(Québec) Le gouvernement Legault demande à Ottawa d’exclure CBC/Radio-Canada des redevances que versera Google aux médias canadiens conformément à l’entente conclue avec le gouvernement fédéral en vertu de la Loi sur les nouvelles en ligne (« loi C-18 »). Le ministre Mathieu Lacombe est aussi d’avis que la société d’État devrait se retirer complètement du marché publicitaire.

Ce qu’il faut savoir

  • Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, demande à Ottawa d’exclure Radio-Canada des redevances que versera Google aux médias canadiens.
  • M. Lacombe estime que la télévision publique devrait se retirer complètement du marché publicitaire dans le contexte de la crise des médias.
  • Cette sortie survient au lendemain d’une entente entre Google et le gouvernement canadien pour l’application de la Loi sur les nouvelles en ligne.
  • Le géant du web accepte de verser 100 millions par an aux médias partout au pays pour l’utilisation de leurs contenus.

En entrevue avec La Presse, jeudi, le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a donné son appui aux revendications répétées du grand patron de Québecor, Pierre Karl Péladeau, qui souhaite que CBC/Radio-Canada cesse de diffuser de la publicité dans le contexte de la crise des médias.

« Je suis de ceux qui pensent que la télévision de Radio-Canada devrait faire la même chose que la radio de Radio-Canada, c’est-à-dire laisser le marché publicitaire aux joueurs qui en ont besoin, c’est-à-dire les entreprises privées […] qui doivent faire leur travail sans compter sur une subvention annuelle », a-t-il dit sans détour.

« Pendant que Radio-Canada a la chance d’avoir un nouveau siège social à la fine pointe de la technologie au centre-ville de Montréal, à deux coins de rue de là, TVA est obligée de mettre en vente son siège social parce qu’elle n’a plus les moyens de le conserver. Ne serait-ce que ça, ça illustre la différence entre Radio-Canada et les autres médias », a ajouté le ministre qui a déjà travaillé pour le diffuseur public à titre de journaliste et pour TVA comme chef d’antenne.

Plus tôt jeudi, M. Lacombe a également affirmé que l’entente intervenue entre Ottawa et le géant américain du web était « une bonne nouvelle » et « un pas dans la bonne direction pour soutenir nos médias » locaux. Or, le gouvernement du Québec estime que cette somme de 100 millions par année, qui sera indexée sur l’inflation, doit être versée aux « médias privés qui perdent des revenus publicitaires ».

Lisez « Ottawa vise vraisemblablement une équité pour la part allant aux petits médias »

« Je pense que Radio-Canada devrait être exclue de ce partage de revenus », a-t-il dit dans le contexte où le diffuseur public reçoit déjà plus de 1 milliard de dollars de financement du fédéral.

« Dans un contexte où les médias privés en arrachent et dépendent presque exclusivement dans plusieurs cas des revenus publicitaires, qui ont fondu comme neige au soleil en raison des géants du web, nous pensons que les sommes devraient être partagés entre les médias privés », a-t-il martelé.

M. Lacombe a par ailleurs précisé que Télé-Québec, subventionnée par le gouvernement provincial, ne se retirerait pas du marché publicitaire. « C’est sûr que Télé-Québec n’est pas subventionnée à la même hauteur que Radio-Canada. C’est une question pour moi qui est complètement différente », a-t-il dit.

Québec veut avoir son mot à dire

Selon le ministre de la Culture, « le Québec doit avoir son mot à dire dans la façon dont seront partagés les revenus [car] pour l’instant, le fédéral fait cavalier seul comme si la culture et les communications relevaient de lui ».

« Quoi qu’en pense Ottawa, la culture et les médias québécois doivent se gouverner à Québec et, quelles que soient les initiatives prises à Ottawa, elles doivent l’être en concertation avec Québec », a affirmé le ministre jeudi.

L’entente conclue entre Ottawa et Google prévoit une somme de 100 millions par année, largement inférieure aux 172 millions qui avaient été estimés par le ministère du Patrimoine canadien.

Au lieu de négocier des ententes à la pièce, Google pourra verser cette somme à un collectif qui le distribuera aux médias d’information admissibles, « selon leur nombre d’équivalents temps plein en journalisme », indique le communiqué publié par le ministère du Patrimoine canadien. La part que recevra chaque média reste à déterminer.

