Dans ce qui constitue la plus importante transaction de l’histoire du jeu vidéo, Microsoft a annoncé ce mardi l’acquisition du studio Activision Blizzard, derrière les succès planétaires Call of Duty et Candy Crush. Pour un montant de 68,7 milliards US, Microsoft met la main sur huit studios regroupant 9500 employés, dont Beenox, à Québec.

Cette acquisition fait de Microsoft la troisième entreprise de jeu vidéo au monde en termes de revenus, derrière Tencent et Sony, avec 30 studios de production dans le monde. « Il y a un mouvement de concentration dans l’industrie du jeu vidéo depuis plusieurs années, analyse Gabrielle Trépanier-Jobin, professeure en jeux vidéo et industries culturelles à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal. Activision était un conglomérat assez puissant, avec des compagnies dans tous les secteurs de l’industrie. Son acquisition permet vraiment à Microsoft d’étendre ses tentacules. »

Il s’agit du plus important achat de Microsoft, loin devant LinkedIn, qui lui avait coûté 26,3 milliards US en 2016. La plus récente acquisition d’envergure de Microsoft dans le jeu vidéo avait été celle de Bethesda en 2021 pour un montant de 7,5 milliards US.

Au Québec, avec l’arrivée de Beenox dans son écurie, le géant américain compte dorénavant trois studios, après les acquisitions de l’antenne montréalaise de Bethesda et du studio indépendant Compulsion Games en 2018.

« Qu’Activision ait été racheté par Microsoft, c’est une bonne nouvelle, estime Nadine Gelly, directrice générale intérimaire de la Guilde du jeu vidéo du Québec. [Les gens de] Microsoft, au Québec, ils sont très respectueux de notre créativité, de notre culture, ils sont bien implantés. »

Le PDG de Microsoft, Satya Nadella, a expliqué par communiqué vouloir ainsi investir « de façon importante dans du contenu de classe mondiale, dans la communauté et l’infonuagique ».

Pour le spécialiste du jeu vidéo Denis Talbot, qui produit l’émission Radio Talbot sur Twitch depuis huit ans, la dernière acquisition de Microsoft est rassurante.

Microsoft, j’avais l’impression qu’ils étaient un peu à la remorque de Sony, mais depuis que M. Nadella est là, on voit qu’ils se sont donnés des objectifs très précis. Il ne regarde pas en arrière. Je trouve ça intéressant.

Denis Talbot, spécialiste du jeu vidéo

M. Talbot s’attend à ce que l’offre de jeux exclusifs pour Xbox, qui appartient à Microsoft, « redevienne cool ». « On aura droit à des jeux vraiment de bonne qualité. 68,7 milliards, c’est beaucoup d’argent, mais je pense que ça va être lucratif. » La professeure Trépanier-Jobin, elle, se montre plus circonspecte. « Je suis toujours sceptique avec les mouvements de consolidation : ça peut avoir comme effet général la diminution de la diversité des contenus. Du point de vue du consommateur, ce n’est peut-être pas nécessairement une bonne chose. »

Mme Gelly, quant à elle, ne craint pas qu’un propriétaire comme Microsoft change le fonctionnement de Beenox, fondé par Dominique Brown en 2000, qui est resté à sa tête jusqu’en 2012. Le studio de Québec de 350 employés a notamment hérité du développement des franchises Spider-Man et Call of Duty au sein d’Activision.

IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Call of Duty

« S’ils rachètent un studio, c’est pour sa qualité et sa créativité, explique la directrice générale. S’ils décident de tout changer, ils viennent complètement de briser son côté créatif. Un auteur, on ne peut pas lui dire demain matin : “Tu vas changer ton style d’écriture.” »

400 millions de joueurs

Le PDG actuel d’Activision, Bobby Kotick, restera aux rênes de l’entreprise. Quand la transaction, qui doit être approuvée par les autorités réglementaires américaines et par les actionnaires, sera conclue, ce sera le PDG de Microsoft Gaming, Phil Spencer, qui en prendra la tête. On s’attend à conclure l’opération en 2023.

Activision a été fondée en 1979 puis rachetée par Vivendi en 2007, qui l’a fusionnée à Blizzard Entertainment. Avec Activision Blizzard, Microsoft met la main sur une entreprise comptant près de 400 millions de joueurs actifs mensuellement dans 190 pays et des franchises d’une valeur globale de 3 milliards US.

Selon le site VGChartz, Call of Duty, jeu de guerre dont le premier opus est sorti en 2003, s’est vendu à 400 millions d’exemplaires, ce qui en fait un des trois plus populaires de l’histoire.

Candy Crush, sorti en 2012 et acquis par Activision en 2015, a été téléchargé 2,7 milliards de fois et a rapporté des revenus de 1,2 milliard US en 2020.

Détail intéressant, Candy Crush Saga était préinstallé de 2015 à 2018 sur les ordinateurs utilisant Windows 10, système d’exploitation de Microsoft.

L’expertise d’Activision dans le jeu mobile, le multijoueurs et les interactions sociales permet à Microsoft de diversifier son expertise, notamment avec une offre améliorée pour son service d’abonnement Xbox Game Pass, l’offre infonuagique Xbox Cloud Gaming et ses ambitions pour le « métavers », explique la professeure Gabrielle Trépanier-Jobin. « On annonçait 25 millions d’abonnés à Xbox Game Pass, je suis sûre qu’on va voir ce chiffre augmenter dans les prochains jours. »

PDG dans la tourmente

Mais Activision est également un studio qui a connu son lot de controverses récemment, alors que l’État de la Californie a déposé une poursuite en juillet dernier qui alléguait que l’entreprise avait une culture de « harcèlement sexuel constant ». Le PDG lui-même, Bobby Kotick, a été pris dans la tourmente, notamment quand un reportage du Wall Street Journal a révélé qu’il avait été impliqué dans plusieurs incidents de harcèlement et de comportement abusif ces dernières années et qu’il en avait couvert d’autres qui lui avaient été rapportés.

L’été dernier, plus de 1500 employés ont signé une pétition réclamant son congédiement. Le conseil d’administration a plutôt réitéré sa confiance dans son PDG en novembre dernier. En octobre, M. Kotick avait annoncé une politique contre le harcèlement et avait réduit son salaire annuel à 62 500 $ jusqu’à ce que les changements soient implantés dans l’entreprise.

PHOTO DREW ANGERER, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Bobby Kotick

« Pour moi, cette transaction est une bonne nouvelle pour les employés de M. Kotick, affirme sans détour Denis Talbot. C’est un personnage qui ne fait pas l’unanimité dans l’industrie, les allégations de conduite [déplacée] et de harcèlement sexuel, ça fait longtemps que ça dure. C’est une espèce de petit dictateur. »

Outre cette controverse, « bien des experts estimaient qu’Activision stagnait depuis quelques années, qu’elle surfait sur ses succès et n’arrivait pas à mettre en place de nouvelles franchises, estime Gabrielle Trépanier-Jobin. Est-ce que l’acquisition va lui permettre de ravoir le vent dans les voiles, de prendre des risques ? C’est possible, ça reste à voir. »