Un important projet « hautement écoresponsable » d’élevage de truites en milieu terrestre dans le Centre-du-Québec pourrait être abandonné parce qu’il est coincé dans les dédales administratifs du ministère québécois de l’Environnement depuis plus de trois ans.

Le groupe CanAqua ambitionne de construire la plus grande ferme piscicole du Québec dans le parc industriel et portuaire de Bécancour, où seraient élevées environ 800 000 truites arc-en-ciel, soit une production annuelle de 3000 tonnes.

Le projet de 102 millions de dollars est baptisé Wôlinak Aquaculture, du nom de la communauté abénaquise de Wôlinak, à Bécancour, qui détient une participation de 5 % dans la coentreprise formée pour l’occasion – Wôlinak signifie « la rivière aux longs détours » en abénaquis.

Une deuxième phase permettrait éventuellement de doubler la production.

Mais le projet risque de tomber à l’eau, tant les démarches pour l’obtention de l’autorisation environnementale traînent en longueur, déplore le groupe CanAqua.

« Je ne dis pas qu’il faut qu’il y ait des raccourcis, mais on est dans notre quatrième année [de démarches] », se désole Guy Bouchard, président de CanAqua, une entreprise de la Côte-Nord qui se présente comme « le chef de file canadien en aquaculture écoresponsable ».

L’option d’achat de deux ans et demi que CanAqua avait sur le terrain du parc industriel et portuaire de Bécancour est venue à échéance le 30 avril, et les terrains s’y raréfient avec la volonté du gouvernement Legault d’y développer la filière québécoise des batteries pour électrifier les transports.

« Ça montre que ce délai extraordinairement long est en train de compromettre notre projet », regrette M. Bouchard, qui trouve la lenteur du processus « difficile à comprendre ».

Un projet qui fait peur

Wôlinak Aquaculture a entrepris ses démarches en janvier 2020 auprès des différents ministères concernés, dont celui de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) et a déposé en juin 2021 sa demande d’autorisation environnementale, un document de 200 pages accompagné de 3800 pages d’études et d’analyses en annexe, dit-elle.

« C’est le permis noyau », qui permet d’obtenir les autres, dont celui du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), explique Guy Bouchard.

Le MELCCFP a depuis envoyé trois demandes de précisions, dont la dernière remonte au 31 mars dernier et totalisait 63 pages.

« J’ai l’impression qu’on ne verra jamais la fin de tout ça, qu’on ne réussira jamais à rassurer assez les scientifiques du ministère de l’Environnement, qui voit dans ce projet-là quelque chose d’énorme », dit M. Bouchard.

CanAqua soutient que le MELCCFP lui demande « des choses qui n’existent pas », comme une modélisation des odeurs de son projet, ce qui « n’a jamais été fait par aucun site piscicole » et pour laquelle il n’existe donc pas de données disponibles, dit M. Bouchard.

Guy Bouchard croit que la taille du projet, « inédite au Québec », fait peur au ministère de l’Environnement, mais souligne qu’il s’agit d’un très petit projet en comparaison des fermes piscicoles qui se construisent à l’étranger, dont la production annuelle varie de 25 000 à 100 000 tonnes.

Si on n’en veut pas de gros projets au Québec, qu’on nous le dise.

Guy Bouchard, CanAqua

Le MELCCFP n’avait pas répondu aux questions de La Presse au moment d’écrire ces lignes.

Projet « hautement écoresponsable »

Le projet piscicole Wôlinak Aquaculture utiliserait le système de pisciculture RAS2020 de la multinationale Veolia, « la technologie qui laisse l’empreinte environnementale la plus faible au monde », indique Guy Bouchard.

« C’est une technologie qui a fait ses preuves » depuis plus de six ans, qui est utilisée au Danemark, en Norvège et en Suisse, souligne-t-il.

Les installations seraient constituées d’une usine pour traiter l’eau avant et après son utilisation, d’une écloserie pour la naissance des poissons, de deux bassins de croissance et d’une usine de transformation.

Ce système en milieu terrestre fermé permet une réutilisation de 99,6 % de l’eau, filtre 99 % des déjections des poissons et surpasse ainsi « très nettement les exigences environnementales » concernant le rejet de contaminants dans l’eau, comme le phosphore, souligne CanAqua.

« L’eau rejetée sera globalement de meilleure qualité que l’eau pompée », indique la documentation de l’entreprise.

De plus, la pisciculture en milieu fermé évite les aléas de la météo, les prédateurs et les virus, parasites ou pathogènes, ce qui réduit les pertes et limite le recours aux produits chimiques, en plus de réduire à zéro le risque de fuite de poissons d’élevage dans l’environnement.

Autonomie alimentaire

Le projet Wôlinak Aquaculture répond aux grandes priorités du gouvernement Legault, énumère Guy Bouchard : il créerait une trentaine de bons emplois directs, il implique les Premières Nations, il s’inscrit dans l’économie verte et, surtout, il favorise l’autonomie alimentaire.

« On réduirait l’importation d’à peu près 50 % », indique Guy Bouchard, affirmant que cela n’empiéterait donc pas sur le marché des quelques piscicultures existantes au Québec, comme la Ferme piscicole des Bobines, en Estrie, dont la production annuelle est de 210 tonnes de truites.

Wôlinak envisage aussi d’exporter ses poissons dans le nord-est de l’Amérique du Nord et sur le marché asiatique.

« La planète est en carence de poisson, je n’ai pas d’enjeu de marché », dit M. Bouchard, soulignant que le marché des salmonidés (saumons, ombles et truites) est en croissance de 5 % en moyenne depuis 17 ans. « C’est un marché extrêmement solide. »

Après la truite, le saumon

CanAqua ambitionne également d’élever du saumon dans une ferme piscicole en milieu terrestre sur la Côte-Nord. L’entreprise y produirait annuellement 10 000 tonnes de saumon, un projet évalué à 300 millions de dollars, qu’elle compte lancer après avoir éventuellement complété celui de Bécancour. Actuellement, la totalité du saumon vendu au Québec provient de l’extérieur de la province, principalement d’élevages en filets ouverts dans la mer, une technique aux lourdes conséquences environnementales, comme l’avait démontré une enquête de La Presse, en octobre. Une ferme piscicole verra toutefois bientôt le jour à Bonaventure, en Gaspésie, ayant récemment obtenu les autorisations requises, et produira annuellement 1250 tonnes de saumon.

En savoir plus
  • 2024
    Début prévu de la construction du projet Wôlinak Aquaculture si l’autorisation environnementale est accordée d’ici l’été
    Source : Groupe CanAqua
    2026
    Première récolte de poisson prévue si l’autorisation environnementale du projet Wôlinak Aquaculture est accordée d’ici l’été
    Source : Groupe CanAqua