La nouvelle marque : X comme exactitude ou X comme anonymat ?

Elon Musk a tracé un X sur l’oiseau bleu qui symbolisait Twitter depuis la création du réseau social, en 2006.

Un X qui l’efface et le remplace.

Apparu sur Twitter lundi matin, le nouveau logo présente la forme d’un X noir dont l’une des barres est évidée – une inspiration des polices de caractères de style Art déco, a précisé l’homme d’affaires.

Mais de quel X s’agit-il ?

Celui de la signature d’un illettré ou d’un auteur anonyme ? Celui du symbole de la multiplication ou de l’inconnue algébrique ?

Multiplication de services

Elon Musk et la nouvelle directrice générale de l’entreprise, Linda Yaccarino, ont indiqué le week-end dernier que la plateforme, sous sa nouvelle identité, se diversifierait dans les paiements, les services bancaires et les commerces de tous types. Le 4 octobre 2022, le polyentrepreneur avait déjà gazouillé que l’achat de Twitter, au prix de 44 milliards, était « un accélérateur pour la création de X, l’application universelle » (the everything app).

« Il avait déjà parlé d’une super application, donc ce n’est pas nouveau », commente Luc Dupont, professeur de communication à l’Université d’Ottawa. « Mais changer le nom d’une entreprise, ou à tout le moins d’une application comme il le fait, c’est toujours un exercice périlleux. Parce que dans l’esprit des gens, Twitter, ce sont les gazouillis. Et ce qu’on nous annonce, c’est que prochainement, ça ne sera plus tout à fait ça. Musk va se servir du fonds de commerce des 300 millions de personnes qui sont sur la plateforme pour lancer carrément autre chose. »

Les usagers actuels veulent-ils ces autres choses ? Ces précieux gazouilleurs avaient justement fait leur nid avec les pépiements.

Les gens qui sont actuellement sur Twitter ne sont pas à la recherche de nouvelles applications financières ou de commandes d’aliments ou de visionnement de film. C’est ça, le danger. Et ce n’est pas un petit danger.

Luc Dupont, professeur de communication à l’Université d’Ottawa

Un autre écueil se profile.

« Si on s’était parlé, vous et moi, il y a un an, on se serait probablement dit que Twitter n’a pas de concurrent. Mais il y en a trois maintenant. »

Le réseau social décentralisé Mastodon, Bluesky, du fondateur de Twitter Jack Dorsey, et Threads, de Mark Zuckerberg, lui disputent désormais sa clientèle.

Changement justifié

Néanmoins, dès lors que Twitter changeait radicalement de vocation, le changement de nom trouvait une justification.

« Il y avait besoin de changement de toute façon », constate Benoit Skinazi, cofondateur et chef du marketing de Sharethrough, une entreprise qui aide les sites internet et applications mobiles à monétiser leurs espaces publicitaires.

« C’est une situation d’entreprise particulièrement compliquée, avec une image de marque qui est pas mal entachée. Les derniers mois ont connu beaucoup de bouleversements, notamment des licenciements. »

Dans ce contexte, un changement draconien d’image permet « de marquer une réelle rupture entre l’avant- et l’après-Twitter », observe-t-il.

La simplicité n’est pas un obstacle à la notoriété, rappelle-t-il.

« Souvent, les logos qui fonctionnent le mieux sont les logos les plus simples. On l’a vu avec des marques comme Nike. » Mais le symbole de l’anonymat présente un défi hors du commun. « Aujourd’hui, dans notre monde, réussir à avoir une entreprise qui s’appelle X, c’est quasiment mission impossible, en fait. »

Elon Musk veut réussir ce pari, qui est en fait une obsession de longue date.

« Ce qu’il dit, c’est qu’il est en train de prendre possession symboliquement de la lettre X, de la même manière que Barbie a pris possession de la couleur rose depuis deux mois, fait valoir Luc Dupont. C’est la même stratégie sur le fond, c’est du branding 101. »

La lettre X fait depuis longtemps partie de l’univers d’Elon Musk.

« Il avait lancé la banque x.com en 1999, qui est éventuellement devenue PayPal, indique-t-il. Il a créé SpaceX, le modèle X de Tesla. Il a lancé xAI la semaine passée. »

La lettre X est depuis longtemps associée phonétiquement à l’exactitude : Timex, Lexus, Xerox.

« Dans l’esprit des gens, dans l’esprit du commun des mortels, je suis convaincu maintenant que cette lettre-là lui appartient.

« Maintenant, ce qui reste, c’est l’étape la plus difficile : livrer. »

Un design discuté et discutable

Le nouveau logo « a fait la nouvelle [hier] matin sur tous les blogues de design », souligne Isabelle Allard, directrice de création, design, chez Sid Lee.

Les bouleversements de l’entreprise annonçaient des modifications de marque et d’image, « mais on ne s’attendait pas à un rebranding total de son nom et de son logo », dit-elle.

« Twitter, c’est un des logos les plus connus dans le monde. L’effacer complètement, c’est surprenant. En même temps, c’est très Elon Musk, on ne peut pas être surpris. »

« Mais je pense que c’est visuellement que c’est le plus choquant, ajoute-t-elle. Le résultat, le X, est extrêmement étonnant. »

X est un nom et un symbole réduits à leur plus anodine expression, proches de l’insignifiance.

« Il y a juste une grande marque comme ça qui peut se permettre d’être propriétaire d’un symbole aussi simple. »

L’experte regarde le logo d’un œil critique.

« Il n’est pas très bien balancé, note-t-elle. Au premier regard, c’est tellement simple que ça a l’air d’une première esquisse. »

Le bruit court d’ailleurs qu’il ne s’agirait que d’une version préliminaire, encore susceptible d’améliorations. « C’est bizarre, je n’ai jamais vu ça, un prébranding, jamais ! Quand tu refais une image de marque, tu ouvres la porte aux critiques. Chaque fois, on essaie d’être le mieux préparé possible pour le lancement de la marque. Là, ça a l’air vraiment d’avoir été fait au pied levé, comme si on ne pouvait plus supporter cet oiseau-là.

« On sent par contre que ça ouvre la porte à quelque chose de complètement nouveau. C’est un X sur le passé, on le sent. »