Il sera plus facile d’accéder aux poteaux de Bell en région au Québec pour développer l’internet haute vitesse. C’est du moins ce qu’a promis par communiqué ce vendredi matin le géant des télécommunications, évoquant des « allègements sécuritaires » qui devraient permettre à d’autres entreprises d’utiliser son réseau.

Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a salué l’annonce sur son compte Twitter. « Bell a toute ma confiance pour aider à connecter le reste du Québec, a-t-il écrit. Le gouvernement va y arriver avec l’aide de toute l’industrie. »

Exigences « techniques » révisées

Essentiellement, résume Caroline Audet, porte-parole de Bell, on permettra dorénavant à certaines entreprises d’installer leur équipement sur les poteaux de Bell avant que les travaux préparatoires, sources de nombreux retards, soit terminés. « On ne met pas la sécurité de côté, précise Mme Audet. Ça va vraiment accélérer considérablement les déploiements pour les compagnies tierces qui vont s’installer sur nos poteaux. »

Selon la porte-parole, il s’agit essentiellement de modifier certaines exigences techniques qui retardaient les travaux. « On a parlé à nos partenaires et tout le monde voit ça d’un oeil positif. » Ces nouvelles mesures ont été mises sur pied en collaboration avec Hydro-Québec et Telus, deux autres entreprises dont les poteaux sont sollicités dans une moindre mesure. Trois firmes d’ingénierie indépendantes avaient été mandatées, conjointement avec Hydro-Québec, pour proposer ces mesures. On prévoit ainsi sept situations, décrites en des termes très techniques dans un document que Bell a fait parvenir à ses « partenaires », où ces allègements seront possibles. « Les remplacements de poteaux seront imposés seulement dans les cas où aucune autre alternative possible et sécuritaire n’est envisageable », peut-on notamment lire.

Quelque 10 % des foyers québécois, soit 340 000, n’ont pas accès présentement à l’internet haute vitesse. Québec a promis début octobre que tous auront un accès d’ici 2022 en vertu de programmes comme Québec Branché et d’un programme fédéral.

4 % problématiques

Chaque année au Québec, Bell reçoit quelque 100 000 demandes d’accès à ses poteaux, pour l’accès internet haute vitesse. Des compétiteurs comme Vidéotron et Cogeco ou des organismes à but non lucratif parfois mis sur pied par des villes ou des municipalités régionales de comté (MRC) en région sont à l’origine de ces demandes. Environ 90 % de ces demandes sont autorisées en moins de 55 jours, soit le délai prescrit par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. 6 % sont refusées et 4 % nécessitent des travaux sur les poteaux.

Ce sont ces 4 % qui posent problème. Ces demandes étaient conditionnelles à l’exécution de travaux préparatoires, par exemple pour renforcer certains poteaux, qui retardent considérablement les projets. « Ces normes n'arrivent pas de nulle part, elles découlent directement de la crise du verglas de 1998 », explique Charles Gosselin, directeur des affaires gouvernementales et relations avec le milieu de Bell au Québec.

Ces normes étaient connues et intégrées par les grands utilisateurs de ces infrastructures, précise M. Gosselin, mais l'arrivée de nombreux nouveaux joueurs, stimulée par des programmes gouvernementaux, a été une « révélation » qui a forcé leur remise en question partielle. « Ça va permettre dans un paquet de cas aux promoteurs de projets, y compris Bell, de pouvoir déployer du réseau avant que les correctifs soient apportés. (...) Ça ne corrige pas tout, mais on croit que les 4 % pourront devenir 2 % ou 1 %. »

Il n’a pas été possible au moment d'écrire ces lignes de recueillir les commentaires de Vidéotron, qui a encore accusé Bell jeudi dernier, par communiqué, d’« avoir volontairement retardé la connectivité des régions » avec « des pratiques anticoncurrentielles et déloyales » pour empêcher l’accès à ses poteaux.

Il s'agit d'un « mythe », réplique Charles Gosselin. « Nous, on a tout à gagner chez Bell à ce que les citoyens aient l'internet haute vitesse: il y a de nombreux produits qui pourront être consommés par quiconque est branché. On continue de brancher des endroits chaque jour, Bell est un des bénéficiaires de ces programmes gouvernementaux. »

Scepticisme chez EBOX

Du côté du fournisseur indépendant EBOX, qui a annoncé cette semaine son arrivée en Abitibi après de nombreux démêlés avec une filiale de Bell, Cablevision, le PDG Jean-Philippe Béique s’est dit sceptique. Il précise toutefois que son entreprise ne déploie pas de réseau en utilisant les poteaux de Bell, mais se connecte plutôt au réseau existant pour offrir une offre alternative d'internet.

« Chaque fois que Bell arrive avec de beaux communiqués, ça cache souvent des choses, a-t-il déclaré en entrevue. C’est rare que Bell ne va pas offrir de résistance et va aller à 100 % dans l’intérêt des consommateurs, on l’a vu en Abitibi. Ça m’étonnerait que du jour au lendemain, Bell décide d’être gentille avec ses compétiteurs. »

L’arrivée de Vidéotron en Abitibi en août dernier, après un affrontement avec Cablevision qui a conduit à une plainte devant le CRTC et une poursuite en Cour supérieure, ainsi que celle cette semaine d’EBOX est à l'avantage des consommateurs, estime M. Béique. Il donne en exemple son forfait le plus populaire, l'internet illimité à 50 Mbps pour 59,95 $ à Val-d'Or, en promotion à 44,95 $ la première année, modem en sus. Chez Cablevision, il faut débourser soit 85,95 $ pour une vitesse de 15 Mbps, soit 99,95 $ pour 125 Mbps, modem inclus. Le 50 Mbps n'est pas offert.

« On pense qu’il y avait une grande frustration des gens de l’Abitibi, dit M. Béique. Ils ont été surfacturés par Bell pendant 20 ans avec des prix de monopole. »