [budgétaire], on est content. »

Il existe des exceptions. Le rapport donne en exemple l’ACELP, une technologie de compression de la parole utilisée par la téléphonie mobile développée par l’Université de Sherbrooke. Ce projet aurait entraîné des retombées de près de 225 millions pour l’université grâce aux diverses ententes signées avec des entreprises en télécommunications.

Manque de suivi

Le chercheur déplore également qu’il n’existe pas, au Québec, de recension systématique des transferts de recherche de l’université vers le secteur privé, ce qui rend le portrait de la situation incomplet.

« On est renvoyé étonnamment à une association américaine qui fait ce travail-là pour les universités aux États-Unis, raconte M. Duhaime. Elle intègre aussi les universités canadiennes et trois universités québécoises (McGill, Université de Montréal et Université de Sherbrooke). »

« Avec les sommes qu’on investit en innovation au Québec, il faut se donner les moyens de voir clair dans ce qui se passe avec tous ces développements technologiques », poursuit-il.

Le chercheur ne croit pas que la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2) pour les années 2022 à 2027 viendra corriger la situation. Il manque à cette politique « un encadrement clair, ferme » au sujet de la propriété intellectuelle issue de la recherche financée avec les deniers publics, selon lui.

Une propriété renforcée

M. Duhaime plaide en faveur d’un « principe de contrepartie » dans les critères des subventions, qui assurerait que la recherche financée par le secteur public ait des retombées au Québec.

Il propose la création d’un fonds souverain de brevets, comme il en existe en France, au Japon et en Corée du Sud. « L’idée générale, ça consiste à dire : on met dans un même bassin l’ensemble de nos brevets qui vont être administrés par une organisation. Puis, les gouvernements, les organismes de la société civile, les entreprises d’ici peuvent puiser dans ce bassin-là en payant des frais de licence raisonnables. »