Les entreprises technologiques apprennent à se conformer aux réglementations mondiales

D’ici jeudi, Google aura modifié l’affichage de certains résultats de recherche. Microsoft n’obligera plus les utilisateurs de Windows à utiliser par défaut son outil de recherche internet Bing. Enfin, Apple donnera pour la première fois aux utilisateurs de l’iPhone et de l’iPad accès à des boutiques d’applications et à des systèmes de paiement concurrents.

Les géants de la technologie se sont préparés avant la date limite de ce mercredi pour se conformer à une nouvelle loi de l’Union européenne (UE) destinée à accroître la concurrence dans l’économie numérique. Cette loi, appelée Digital Markets Act (loi sur les marchés numériques), impose aux plus grandes entreprises technologiques de revoir le fonctionnement de certains de leurs produits afin de permettre à leurs concurrents plus modestes d’accéder plus facilement à leurs utilisateurs.

Ces changements sont parmi les plus visibles que Microsoft, Apple, Google, Meta et d’autres ont entrepris en réponse à une vague de nouvelles réglementations et lois dans le monde entier. Aux États-Unis, certains géants de la technologie ont déclaré qu’ils abandonneraient les pratiques qui font l’objet d’enquêtes antitrust fédérales. Apple, par exemple, facilite l’interaction entre les utilisateurs d’Android et son produit iMessage, un sujet sur lequel le ministère de la Justice a enquêté.

« C’est un tournant », a déclaré Margrethe Vestager, vice-présidente directrice de la Commission européenne à Bruxelles, qui a passé la majeure partie de la dernière décennie à se battre avec les géants de la technologie. « L’autorégulation est terminée. »

Pendant des décennies, Apple, Amazon, Google, Microsoft et Meta ont poursuivi leur chemin sans trop de règles ni de limites. Au fur et à mesure que leur puissance, leur richesse et leur portée augmentaient, une vague de fond d’activités réglementaires, d’élaboration de lois et d’affaires juridiques s’est levée contre eux en Europe, aux États-Unis, en Chine, en Inde, au Canada, en Corée du Sud et en Australie. Aujourd’hui, le point de bascule mondial pour la maîtrise des plus grandes entreprises technologiques a été atteint.

Les entreprises ont été contraintes de modifier les technologies qu’elles proposent au quotidien, y compris les appareils et les fonctionnalités de leurs services de médias sociaux, ce qui a été particulièrement remarqué par les utilisateurs en Europe.

Les entreprises procèdent également à des changements conséquents qui sont moins visibles, au niveau de leurs modèles d’entreprise, de leurs accords et de leurs pratiques de partage des données, par exemple.

Le degré de changement est évident chez Apple. La société de la Silicon Valley proposait autrefois son App Store comme une place de marché unifiée dans le monde entier, mais elle applique désormais des règles différentes pour les développeurs de l’App Store en Corée du Sud, dans l’Union européenne et aux États-Unis, en raison de nouvelles lois et de décisions de justice. La société a abandonné la conception exclusive d’un chargeur d’iPhone en raison d’une autre loi européenne, ce qui signifie que les futurs iPhone seront équipés d’un chargeur compatible avec des appareils autres que ceux d’Apple.

Amende imposante

Lundi, Apple s’est vu infliger une amende de 1,8 milliard d’euros (2,7 milliards de dollars) par les autorités de régulation de l’UE pour avoir entravé la concurrence entre ses rivaux dans le domaine de la diffusion de musique en continu.

Les modifications signifient que les expériences technologiques des gens seront de plus en plus différentes en fonction de leur lieu de résidence. En Europe, les utilisateurs d’Instagram, de TikTok et de Snapchat âgés de moins de 18 ans ne voient plus de publicités basées sur leurs données personnelles, en vertu d’une loi de 2022 appelée Digital Services Act (loi sur les services numériques). Ailleurs dans le monde, les jeunes voient encore de telles publicités sur ces plateformes.

Selon Greg Taylor, professeur à l’Université d’Oxford spécialisé dans la concurrence sur les marchés technologiques, l’industrie technologique est en train de mûrir et de se rapprocher des secteurs de la banque, de l’automobile et de la santé, les entreprises adaptant leurs produits et leurs services aux lois et aux réglementations locales.

Cela représente un changement radical dans la manière dont nous réglementons le secteur technologique. Bien que l’Union européenne soit la première à agir, d’autres juridictions dans le monde tentent de faire la même chose.

