(Montréal) Les analystes financiers des grandes institutions canadiennes semblent accorder peu de poids aux allégations d’un vendeur à découvert qui accuse la firme d’ingénierie WSP d’avoir « embelli » ses résultats financiers.

La firme américaine Spruce Point Capital Management a publié un rapport de 68 pages, mercredi, où elle affirme que la société « semble être confrontée à des difficultés financières plus importantes » que ce que suggèrent ses états financiers. Elle estime que son action pourrait chuter de 25 % à 50 %.

Pour sa part, Maxim Sytchev, de Financière Banque Nationale, juge que la comptabilité de WSP est « transparente ». « Nous croyons que le niveau de détails dans les résultats de WSP est en ligne avec les standards de l’industrie », réagit-il

Les arguments du rapport n’ont pas ébranlé la thèse optimiste de Michael Doumet, de Banque Scotia, qui qualifie WSP « d’un premier de classe » dans son industrie. « Son bilan en matière de croissance interne, d’expansion des marges et d’acquisitions rentables est difficile à égaler », défend-il.

Dans son rapport Spruce Point émet également des doutes sur la gouvernance de l’entreprise. Le rapport mentionne des allégations d’évasion fiscale en Inde. Il rappelle les problèmes éthiques qu’a connus l’entreprise lorsqu’elle portait le nom de Genivar, problèmes qui ont refait surface notamment durant la commission Charbonneau.

Il cible Pierre Shoiry, qui a dirigé l’entreprise pendant 21 ans avant de devenir le vice-président du conseil d’administration en 2016. M. Shoiry a d’ailleurs été sanctionné par l’Ordre des ingénieurs du Québec. L’homme d’affaires a renoncé à son titre d’ingénieur en 2020. L’entreprise annonçait la semaine dernière que M. Shoiry prenait sa retraite en mai prochain.

M. Sytchev croit plutôt que les enjeux éthiques de l’entreprise sont « derrière elle ». « Nous avons pleine confiance en la direction et à son bon bilan. »

L’analyste de Financière Banque Nationale réfute aussi les inquiétudes de Spruce sur le taux de roulement des employés de WSP, qui atteignait 16 % en 2022. Il souligne que le taux de roulement est sur une tendance baissière après avoir bondi durant la pandémie. Il estime que ce taux a avoisiné les 11 % en 2023.

« En utilisant les critiques sur le site Glassdoor, nous n’avons pas trouvé de signes d’un taux de roulement explicable par une faible rémunération, avance M. Sytchev. L’insatisfaction d’employés semble anecdotique et n’est en rien scientifique. »

M. Doumet ne voit pas de raisons de douter de la comptabilité de l’entreprise ou de ses dirigeants et administrateurs. « Le profil de la société est bien compris par sa base actionnariale et le président et chef de la direction est à la barre depuis 2016. »

L’analyste juge que WSP est bien capitalisé pour poursuivre d’autres fusions et acquisitions. « Nous serions acheteurs en cas de recul boursier. »

Dans un courriel, WSP affirmait mercredi qu’elle examinait le rapport et qu’elle appliquait les normes de gouvernance les plus élevées.

Pour sa part, la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détient 18 % des actions en circulation, réitère sa confiance envers WSP. « La CDPQ est un investisseur de long terme et prend ses décisions d’investissement dans une perspective de création de valeur dans les entreprises dans lesquelles elle investit, déclare la porte-parole Kate Monfette dans un communiqué. Notre relation avec WSP en est une de longue date. La société et son conseil d’administration ont toute notre confiance. »

Pas la première cible canadienne

Ce n’est pas la première fois que Spruce Point écorche une société canadienne. La firme a fait le même exercice contre Dollarama en 2018, Canadian Tire en 2019, Lightspeed en 2021 et Saputo en 2022, notamment.

Dans les cas de Dollarama, Canadian Tire et Saputo, leurs actions ont subi une correction immédiate, mais ont repris le terrain perdu quelques mois plus tard. L’action de Lightspeed n’a jamais récupéré le terrain perdu depuis la publication du rapport.

Spruce Point a été critiquée par le passé parce qu’elle pouvait vendre à découvert certains des titres dans son collimateur. La vente à découvert permet à un investisseur de s’enrichir lorsque l’action d’une société recule en Bourse.

En entrevue avec La Presse Canadienne en 2022, son fondateur, Ben Axler, défendait ses façons de faire. Il répondait qu’il est « une voix indépendante » et que sa firme est transparente quant à sa stratégie de parier contre des entreprises qu’il estime être en difficulté.

« Nos rapports sont indépendants, se défend-il. Je ne suis pas payé par l’entreprise pour donner ma recommandation. Je ne me fais payer que si j’ai raison. »

L’action de WSP, qui a perdu 5,4 % la veille après la publication du rapport, reprend une partie du terrain perdu. Le titre gagnait 2,80 $, ou 1,34 %, à 211,25 $ à la fermeture de la séance de la Bourse de Toronto.