(Zurich) Le cacao à 10 000 dollars la tonne juste avant Pâques ; la fève est amère pour les chocolatiers suisses qui sont face à un choix cornélien : augmenter les prix au risque de couper l’appétit des consommateurs ou laisser fondre leurs marges.

Mardi, le cacao a brièvement franchi, pour la toute première fois, la barre des 10 000 dollars la tonne à New York. C’est plus du triple d’il y a un an.

Une violente flambée qui va forcer les chocolatiers à augmenter encore leurs prix, même si leur marge de manœuvre est limitée avec la baisse de moral des ménages, déjà éreintés par l’inflation.

Début mars déjà, Lindt & Sprüngli avait averti que ses prix allaient de nouveau augmenter en 2024 et 2025 après avoir été déjà relevés de 10,1 % en moyenne en 2023, le groupe misant sur ses produits à plus forte marge, comme les pralines ou lapins de Pâques, pour absorber le choc.

L’envolée du cacao, qui s’ajoute aux prix élevés du sucre, « accentue les défis pour le chocolat suisse », a indiqué, Thomas Juch, le directeur des affaires publiques de Chocosuisse, la fédération patronale du secteur.  

Cette flambée du cacao survient dans un « contexte de sensibilité accrue aux prix » de la part des consommateurs et se fait pour l’instant en partie « à la charge des fabricants » qui ne « peuvent pas répercuter intégralement cette hausse sur les prix de vente au détail », puisqu’ils sont ajustés à certains intervalles lors des négociations avec les supermarchés, « et non en continu », souligne-t-il.

En 2023, la baisse de moral des consommateurs a pesé sur les volumes d’exportations de chocolat suisse, en recul de 0,2 % à 150 516 tonnes, et la consommation par habitant en Suisse, le premier pays consommateur de chocolat au monde, a diminué de 1 %, à 10,9 kg, selon Chocosuisse.

Mais depuis janvier, les cours du cacao ont encore plus que doublé suite à de mauvaises récoltes en Côte d’Ivoire et au Ghana, les premiers producteurs de fèves au monde, en raison de fortes pluies et d’une maladie des cabosses, puis d’un épisode de sécheresse.

Avec ce nouveau record mardi, « la “shrinkflation” (réduflation, NDLR) pourrait entraîner une réduction de la taille des tablettes de chocolat », a réagi Ole Hansen, responsable des matières premières de Saxo Bank, dans un commentaire de marché.

« Recettes sacrées »

Une des solutions quand les coûts des matières premières explosent consiste à reformuler les recettes.  

Mais « rafistoler les recettes et profils de goût maintenant, juste parce que les coûts du cacao ont augmenté, serait à mon avis une erreur », a déclaré le patron de Nestlé Mark Schneider, lors des résultats annuels du groupe, les consommateurs ayant des attentes très précises pour leurs produits préférés.  

« Les recettes sont sacrées », insiste aussi insisté Jessica Herschkowitz, responsable de communication de l’entreprise familiale Camille Bloch.  

Une autre option est de créer de nouveaux produits, la marque Ragusa étant un exemple historique bien connu en Suisse. En 1942, Camille Bloch, qui peinait à importer des fèves en Suisse face à la perturbation des échanges internationaux durant la Seconde Guerre mondiale, avait inventé cette barre de praliné aux noisettes, dont il disposait en abondance, créant ce qui est depuis devenu une marque culte.

Pas d’autres options

Mais dans l’immédiat, « nous allons devoir passer par la case augmentation des prix comme tous les autres chocolatiers », reconnaît Mme Herschkowitz, même si l’entreprise a « tout fait » pour l’éviter. La hausse du cacao est telle que « nous n’avons pas d’autres options », a-t-elle expliqué à l’AFP.

Selon Jean-Philippe Bertschy, analyste à Vontobel, « même si certains groupes étrangers sont moins regardants », les chocolatiers suisses ne peuvent pas transiger avec la qualité. Lindt, par exemple, « ne fait aucun compromis », car « la qualité est la base de son succès », a-t-il indiqué.  

Pour Adalbert Lechner, le patron de Lindt & Sprüngli, la solution est plutôt de veiller à disposer d’une gamme de prix suffisamment large pour que ses produits soient accessibles « à tous les budgets », à l’image de son lapin de Pâques, disponible en six tailles, allant de 10 grammes à 1 kilo, a-t-il pris en exemple lors des résultats annuels du groupe.

Mauvaises récoltes

Cette envolée inlassable des prix s’explique par une combinaison de facteurs, notamment par le manque de cacao venant d’Afrique de l’Ouest.

La Côte d’Ivoire et le Ghana sont de loin les principaux producteurs mondiaux de fèves de cacao. À eux deux, ils ont fourni près de 60 % de la production totale pour la récolte de 2022/23, selon les estimations de l’Organisation internationale du cacao (ICCO).

« L’année dernière, ces pays ont connu des conditions météorologiques difficiles, notamment une chaleur intense, qui a eu un impact négatif sur la production », explique Ole Hansen, analyste pour Saxobank.

À cela s’est ajouté le phénomène climatique El Niño, qui « a provoqué de fortes pluies en décembre, ce qui a endommagé les cultures et favorisé la propagation de la maladie des cabosses noires », affirme John Plassard, analyste chez Mirabaud.

Enfin, « l’escalade des coûts des pesticides et des engrais a imposé des contraintes financières aux agriculteurs, qui ont eu du mal à se procurer ces éléments essentiels à l’entretien des cultures », ajoute Ole Hansen.

Maladies et conditions météorologiques difficiles ont ainsi grandement réduit les rendements, mettant la chaîne d’approvisionnement à rude épreuve.