Après un premier trimestre effervescent en Bourse, alimenté surtout par l’étonnante vigueur de l’économie américaine, comment se profilent les perspectives d’investissement pour les prochains mois ? C’est le moment du tour d’horizon trimestriel avec les experts du « Portefeuille fictif » de La Presse. Un dossier préparé par le journaliste Martin Vallières.

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $, et donc à la portée de la plupart des particuliers-investisseurs. Dans ce deuxième rendez-vous de 2024, ces experts reviennent brièvement sur le premier trimestre et décrivent leurs perspectives pour les prochains mois sur les marchés financiers d’investissement. Aussi, ils recalibrent leur répartition d’actifs individuelle pour le second trimestre de 2024 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence. C’est-à-dire établi à 60 % en actions et à 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

Quels constats pour le premier trimestre de 2024 ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Les marchés ont connu un début d’année spectaculaire en prolongeant leur séquence de gain à cinq mois consécutifs, alors que de nombreux indices boursiers du monde ont atteint de nouveaux records. L’appétit des investisseurs a été attisé par la continuité de bonnes données économiques aux États-Unis, la perspective d’une baisse des taux d’intérêt et des résultats d’entreprises meilleurs que prévu. En contrepartie, les marchés obligataires ont été sous pression défavorable au premier trimestre. Après avoir chuté en fin d’année 2023, les taux de rendement des obligations gouvernementales sont repartis à la hausse alors que les investisseurs révisaient leurs attentes d’une prochaine baisse de taux d’intérêt en réaction à la croissance économique et à l’inflation persistantes aux États-Unis. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Le premier trimestre dans les marchés financiers a été marqué par une révision haussière des perspectives économiques à court terme, ce qui a incité les investisseurs à modérer leurs attentes envers une prochaine baisse rapide de taux d’intérêt de la part des banques centrales. Aux États-Unis en particulier, alors qu’on s’attendait en début d’année à un atterrissage en douceur de l’économie, suivi d’une série de baisses de taux par la Réserve fédérale (Fed), on se retrouve plutôt avec une économie en vol plané favorable qui fait douter des attentes de baisse des taux d’intérêt avant la fin de l’année. »

PHOTO JOSHUA ROBERTS, ARCHIVES REUTERS

La force de l’économie américaine fait douter de la baisse des taux d’intérêt de la part de la Réserve fédérale.

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« La résilience de l’économie américaine a continué de surprendre au premier trimestre. Cette surprise économique s’est répercutée dans le marché boursier américain, qui a encore surperformé par rapport aux autres principaux marchés. Aussi, malgré une certaine fatigue des investisseurs en fin de trimestre envers les gros titres du secteur technologique, la Bourse américaine a ensuite profité des regains de valeur dans le secteur des matières premières et de l’énergie. La Bourse canadienne a aussi bénéficié de ce regain, mais dans une moindre mesure en raison du ralentissement marqué de l’économie canadienne. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Le premier trimestre a été marqué par les rendements assez exceptionnels en Bourse, de l’ordre de 6 % à 13 % selon les indices, qui ont largement dépassé les attentes des investisseurs. À mon avis, deux facteurs principaux ont le plus contribué à cet élan boursier. En premier lieu, la vigueur de l’économie américaine a continué de surprendre en dépit de l’impact anticipé des taux d’intérêt élevés. Par exemple, les prévisions de croissance en 2024 aux États-Unis, qui voisinaient à peine 0,5 % en fin d’année 2023, ont été multipliées par quatre, à 2 %, trois mois plus tard. En second lieu, plusieurs entreprises des plus surveillées en Bourse américaine, à commencer par les géants technologiques, ont livré des résultats de fin d’année 2023 qui surpassaient les attentes. »

Quelles perspectives pour les prochains mois ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Le débat sur le soi-disant atterrissage de l’économie américaine perdure dans les marchés financiers. Les récents énoncés de la Réserve fédérale prévoient un atterrissage en douceur durant lequel l’inflation s’atténuerait sans causer de dommages majeurs à l’économie et permettrait trois baisses de taux en 2024. Il est un peu inquiétant de constater que le repli de l’inflation s’est arrêté depuis le début de l’année, alors que plusieurs composantes clés du taux d’inflation ont surpris à la hausse. Ces pressions haussières sur l’inflation se sont intensifiées avec la vigueur persistante de l’économie aux États-Unis, ce qui a semé le doute sur la capacité de la Réserve fédérale à réduire les taux d’intérêt cette année. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Parmi les éléments à surveiller, je suis de près les prochains résultats d’entreprises pour voir si elles peuvent “livrer la marchandise” afin de satisfaire les attentes encore relativement élevées des investisseurs boursiers. Je surveille de très près l’évolution des principales mesures de conjoncture économique aux États-Unis et au Canada, afin de pouvoir réajuster mes attentes de politique monétaire de la part des banques centrales. S’il y avait un rebond de l’inflation, ça pourrait signaler un autre report des attentes de baisses de taux, peut-être même jusqu’à l’an prochain. À l’international, je surveille de près les énoncés de politique monétaire de la Banque centrale européenne ainsi que de la Banque du Japon. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Je m’attends à ce que l’économie américaine demeure bonne malgré le ralentissement des dépenses de consommation. Le pic de la croissance aux États-Unis a été atteint en fin d’année 2023, mais le scénario d’un atterrissage en douceur demeure valable, avec le risque de récession désormais reporté en fin d’année. Au Canada, cependant, les effets de la hausse des taux d’intérêt dans l’économie sont plus importants que chez le voisin américain, de même que le risque de récession. Dans ce contexte, je ne serais pas surpris que la Banque du Canada décide de devancer la Réserve fédérale américaine pour la baisse de taux d’intérêt, afin de limiter le ralentissement de l’économie. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« La conjoncture économique favorable aux États-Unis devrait se poursuivre, considérant la vigueur du marché de l’emploi et le récent rebond des indices d’activités manufacturières. En Bourse, cette impulsion économique devrait continuer de favoriser les prochains résultats des entreprises, ainsi que leur potentiel de valorisation additionnelle. Je m’attends donc à un autre bon trimestre dans les principaux marchés boursiers, quoiqu’à un rythme un peu ralenti. Cette vigueur économique aux États-Unis pourrait soutenir l’inflation à un niveau plus élevé que celui ciblé par la Fed avant de rabaisser les taux d’intérêt. »

