(San Francisco) Quand la pandémie et la politique américaine ont transformé la vie quotidienne en univers menaçant, les employés du studio indépendant Supergiant ont trouvé refuge dans la fabrication de « Hadès », un jeu vidéo où l’enfer a l’avantage d’être virtuel, drôle et distrayant.

Le résultat a conquis les joueurs pour les mêmes raisons, surtout les amoureux des jeux à l’ancienne et des histoires bien ficelées, aux antipodes des suites de blockbusters produites en temps record par des studios qui fonctionnent comme des usines.

« Hadès » a même remporté le prix du « meilleur jeu » aux Bafta 2021 des jeux vidéo, en mars.

« C’est un jeu très amusant, dans un style très tendance, qui semble avoir été conçu de façon éthique », a remarqué Mitchell Kernot, auteur d’un blogue sur les jeux vidéo. « Supergiant a le don de concevoir des jeux dont le fonctionnement est intéressant et aussi agréable pour l’utilisateur ».

En 2009, les deux co-fondateurs, Gavin Simon et Amir Rao, ont quitté Electronic Arts - l’éditeur de titres tels que « FIFA » et « Apex Legends » - et déménagé de Los Angeles à San Jose, ville californienne où ils ont lancé Supergiant depuis la maison d’enfance du second, dans la plus pure tradition des start-up de la Silicon Valley.

« Mon père nous disait qu’on devrait fonder notre entreprise tant qu’on était jeunes, pour avoir la possibilité de retrouver du boulot deux ans plus tard en cas d’échec », a raconté Amir Rao lors du salon du jeu vidéo PAX, en 2019.

Au bout de neuf mois, les deux amis étaient devenus sept, et ils travaillaient sur « Bastion », un jeu dont le succès fulgurant a lancé leur petite entreprise.

Bienveillance et démons

Amir Rao dirige désormais une équipe de 23 personnes, à qui il tente d’insuffler le même esprit qu’il y a douze ans.

« On a établi des règles pour nous sauver de nous-mêmes, parce que nous adorons bosser ensemble et que nous sommes du genre à ne jamais nous arrêter », assure-t-il à l’AFP.

Supergiant interdit à ses employés d’envoyer des courriels après 17 h le vendredi, pour éviter qu’ils ne travaillent le week-end. Et ils sont obligés de prendre au moins 20 jours de vacances par an.

Avant la pandémie, ils avaient accès à des bureaux à San Francisco, mais le télétravail était déjà la norme. Les développeurs n’ont donc pas eu trop de mal à finir « Hadès » de chez eux.

« Pour beaucoup de membres de l’équipe, le plus difficile c’était quand ils ne travaillaient pas », se souvient Amir Rao. « Parce que dans ces moments-là ils étaient confrontés à ce qui se passait dans le monde »

Il affirme que la start-up est fondée sur des valeurs de bienveillance et d’acceptation des limites de chacun et des circonstances imprévues.

« Si ce qui rend nos jeux différents des autres, ce sont les gens qui les conçoivent et leur manière de travailler, alors toute notre culture d’entreprise doit soutenir et encourager ces comportements sur le long terme », ajoute-t-il.

Sorti en septembre, « Hadès » est un jeu de rôle et d’action où les joueurs affrontent des adversaires démoniaques dans les différents sous-sols d’un donjon dont ils essaient de s’extraire.

Petit budget, grande imagination

Contrairement aux jeux de rôles à gros budget, qui ont des graphismes et histoires dignes de films hollywoodiens, les décors et personnages du jeu ressemblent à des dessins animés, et le scénario fait la part belle à l’imagination.

Il est basé sur la mythologie grecque, et le joueur incarne un fils rebelle du dieu et roi des enfers Hadès, décidé à s’échapper malgré le désaccord de son père.  

Tout le monde a mis la main à la pâte pour leur donner corps, même le chien d’Amir Rao, dont les aboiements ont servi pour le bruitage de Cerbère, le chien à plusieurs têtes qui garde l’entrée du royaume.

« Hadès est un drame familial, au final », s’amuse Amir Rao. « Parce qu’on met en scène des dieux de l’Olympe qui ressemblent à une immense famille avec plein de problèmes ».

Avec un avantage de taille : mourir fait partie du plaisir. « Si tout marche bien, quand vous mourrez vous n’êtes pas trop déçu parce qu’il y a plein de choses qui se passent ».

Les joueurs apprécient aussi la liberté dont ils disposent en termes de progression, avec des batailles différentes en fonction de leur niveau.

« Le jeu s’adapte à vos compétences », note Lucas Garcia, un étudiant californien en informatique. « Je me suis senti bien dans le jeu même quand je n’étais pas bon. Leur concept est vraiment prometteur ».