La pandémie se sera invitée jusqu’à la toute fin de l’année dans les créations publicitaires. Car se parer des couleurs du temps des Fêtes, en 2020, est venu avec des contraintes de budget, des restrictions gouvernementales de dernière minute, ainsi que plus de défis de conception et de production que la normale pour les annonceurs et les agences de pub.

Moins de 10 invités ou pas d’invités du tout ? Grand-maman présente aux côtés du petit Mathis ou pas ? Le père Noël qui fait sa tournée ou qui prend exceptionnellement congé ? Les questions ont fusé en cette fin d’année pandémique et pas seulement dans les chaumières ! Les agences de pub ont aussi dû s’ajuster au portefeuille meurtri de certains annonceurs, aux règles sanitaires et aux restrictions gouvernementales du 3 décembre interdisant les rassemblements à Noël après un premier « go » de Legault.

À la télé, par exemple, les résultats sont éloquents : un père Noël seul à l’écran, des tablées réduites, des animations, des concepts simples… En amont, beaucoup de questionnements en ce qui a trait à la capacité des entreprises à investir dans des messages du temps des Fêtes et la pertinence pour elles de le faire.

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Sonya Bacon, directrice générale de Kabane

C’est une année hors de l’ordinaire. Les annonceurs veulent tirer profit de cette période, mais il y a plus de frilosité cette année. Comment doit-on représenter la famille ? Les rassemblements ? Éviter des polémiques ?

Sonya Bacon, directrice générale de l’agence Kabane

« Il y a un impact sur le plan de la production et de la conception, ajoute Pascal Routhier, chef de la stratégie à Montréal de l’agence Rethink, conceptrice des pubs humoristiques de l’Érable du Québec avec Claude Legault. On ne peut imaginer des partys de famille. On ne peut être irresponsable. »

Le mot d’ordre ? « Faire preuve de jugement et ne pas aller contre les règles sanitaires, confie Pascal Routhier. C’est bon d’y aller dans la légèreté, les émotions plus positives et le human. Ces émotions génèrent, de toute façon, plus d’efficacité et de mémorabilité. »

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Pascal Routhier, chef de la stratégie à Montréal de Rethink

Agenda atypique

La réflexion au sujet des célébrations de fin d’année s’est amorcée généralement plus tard en 2020. Habituellement, les cloches créatives de Noël sonnent en septembre dans les agences. « À 20 jours de Noël, des gens me disent qu’ils ont finalement du budget ! confie cependant Sonya Bacon. Je vais planifier jusqu’à la dernière minute. »

« On a pris un peu de retard, mais rien de critique, note de son côté Sophie-Annick Vallée, vice-présidente, stratégie de lg2, qui compte comme clients Les Producteurs de lait du Québec, Maxi et Bell. On a eu énormément de questionnements dans l’équipe. Mais les grands annonceurs voulaient être au rendez-vous. C’est important de l’être pour montrer qu’il y a une constante dans les actions et montrer des moments d’espoir. »

Pas question de s’absenter des médias en décembre, clament justement Les Producteurs de lait du Québec. Alors qu’on a encore en tête les messages festifs « Y’a-tu du lait icitte ? » des Fêtes passées, l’organisation et son agence font dans la simplicité cette année dans leurs pubs télé du lait et des fromages d’ici. « C’est clair qu’on allait être là cette année, lance la directrice du marketing, Julie Gélinas. Aider les producteurs, c’est aider à la consommation. »

Les budgets sont toutefois réduits de 15 % cette année, car comme dans bien des milieux, les producteurs ont eu des difficultés et leurs ventes ont été affectées.

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Julie Gélinas, directrice du marketing des Producteurs de lait du Québec

Et produire une pub en temps de COVID coûte 25 % plus cher. Il y a les règles de distanciation à respecter, des plexiglas entre les comédiens, plus de désinfectant, plus de tricheries au montage…

Julie Gélinas, directrice du marketing des Producteurs de lait du Québec

Elle ose toutefois croire que lg2 ne s’est pas sentie limitée dans sa créativité. « Il n’allait pas y avoir de tablées d’enfants, dit Mme Gélinas. Mais comme chaque année, on voulait se réinventer. On a voulu refléter le caractère plus intimiste des réunions. Un tel message l’an dernier aurait aussi marché, car il y a des célébrations plus intimistes. »