Où en est votre répartition d’actifs pour le deuxième trimestre de 2024 ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« La conjoncture de risque dans l’économie et les marchés financiers justifient le maintien d’un positionnement de portefeuille relativement neutre en actions [par rapport au portefeuille équilibré de référence]. D’abord, s’il s’avère, un scénario d’atterrissage en douceur de l’économie et de repli de l’inflation serait positif pour les prochains résultats des entreprises et leur valorisation additionnelle en Bourse. Si la vigueur persistante de l’économie américaine suscitait une reprise de l’inflation et un report des baisses de taux d’intérêt déjà envisagées par les marchés financiers, les récents gains de valeur en Bourse pourraient être menacés par un puissant vent contraire dans le sentiment des investisseurs. Je maintiens une préférence pour les actions canadiennes, avec une surpondération [à 30 %] par rapport au portefeuille équilibré de référence, et au double de la répartition en actions américaines [15 %]. Je considère que la Bourse canadienne offre des valeurs d’actions encore relativement attrayantes. De plus, le rebond notable des prix des matières premières depuis le début de l’année, notamment le pétrole, l’or et le cuivre, est de bon augure pour l’indice boursier S&P/TSX. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Je réduis un peu ma pondération en obligations [de 40 % à 35 %] dans l’anticipation que ce marché pourrait être affecté par des changements rapides de la conjoncture économique qui inciteraient les banques centrales au Canada et aux États-Unis à réviser leurs intentions de baisses de taux d’intérêt. Je rehausse un peu ma pondération en actions [de 60 % à 65 %] en misant davantage sur les actions canadiennes [de 18 % à 22 %] et un point de plus en actions américaines [de 32 % à 33 %]. Même si l’économie canadienne ralentit, l’indice boursier S&P/TSX pourrait surprendre les investisseurs grâce au rebond des secteurs de ressources et de la performance de grandes entreprises canadiennes qui sont très présentes à l’international et qui profitent de revenus en dollars américains. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« J’ai réduit la répartition en obligations [de 39 % à 35 %] afin de corriger un positionnement qui s’est avéré trop défensif au premier trimestre, ce qui a nui au rendement d’ensemble. Je rehausse ma répartition en actions [de 60 % à 64 %] en misant davantage sur les actions américaines [de 20 % à 22 %] et sur les actions des économies développées à l’international [EAEO, de 12 % à 16 %]. J’anticipe que la Bourse américaine continuera de bénéficier d’une conjoncture économique encore favorable aux États-Unis. Et en Europe, l’économie et la Bourse reprennent du mieux après le choc de la guerre en Ukraine et de la crise de l’énergie en 2022. Par contre, je réduis un peu ma répartition en actions canadiennes [de 20 % à 19 %] en conséquence d’un risque de récession plus perceptible au Canada qu’aux États-Unis. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« J’effectue seulement deux changements. D’abord, je rehausse ma pondération en actions américaines qui était trop basse au premier trimestre, ce qui a nui à mon rendement dans le portefeuille fictif. Je l’amène de 15 % à 20 % en misant sur la possibilité d’un rendement encore avantageux sur la Bourse américaine durant le second trimestre, en l’absence de revirement de la conjoncture économique à l’horizon. Je réduis aussi ma surpondération en encaisse [liquidités], qui passe de 15 % à 10 %, mais demeure au double de sa pondération [5 %] dans le portefeuille équilibré de référence. En attendant la baisse des taux d’intérêt, le rendement réel de l’encaisse demeure avantageux dans un portefeuille équilibré. Ma surpondération en actions canadiennes demeure inchangée à 24 %. Je veux ainsi continuer à profiter de la hausse des prix des matières premières et de l’énergie – deux secteurs très présents en Bourse canadienne – en conséquence du rebond des indicateurs d’activités manufacturières au niveau mondial. »