Greg Taylor, professeur à l’Université d’Oxford

Cependant, même si les grandes entreprises technologiques procèdent à des changements, leurs rivales plus petites, comme Spotify, affirment qu’une action gouvernementale beaucoup plus importante est nécessaire dans le monde entier pour s’attaquer sérieusement à leur vaste pouvoir. De nombreuses entreprises continuent d’enregistrer des bénéfices et des ventes records. Microsoft, Meta, Amazon, Apple et Alphabet, la société mère de Google, ont contribué à propulser le marché boursier vers de nouveaux sommets. Leur valeur de marché combinée a plus que doublé depuis la fin de l’année 2019 pour atteindre près de 10 600 milliards de dollars américains (plus de 14 000 milliards de dollars canadiens).

Même les décideurs politiques à l’origine de certaines des nouvelles règles ont déclaré qu’il n’était pas réaliste de penser que les nouvelles lois et réglementations délogeraient immédiatement les entreprises dominantes comme Google ou Apple. Andreas Schwab, membre du Parlement européen qui a participé à la rédaction de la loi sur les marchés numériques, a déclaré que l’on espérait qu’au fil du temps, les règles, si elles étaient fermement appliquées, permettraient à de nouveaux entrants d’émerger et de se développer.

« Le point de rupture sera atteint lorsque la concurrence sera plus forte et qu’il ne s’agira pas simplement de modifier certains produits », a déclaré M. Schwab, qui s’est rendu au Brésil, au Japon, en Corée du Sud et à Singapour au cours de l’année écoulée pour discuter des nouvelles règles de l’Union européenne dans le domaine des technologies. « Peut-être que dans un an, nous dirons qu’elles étaient importantes ou peut-être que dans un an, nous dirons que c’est une blague parce que les changements n’ont rien signifié. »

Amazon, Apple, Google, Meta et Microsoft ont décliné toute demande d’entrevue.

Loi sur les marchés numériques

Peu de lois ont contraint les entreprises technologiques à procéder à autant d’ajustements que la loi sur les marchés numériques. Cette loi européenne a été adoptée en 2022 afin d’empêcher les plus grandes entreprises technologiques d’utiliser leurs services interdépendants et leurs poches profondes pour verrouiller l’accès aux utilisateurs et écraser leurs rivaux. La loi concerne tous les domaines, de la publicité en ligne aux méthodes de paiement des applications, en passant par les applications de messagerie. Les contrevenants s’exposent à des sanctions pouvant aller jusqu’à 20 % de leur chiffre d’affaires global.

Depuis plus d’un an, les entreprises technologiques négocient avec les régulateurs de l’UE à Bruxelles les modifications à apporter à leurs produits, services et activités pour se mettre en conformité.

En janvier, Google a déclaré qu’elle réduirait la visibilité de ses propres services dans les résultats de recherche et qu’elle ferait davantage référence à ses rivaux pour les requêtes portant sur des sujets tels que les vols et les restaurants. L’entreprise s’est également engagée à permettre aux utilisateurs européens de limiter le partage de leurs données personnelles entre des services tels que la recherche, YouTube et Chrome, un changement réclamé depuis longtemps par les groupes de défense de la vie privée.

Ce mois-là, Apple a déclaré qu’en plus du changement autorisant les boutiques d’applications et les services de paiement concurrents, les clients européens possédant un nouvel iPhone verraient un écran leur permettant de sélectionner un navigateur par défaut, au lieu du navigateur d’Apple, Safari, qui s’affiche automatiquement par défaut sur l’iPhone.

À peu près au même moment, la loi sur les services numériques, destinée à lutter contre les contenus illicites en ligne, a également commencé à produire ses effets. Les utilisateurs européens disposent désormais de nouveaux outils pour signaler les contenus toxiques. Les plateformes en ligne telles que Google et Meta ne peuvent plus autoriser les annonceurs à cibler les utilisateurs en fonction de leur appartenance ethnique, de leurs opinions politiques et de leur orientation sexuelle. Les utilisateurs de TikTok et d’Instagram peuvent également choisir de voir des microbillets sans aucun contenu recommandé choisi par un algorithme basé sur leurs données personnelles.

Des combats juridiques se profilent. Le mois dernier, la Cour suprême a entendu des plaidoiries sur la question de savoir si le Texas et la Floride pouvaient légalement empêcher des sites comme Facebook et TikTok de supprimer certains contenus politiques. Si les États l’emportent, cela bouleversera la manière dont les plateformes en ligne peuvent fixer les conditions d’engagement sur leurs sites sans ingérence du gouvernement américain.

Nu Wexler, un ancien employé des bureaux de Washington de Google, Meta et Twitter, rebaptisé X depuis, a déclaré que les entreprises technologiques « faisaient plus de concessions » et « se montraient plus pragmatiques ».

Elles ne sont tout simplement « plus aussi invincibles qu’elles l’étaient il y a cinq ans », a-t-il ajouté.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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