Grâce à la présence de seulement trois comédiens et un scénario plus circonscrit, Le Lait peut proposer le même nombre de messages cette année. « La baisse de budget nous force à réfléchir différemment, mentionne Sophie-Annick Vallée. On a trouvé des façons efficaces de montrer les choses. »

L’année 2020, hors norme, force aussi à revenir ving fois sur le métier, à analyser encore et encore chaque pub. Celle humoristique de Maxi, dans laquelle Martin Matte défile avec ses bas de Noël entouré de cinq membres d’une famille, dont une dame âgée, était déjà en ondes quand le gouvernement Legault a annoncé, le 3 décembre, qu’il n’y aurait finalement pas de réunions à Noël. lg2 assure toutefois que la pub restera telle quelle en ondes. « Car on respecte les limites, dit Sophie-Annick Vallée. Martin Matte est présent pour faire rire et divertir et non encourager des comportements non tolérés. Cela dit, on va sûrement travailler jusqu’à la dernière minute avec nos clients. »

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Martin Matte, porte-parole de Maxi, dans une pub du temps des Fêtes conçue par lg2

Être ou ne pas être présent

Voilà pour les clients présents. Mais pour un Maxi, ancré dans la tradition des Fêtes, combien ont passé leur tour cette année ? « La crise a accentué le clivage socioéconomique et ça s’applique aussi aux annonceurs, analyse Hugo Morin, directeur de création de l’agence Havas Montréal. Les Coca-Cola continuent d’annoncer et c’est attendu. Les grandes marques investissent massivement. Elles peuvent se permettre de célébrer. »

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Hugo Morin, directeur de création de Havas Montréal

Des dirigeants d’agences ont dit à La Presse avoir convaincu des annonceurs de ne pas produire des messages spécifiques en décembre. « Je travaille avec de gros clients qui n’annoncent pas à Noël et de petits qui veulent dire des choses, note Hugo Morin. Ça a du sens quand c’est dans ta planification. La présence d’IGA est légitime, car c’est de l’alimentation. Mais si tu n’as rien à dire à Noël, ne dis rien ! »

« Le contexte économique fait que les annonceurs doivent faire des choix, ajoute Manuel Ferrarini, vice-président, directeur de création de Tam-Tam\TBWA. Et on le répète aux clients : le message devra être plus discret. Il peut être très centré sur le produit. Il faut être encore plus intelligent dans la façon de dépenser et de joindre nos cibles. »

Des annonceurs ont, par exemple, laissé tomber l’idée d’être présents au Bye bye 2020, où le prix à la carte pour diffuser une pub de 30 secondes est de 50 000 $.

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Manuel Ferrarini, vice-président, directeur de création de Tam-Tam\TBWA

Certains ont exprimé le désir d’y être, affirme Manuel Ferrarini. Mais on ne peut y aller avec une pub déjà diffusée dans l’année, car le Bye bye, c’est notre Super Bowl. Il faut être original pour se démarquer.

Manuel Ferrarini, vice-président, directeur de création de Tam-Tam\TBWA

Et vouloir diffuser une pub au Bye bye ne se décide pas à la dernière minute. « Les annonceurs réservent leur temps d’antenne dès le début de l’automne, écrit Marie-Christine Simard, vice-présidente, activations médias chez Cossette Média. Typiquement, on y retrouve des grandes marques, qui sont plus susceptibles d’avoir tiré leur épingle du jeu malgré le contexte de pandémie. Plusieurs de nos clients qui ont une présence au Bye bye depuis un certain temps y investissent encore [SAQ, Les Éleveurs de porcs du Québec…], alors que d’autres marques s’y aventurent pour la première fois. »

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Promo de Noël pour mobile d'Alimentation Couche-Tard

Il n’y a toutefois pas que le Bye bye ni, plus généralement, la télé ou les panneaux géants pour s’afficher en rouge et vert. Les agences ont dirigé plusieurs créations, concours et promos sur l’internet, le mobile et les réseaux sociaux. C’est le cas de Tam-Tam pour Scores et de Havas pour Alimentation Couche-Tard.

« Les investissements publicitaires numériques ont pris une ampleur plus importante, tant sur les réseaux sociaux que sur les plateformes web des médias locaux, confirme Marie-Christine Simard. Ces investissements offrent une plus grande agilité et une flexibilité pour s’adapter rapidement au contexte, ce que les annonceurs apprécient grandement lors d’une année aussi imprévisible que celle-ci. »