Le Canada se réserve par ailleurs le droit de rouvrir l’entente si jamais il y a de meilleures ententes conclues ailleurs dans le monde.

« Un mauvais message »

À Ottawa, la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a appelé le ministre Mathieu Lacombe à faire preuve de patience. Le cadre réglementaire, qui fournira les détails sur le partage de l’enveloppe, doit être publié avant le 19 décembre, date d’entrée en vigueur de la loi. Il en est à la phase finale d’élaboration.

« Je pense que c’est un mauvais message de dire que le contenu produit par un diffuseur public n’importe où dans le monde n’aurait pas de valeur pour les géants du web », a-t-elle souligné jeudi.

CBC/Radio-Canada obtiendra donc sa part du gâteau. « Je suis tout à fait consciente de la dynamique et de la difficulté de nos médias sur le marché et on va le prendre en considération dans la réglementation finale, a-t-elle précisé. Je ne pense pas que CBC/Radio-Canada devrait partir avec le tiers de l’enveloppe. » Le diffuseur public « représente à peu près le tiers de la force journalistique au Canada ».

La ministre St-Onge a rappelé que les autres médias d’information recevaient aussi « beaucoup de soutien gouvernemental » par l’entremise du crédit d’impôt sur la masse salariale et les fonds pour soutenir les télévisions par l’entremise du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

La législation prévoit déjà que le collectif qui négociera avec Google pour la distribution de l’enveloppe aura l’obligation d’inclure les médias indépendants, les médias autochtones et les médias de langues officielles en milieu minoritaire, contrairement à ce qui avait été fait en Australie, où les grands acteurs avaient été favorisés.

Elle a rappelé qu’il ne s’agissait pas de fonds fédéraux, mais de fonds privés. La Loi sur les nouvelles en ligne établit un cadre pour permettre à Google et aux médias, qui seront représentés par un collectif, d’en arriver à une entente sur le partage de ses revenus. Ce mécanisme a été choisi pour préserver l’indépendance des médias d’information face au pouvoir politique.

La ministre Pascale St-Onge a confirmé qu’elle devait rencontrer le ministre Mathieu Lacombe au cours des prochaines semaines pour discuter de l’avenir des médias.

« Les médias devraient avoir le droit de prendre leurs propres décisions à ce sujet, de décider où va cet argent, a affirmé le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet en mêlée de presse. Et cela n’est censé être décidé ni par le gouvernement canadien ni par le gouvernement québécois. »

L’industrie des médias devrait se concerter, selon lui, comme le fait déjà l’industrie de la musique pour se séparer l’enveloppe. Il estime toutefois que le diffuseur public devrait en être exclu. « Radio-Canada a déjà l’avantage d’être financée par le gouvernement canadien en plus de vendre de la publicité », a-t-il rappelé. Il craint que la position dominante du diffuseur public dans les régions n’« affaiblisse les autres médias ». L’argent de Google devrait donc financer les médias locaux qui produisent des nouvelles régionales, selon lui.

La FPJQ craint une querelle Québec-Ottawa

Pour le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), le journaliste de La Presse Éric-Pierre Champagne, « la dernière chose dont les journalistes et les médias ont besoin actuellement, c’est d’une querelle entre Québec et Ottawa sur le dos de la crise des médias ». « Des médias ferment, des journalistes perdent leur job et c’est l’information qui en souffre. Certaines régions au Québec vont bientôt devenir des déserts médiatiques si on ne fait rien. C’est ça, la triste réalité », a-t-il écrit jeudi sur le réseau social X.

Selon la FPJQ, « l’aide doit être disponible pour tout le monde, incluant Radio-Canada et Québecor », même si ce dernier groupe médiatique n’est pas membre du Conseil de presse du Québec. À ce sujet, M. Champagne a rappelé en entrevue à l’émission Tout un matin, jeudi, que plusieurs journalistes de Québecor étaient membres de la FPJQ et qu’ils respectaient son guide de déontologie.

« Pour le reste, nous attendons de voir le projet de règlement qui sera soumis par la ministre [Pascale] St-Onge avant de commenter plus en détail », a dit M. Champagne.