L’empreinte matérielle des Québécois ne serait pas viable sur le plan écologique, soutient une étude de l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS). Gros plan sur une analyse imparfaite qui soulève des questions pertinentes.

De 16 à 19 tonnes pour satisfaire ses besoins de base

Au Québec, subvenir à ses besoins de base se traduit par une empreinte matérielle annuelle de 16 à 19 tonnes par personne, estime l’IRIS dans une analyse publiée ce jeudi. Cet indicateur mesure la quantité de matières premières qui ont été extraites afin d’assurer la production de produits et de services. Il diffère de l’empreinte carbone, qui signale la quantité de gaz à effet de serre relâchée dans l’atmosphère pour produire un bien ou un service. Selon l’IRIS, « la mesure de l’empreinte carbone, associée à la crise climatique, est insuffisante pour rendre compte de l’ensemble des crises écologiques qui menacent le vivant ».

Un maximum suggéré de 8 tonnes

Dans son analyse intitulée L’empreinte matérielle de la couverture des besoins de base au Québec, l’IRIS signale que « la stricte consommation vitale au Québec n’est pas viable sur le plan écologique » puisqu’elle dépasse largement le seuil maximal de 8 tonnes par personne par année recommandé par des scientifiques. L’organisme québécois fait référence à une étude publiée en 2014 par des chercheurs finlandais, qui concluait alors qu’une empreinte matérielle supérieure à 8 tonnes n’était pas écologiquement viable. Les scientifiques ont estimé que les ressources biotiques (matière vivante) ne doivent pas dépasser 2 tonnes et les ressources abiotiques (ressources minérales et fossiles), 6 tonnes.

Quelle quantité de matière pour produire un bien ?

L’étude de l’IRIS s’est basée sur un indicateur de Statistique Canada, la mesure du panier de consommation (MPC), pour réaliser son analyse. La MPC détermine le coût total du panier de consommation qui représente le seuil de pauvreté d’un ménage de deux adultes et de deux enfants. Ces données ont été croisées avec un autre indicateur, l’apport de matière par unité, ou Material Input Per Unit of Service (MIPS), mis au point par l’Institut Wuppertal, centre de recherche allemand qui se spécialise notamment dans le développement d’outils de mesure pour la transition écologique. Le MIPS estime la quantité de matière extraite pour produire un bien ou un service.

L’empreinte matérielle des VUS

Un des exemples les plus concrets de l’empreinte matérielle concerne la production de véhicules utilitaires sport (VUS). Selon les calculs de l’Institut Wuppertal, la production d’un VUS standard se traduit par une empreinte de 16 tonnes par véhicule, soit 10 fois le poids physique de la voiture. Le chiffre est encore plus important pour les VUS électriques. « La production d’une voiture électrique requiert trois fois plus de ressources naturelles que la production d’une voiture à combustion interne », fait remarquer Colin Pratte, coauteur de l’analyse de l’IRIS. Selon lui, la « consommation de ressources naturelles est un angle mort majeur de l’approche dominante en matière de lutte à la crise écologique ».

Les limites des responsabilités individuelles

Selon l’IRIS, les postes de dépenses liés au transport (4,6 à 7,5 tonnes) et à la consommation courante (4,7 tonnes) se traduisent par la plus forte empreinte matérielle au Québec. Colin Pratte croit que les chiffres sont fort probablement plus élevés en réalité puisque leur analyse a porté seulement sur les besoins de base. « Si, demain matin, tous les ménages québécois acceptaient de vivre au seuil de la pauvreté pour lutter contre la crise écologique, ce serait non seulement insensé d’un point de vue social, mais surtout insuffisant, affirme-t-il. Ça démontre qu’une approche de la transition fondée sur des changements comportements individuels est insuffisante en matière de transition écologique, que la plus grande part de responsabilité repose sur les instances publiques. »

Une méthodologie imparfaite

Si l’analyse de l’IRIS a le mérite de relever certains angles morts, la méthodologie employée comporte certaines limites, comme le reconnaissent eux-mêmes les auteurs. « L’empreinte matérielle de la MPC [mesure du panier de consommation] que nous estimons dans cette note doit être interprétée à titre de recherche exploratoire dont le degré d’incertitude s’explique par la datation et la localisation géographiques des données utilisées », écrivent les auteurs, Colin Pratte et Krystof Beaucaire. Par exemple, la majorité des données utilisées pour calculer l’empreinte matérielle datent de 2006 à 2008. L’IRIS signale cependant qu’elles sont encore utilisées par l’Agence européenne pour l’environnement.

Les dangers de généraliser

Professeur au département des sciences économiques de l’UQAM et spécialiste du développement durable, Charles Séguin juge la note de l’IRIS « intéressante », mais apporte aussi quelques bémols. « Le point de référence, c’est 8 tonnes, qui a été suggéré par une seule étude menée en Finlande en 2014. Ça prendrait d’autres études pour valider ce chiffre », souligne-t-il. Si un indicateur comme l’empreinte matérielle peut s’avérer intéressant pour évaluer un secteur en particulier, comme l’industrie automobile, il peut être plus hasardeux de chercher à l’étendre à tous les produits de consommation, croit-il. Les impacts environnementaux ne se mesurent pas toujours en poids, ajoute-t-il. « J’aurais une plus grande confiance, disons, si ça avait été fait pour un produit spécifique. »