L’édition canadienne de Reader’s Digest cessera d’être publiée le printemps prochain, a confirmé le bureau montréalais du magazine. Une autre fermeture « prévisible », mais un symbole de l’industrie des médias qui s’effondre.

Le Reader’s Digest, dans sa version en anglais, et le Sélection du Reader’s Digest, dans son pendant francophone, font partie du paysage médiatique canadien depuis 76 ans. Le magazine en petit format, axé sur les histoires à résonnance humaine, était jadis le plus lu au pays, bien en vue sur la table de salon (ou le couvercle du réservoir des toilettes) de nombreux foyers canadiens.

Au mois d’avril dernier, la direction de la publication se targuait encore d’avoir près de quatre millions de lecteurs au pays par mois le Reader’s Digest et quelque 650 000 pour le Sélection, avec un tirage de près de 500 000 copies en anglais et de 67 000 en français pour chacune de ses dix publications annuelles.

La dernière édition du magazine sera imprimée le 31 mars. Selon les propos d’employés rapportés par The Globe and Mail, le groupe justifie sa décision par « la chute des revenus publicitaires, la hausse des coûts de production et de livraison et le changement des habitudes de lecture ».

Après le 31 mars, les différents sites web de la publication détenue par la compagnie américaine Trusted Media Brands, continueront d’être alimentés « pour une certaine période de temps » grâce au soutien des employés américains.

Le mois dernier, le bureau montréalais de la publication annonçait la suppression de 10 postes en date du 1er janvier 2024 dans un avis publié par le ministère du Travail. La rédactrice en chef, Nora Merola, demeurera en poste jusqu’au 31 mars.

Magazine iconique

Sélection du Reader’s Digest demeure un magazine iconique au Québec. On y retrouve des rubriques santé et scientifique, mais aussi culturelles, des informations pratiques et de nombreux récits sous forme de témoignages, sans oublier la fameuse page humoristique « Rions un peu ».

Selon Hervé Juste, qui a longtemps été rédacteur au Sélection du Reader’s Digest, le magazine a transposé au Québec une façon plutôt anglo-saxonne d’aborder les histoires, en misant sur le côté humain et en permettant aux lecteurs de s’identifier à des personnages. Le Sélection, dit-il, proposait du contenu local, des traductions de la version canadienne-anglaise, et des traductions d’articles qui paraissaient ailleurs dans le monde.

Hervé Juste a été aux premières loges pour assister au déclin de la publication, lui qui a œuvré au Sélection de 1995 à 2012, puis de 2017 à février 2023, à titre de rédacteur en chef.

À son arrivée, l’édition québécoise du magazine était imprimée à près de 300 000 exemplaires et rejoignait près d’un million de lecteurs chaque mois. L’équipe publiait des numéros de 250 pages placardés d’articles dûment révisés et de publicités. « Presque tout le Reader’s Digest Canada était à Montréal. C’était une énorme équipe de 450 employés, se souvient-il. Quand je suis parti, cette année, on n’était plus qu’une trentaine. » Et les numéros ne faisaient plus que 80 pages.

Hervé Juste ressent de la tristesse pour ses collègues, « même s’il n’en restait plus beaucoup ». « Dans la presse écrite, on voyait ça arriver depuis plusieurs années. Il y avait quelque chose d’imparable là-dedans. En plus, comme dans beaucoup de magazines, on a fini par être dirigés par des comptables plutôt que par des gens de la rédaction », laisse-t-il tomber.

Pour le président du Groupe et des Formations Infopresse Arnaud Granata, bien que le magazine soit un « symbole » dans l’industrie des médias, et malgré le fait que la marque soit très « forte » au pays, la décision prise par la compagnie-mère américaine ne l’a pas surpris. « C’était prévisible, croit-il. On parle d’un média avec un lectorat assez âgé, qui ne s’est pas réinventé. C’est un magazine avec un modèle d’affaires voué à disparaître. »

Est-ce que la marque peut-être « sauvée » sur les plateformes électroniques ? « Je pense que c’est trop peu, trop tard, répond Arnaud Granata. C’est un média en train de s’éteindre. Je vois mal comment son format relativement rigide dans un contexte économique hyper fragile pourrait survivre dans un environnement numérique où on parle beaucoup aux jeunes, où il y a beaucoup de vidéo… »

Au-delà du cas de Reader’s Digest, pour ce spécialiste des médias, tous les magazines imprimés ont de la difficulté à renouveler leur lectorat. « On achète tous moins de magazines. La réalité de la pandémie et les façons dont on consomme aujourd’hui l’information, fait en sorte qu’on est toujours sur nos téléphones cellulaires. Je ne dis pas que le magazine est mort, mais le cas de Reader’s Digest montre qu’on perd un symbole, mais sur le plan de l’information, qu’est-ce qui restait de cette marque ? Je ne le sais pas… »

Le journaliste Marc-André Sabourin a fait ses premières armes au Sélection du Reader’s Digest, de 2010 à 2013. C’était parmi les magazines qui offraient les meilleures conditions aux pigistes, dit-il.

« Malgré les apparences parfois légères, c’est une publication extrêmement rigoureuse – je devais fournir mes enregistrements, les verbatim, les sources, raconte Marc-André Sabourin, aujourd’hui chef du bureau affaires et économie à L’Actualité. Ça a été une super belle école pour moi. » Considérant le contexte actuel, la fin du Readers Digest au Canada ne le surprend pas, « mais c’est la fin d’une époque, la fin d’une histoire, et c’est ce que je trouve triste ».

Cette annonce survient en pleine crise des médias, aux prises avec des problèmes similaires. Cette semaine, CBC/Radio-Canada a annoncé la suppression de 800 postes, tandis qu’à TVA, 547 postes étaient supprimés. Sans parler des pertes d’emplois aux Coops de l’information et à la fermeture du quotidien Métro.

Tout cela sur fond de bras de fer avec Meta, qui bloque la diffusion des nouvelles sur ses plateformes pour ne pas se conformer à la Loi sur les nouvelles en ligne qui doit entrer en vigueur le 19 décembre.