Le temps est venu de livrer pour Lion Électrique, au sens propre comme au sens figuré. L’entreprise n’a plus à investir des millions pour construire des usines, mais sa trajectoire demeure sinueuse. Son coussin financier est mince et un programme fédéral freine ses ventes d’autobus scolaires hors du Québec. Le fondateur Marc Bédard rêve néanmoins aux profits en 2024.

Signe que le constructeur québécois d’autobus d’écoliers et de camions électriques doit continuer à se serrer la ceinture, il a de nouveau réduit son effectif en dévoilant ses résultats du quatrième trimestre, qui se sont avérés en deçà des attentes, jeudi. Cela a fait plonger son action de 12,7 % à la Bourse de Toronto, où elle a clôturé à 1,99 $.

À Saint-Jérôme, le quart de soir se retrouve au point mort. Résultat : 100 mises à pied qui s’ajoutent aux 150 licenciements – qui ont touché l’ensemble de la compagnie – en novembre dernier.

J’ai le cœur brisé. On est obligé de le faire. On l’a annoncé aux employés hier soir.

Marc Bédard, fondateur et chef de la direction de Lion, à propos des mises à pied

Il restait 30 millions US dans les coffres de la compagnie – qui bénéficie du soutien financier de Québec et d’Ottawa – au 31 décembre dernier. Sa facilité de crédit lui offre 63 millions US supplémentaires. Cela paraît peu lorsque l’on constate que le constructeur québécois, qui est toujours déficitaire, a « brûlé » 110 millions US l’an dernier.

Il y a des moyens d’éviter une nouvelle opération pour renflouer les coffres, croit M. Bédard. La dernière (188 millions) remonte à juillet dernier, quand Investissement Québec, le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction, la famille Saputo et le Groupe Mach avaient contribué.

Lion n’est pas l’unique constructeur de véhicules électriques à être secoué. Les temps sont durs dans l’industrie. Par exemple, la semaine dernière, Rivian (camions) a été secouée en Bourse après avoir annoncé qu’elle éliminait 10 % de son effectif tout en indiquant s’attendre à perdre 2,3 milliards US en 2023. Sous pression financière, le constructeur d’autobus électriques Proterra s’est protégé de ses créanciers en août dernier parce qu’il avait des difficultés à se financer.

Un peu d’oxygène

Lion a été capable de garder la tête hors de l’eau, non sans heurts. Les réductions d’effectif sont un exemple. Néanmoins, la « phase d’investissement » pour construire une usine de batteries à Mirabel et une autre d’assemblage aux États-Unis, qui a coûté 230 millions US, est finalement terminée, dit M. Bédard. En 2024, les dépenses d’investissement de Lion devraient être inférieures à 10 millions US, ce qui devrait lui offrir un peu de répit.

« Il y a peu de compagnies qui sont comme cela dans l’industrie, souligne M. Bédard. Notre objectif, c’est d’être profitable [cette année]. Je garde le même objectif. Je pense que c’est une année où l’on va discerner qui sont les vrais acteurs [dans l’industrie]. »

L’argent public dans Lion Électrique

  • 2008–2021 : 7 millions en subventions pour de la R&D
  • 2021 : 19 millions d’Investissement Québec pour l’achat d’action
  • 2021 : 100 millions en prêts de Québec et Ottawa
  • 2022 : 30 millions en prêts de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Avec une capacité de production annuelle de 5000 camions et autobus à Mirabel et Joliet (Illinois), le constructeur devrait avoir un peu de répit avant d’effectuer d’autres investissements d’envergure, croit Rupert Merer, de la Financière Banque Nationale.

« Cette phase initiale d’investissement est terminée, écrit l’analyste, dans une note envoyée par courriel. Cela devrait permettre à Lion de bénéficier d’une capacité de production suffisante pour plusieurs années. »

Lion estime ne plus avoir à emmagasiner autant de pièces que par le passé. Cette stratégie a gonflé les stocks de la compagnie, qui s’élève à environ 250 millions US – soit l’équivalent des ventes annuelles de la compagnie. M. Bédard croit qu’il est possible de les faire fléchir de l’ordre de 50 à 75 millions US.

Il y a l’équivalent de 48 millions US en « produits finis », des autobus et des camions, dans les usines de Lion. Une commande surprise pourrait donc permettre à la compagnie d’écouler rapidement une partie de ses stocks.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Bédard est le fondateur et chef de la direction de Lion Électrique.

« La raison pour laquelle il y avait eu une augmentation importante, c’est à cause des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, affirme le patron de la compagnie. Nous étions incapables d’obtenir des pièces, il fallait avoir des réserves. C’est terminé. On ne verra pas les stocks diminuer du jour au lendemain, mais dans l’année. C’est directement sur les liquidités. »

Commandes à risque

Lion doit aussi accélérer sa cadence de production et décrocher de nouveaux contrats. C’est ici que les choses se compliquent. Le constructeur estime que la moitié de son carnet de commandes est à risque en raison des délais de traitement des demandes de subventions par Ottawa dans le cadre du Fonds pour le transport en commun à zéro émission (FTCZE) d’Infrastructure Canada.

Ce programme vise à accélérer l’électrification chez les exploitants d’autobus de transport en commun et d’écoliers. Il peut couvrir jusqu’à 50 % des coûts d’acquisition. Plusieurs annonces effectuées par Lion concernant des commandes d’autobus scolaires au Canada soulignaient que le contrat était également conditionnel à l’obtention de subventions du Fonds.

Le Québec dispose déjà de son propre programme d’électrification du transport scolaire, mais dans le reste du pays, la plupart des provinces misent sur le FTCZE, ce qui complique la tâche à Lion.

« Les négociations se font entre les transporteurs scolaires et le Fonds, affirme M. Bédard. Ça ne débloque pas en ce moment et on ne peut pas garder notre monde. Cela va au-delà du carnet de commandes. On discute avec des transporteurs scolaires prêts à acheter des autobus si les choses débloquent. Ce chiffre-là est très significatif. C’est plus que ce que l’on a dans notre carnet. »

Cela semble se refléter sur le carnet de commandes de Lion. En date de mercredi, il comptait 2076 commandes en recul de 156 unités par rapport au trimestre précédent.

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En date de mercredi, le carnet de Lion comptait 2076 commandes en recul de 156 unités par rapport au trimestre précédent.

« Les clients continuent d’être confrontés à des retards du programme, ce qui provoque une augmentation des stocks et l’annulation potentielle de certaines commandes », s’inquiète M. Merer.

Une lettre émanant du ministère fédéral du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités obtenue par La Presse donne un aperçu des négociations entre Ottawa et certains transporteurs scolaires. Dans cette missive datée du 21 décembre dernier envoyée à Lang Bus (Ontario), le Ministère se dit prêt à financer une commande de 200 autobus à hauteur de 33 %, soit 21,6 millions.

« Bien qu’un maximum de 50 % puisse être accordé, la formule de contribution prend en compte d’autres aides financières dans le but ultime de s’assurer que le coût d’achat des [autobus zéro émission] est neutre par rapport à celui des options d’autobus diesel », peut-on lire.

Cela suggère que les pourparlers entre Ottawa et Lang Bus semblent achopper sur la question de l’ampleur du soutien public offert pour financer une commande de véhicules électriques.

En savoir plus
  • 2008
    Fondation de Lion
    Source : lion électrique
    1250 employés
    Effectif de l’entreprise après ses deux réductions de personnel
    Source : la presse